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Raconter la guerre : les reporters peuvent-ils échapper aux tentatives d'influence ?
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En terrain miné

Chaque année, le prix Bayeux-Calvados récompense les reportages de journalistes couvrant les guerres et les conflits les plus violents. Des reporters qui, face à une précarité croissante, sont de plus en plus soumis aux tentatives d'influence des belligérants.

Romain Mielcarek

Romain Mielcarek

Romain Mielcarek est journaliste indépendant, spécialiste des questions de défense et de relations internationales. Docteur en sciences de l'information et de la communication, il étudie les stratégies d'influence militaires dans les conflits.

 

Il anime le site Guerres et Influences (http://www.guerres-influences.com). Il est l'auteur de "Marchands d'armes, Enquête sur un business français", publié aux éditions Tallandier.

 
 
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Raconter les guerres est certainement l'une des tâches les plus difficiles du journalisme. Les reporters qui se consacrent à la couverture de ces sujets doivent souvent mettre leur vie dans la balance. La stèle dévoilée samedi après-midi à Bayeux, dans le Calvados, sur laquelle chaque année sont gravés les noms des journalistes tués dans l'exercice de leur métier le rappelle. En 2011, les noms de deux Français, Rémi Ochlik et Gilles Jacquier, illustre le tribu payé par cette profession pour rapporter de l'information.

Ces deux journalistes sont morts dans des conditions très semblables, au même endroit, dans la ville assiégée de Homs en Syrie. Rémi Ochlik était un photo-reporter indépendant, déjà riche d'une expérience des pays en guerre. Lorsqu'il a été tué, alors qu'il suivait l'insurrection, le régime syrien a expliqué chercher à détruire un centre de médias financé et équipé par les Israéliens. Gilles Jacquier travaillait pour la télévision publique française et était, lui aussi, très expérimenté. Il accompagnait des autorités de Damas. Les causes exactes de sa mort restent inconnues, mais les deux camps ont cherché à la récupérer à leur compte.

Huit mois après que ces deux journalistes aient été tués, la couverture médiatique de la guerre civile syrienne par des professionnels est remise en question. Envoyé spécial, la célèbre émission pour laquelle travaillait Gilles Jacquier, ne peut plus envoyer de reporters dans ce pays. Une équipe préparant son départ pour Alep a du renoncer. Trop dangereux pour France 2. Les journalistes indépendants, eux, continuent de se rendre en Syrie... à leur risques et périls. Régulièrement, ils partent sans avoir l'assurance d'avoir un diffuseur pour publier leur travail.

Travailler sous influence

La majeure partie des reportages rapportés de Syrie sont réalisés avec l'aide logistique de l'insurrection... Quand les images ne sont pas directement le fruit de militants locaux. Les médias occidentaux sont ainsi abreuvés d'un unique point de vue : celui des révolutionnaires. Une toute petite poignée de journalistes parvient parfois à rejoindre Damas pour interviewer des membres du gouvernement ou suivre les soldats syriens dans le but de raconter les histoires de vie et de mort de l'autre bord. Des failles que constatent beaucoup de journalistes.

« Nous suivons un camp, reconnaît le journaliste Etienne Monin, de France Info. Nous essayons d'être objectifs mais il ne faut pas se mentir. Mais que faire d'autre ? Il n'y a pas d'autre solution. C'est ça ou le black-out. »

Lorsque l'un des acteurs d'une crise décide de bannir, voir de prendre les journalistes pour cible comme c'est le cas en Syrie ou au Mali, c'est toute une partie de la grille de lecture de ce conflit qui disparaît. En Afghanistan, les Français n'ont que rarement eu l'occasion d'accéder au regard des insurgés. Les talibans et leurs supplétifs apparaissent presque systématiquement dans nos médias comme un ennemi sans visage sournois, éloigné, qui frappe dans l'ombre, toujours abrité au sein des populations civiles. Mais sur leurs motivations, sur leurs réseaux, sur leurs opinions … nous n'avons que d'épisodiques documents.

Ailleurs, en Somalie par exemple, les armées impliquées n'ouvrent guère leurs portes. Dans un reportage de Thomas Dandois, l'Amisom, la force de l'Union africaine chargée de protéger Mogadiscio, exhibe un enfant soldat capturé. Le petit combattant islamiste raconte sa prise de conscience des horreurs de son camp face caméra. Un coup de com' qui n'ira pas plus loin : sur le combat mené contre les milices islamistes d'Al Shebab, sur les opérations et l'action des armées kenyane et éthiopienne, déployées tout le long des frontières, silence. Les demandes des journalistes sont systématiquement noyées dans la paperasse.

Il n'est pourtant pas beaucoup plus facile de suivre les belligérants occidentaux. Etre accepté au sein des forces françaises demande toujours de montrer pate blanche. Pour obtenir une autorisation, il faut choisir un thème qui convaincra l'armée d'ouvrir ses portes au journaliste. L'émission de France 3 qui avait envoyé Hervé Ghesquière et Stéphane Taponnier, il y a maintenant deux ans, avait ainsi du s'engager à produire un documentaire « hommage aux troupes » … avant même d'engager tout travail d'enquête. Aujourd'hui, beaucoup de journalistes se voient refuser la couverture du désengagement de la Kapisa. Quelques rares élus de médias de grande taille devraient y accéder. Pour la majorité, il faudra attendre 2013 … si tout va bien.

« Tout le monde s'en fout »

Vendredi soir, plusieurs journalistes étaient interrogés sur le rôle de public et son intérêt pour la crise syrienne. Les photographes Laurent Van Der Stockt et Mani, qui reviennent de plusieurs reportages dans ce pays, cherchent à être optimistes : « Si tout le monde réclamait une prise de décision de la part de nos gouvernements, les choses bougeraient. Mais encore faudrait-il que nous lisions des journaux ». Plus cynique, l'Espagnole Mayte Carrasco, qui a suivi aussi bien les talibans que les insurgés libyens et syriens, conclut par ces mots durs : « Tout le monde s'en fou ». Même constat chez Etienne Monin : « Pour quel résultat nous faisons ça ? Aucun quand on voit la Syrie. Mais il faut que les gens sachent. Il faut qu'ils comprennent. C'est comme ca que l'on peut faire pression sur ceux qui décident. »

Face au désintérêt (supposé) du public, les rédactions hésitent à couvrir certains sujets. Certaines crises échappent ainsi à la médiatisation. Les rédactions ne se demandent plus ce que l'actualité leur impose comme priorités mais ce que le publi souhaite consommer. James Keogh, jeune photographe indépendant, témoigne ainsi de ses difficultés à raconter les combats qui ont agité le sud-Soudan : « La France ne partageant pas un passé historique fort avec le Soudan », « l'acceuil plutôt froid des rédactions ne présageait rien de bon ». Il partira avec peu d'espoirs de rembourser le voyage, évoquant sa « responsabilité de raconter les histoires pour qu'elles ne tombent pas dans l'oubli ».

Nic Robertson, l'un des lauréats de l'édition 2012 du Prix Bayeux-Calvados des correspondants de guerre, estime qu'il faut malgré tout continuer de couvrir ces crises. « Les journalistes jouent un rôle crucial. Il est de notre responsabilité d'alerter nos décideurs politiques. » Cette responsabilité, toujours, qui semble pourtant vaincue d'avance par le déséquilibre des forces. Le désintérêt du public et les réductions des budgétaires des rédactions tendent à précariser toujours un peu plus ce métier. Le journaliste de l'AFP Patrick Baz, vétéran de plusieurs guerres, de la Bosnie à l'Afghanistan, résume ainsi la situation : « De quoi vivent les journalistes correspondants de guerre ? D'adrénaline et d'eau fraîche ».

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