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Réforme fiscale pour les nuls

François Fillon a annoncé la semaine dernière que 300 000 foyers seraient exonérés de l'ISF, soit près de la moitié des foyers assujettis à l'impôt de solidarité sur la fortune. Mais le gouvernement pourrait aller plus loin dans sa réforme de la fiscalité et supprimer complètement l'ISF. Revue des arguments pour et contre cet impôt.

Nicolas Colin

Nicolas Colin

Nicolas Colin est ingénieur en télécommunications, diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris, ancien élève de l’Ecole nationale d’administration, inspecteur des finances. Il est actuellement associé fondateur de la société d’investissement TheFamily. Il est également administrateur de la branche numérique du Groupe La Poste et commissaire à la Commission nationale de l’informatique et des libertés, où il a été nommé par le Président de l’Assemblée nationale en janvier 2014. Auteur spécialisé dans la transition numérique de l’économie, il a co-écrit, avec Henri Verdier,L’Âge de la multitude, Entreprendre et gouverner après la révolution numérique (éd. Armand Colin, mai 2012) et, avec Pierre Collin (conseiller d’Etat), un rapport d’expertise sur la fiscalité de l’économie numérique, remis au Gouvernement en janvier 2013. Il est également enseignant à l’Institut d’études politiques de Paris. 

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Comme souvent en matière fiscale, le débat autour de l’impôt de solidarité sur la fortune (ISF) donne lieu à de fréquentes alternances entre arguments économiques et arguments moraux – des alternances si fréquentes et si subtiles que le débat devient difficile à suivre et que chacun, in fine, est laissé seul avec sa conviction intime : pour ou contre l’ISF ? Petit jeu de rhétorique...

ISF : ceux qui sont pour...

Voici un argument économique en faveur de l’ISF : les riches, parce qu’ils sont riches, investissent, créent de la valeur ajoutée, donc de la croissance, donc des revenus pour l’économie nationale. Il n’est donc pas opportun de taxer le patrimoine. Le faire, équivaudrait à ne pas les inciter à accumuler ce capital qui, réinvesti, contribue au développement du pays.

Et voici un argument moral : les riches, parce qu’ils sont riches, ont des hôtels particuliers à Neuilly, des chalets à Megève, des villas en Corse et des chasses en Sologne. Ces biens ne leur rapportent rien puisqu’ils les détiennent pour leur usage personnel. Il est donc illégitime de les taxer. Illustration : « Payer des impôts sur quelque chose que l’on détient mais qui ne vous rapporte rien… il fallait l’inventer ! » (Jean-François Copé aux lecteurs du Parisien, 1er février 2011).Et, comme en écho : « L’ISF est devenu un impôt absurde, puisqu’il taxe plus des gens qui disposent d’un patrimoine foncier qui ne leur rapporte rien que ceux qui ont une fortune en banque qui produit des dividendes colossaux » (Hervé Gattegno, journaliste au Point, 4 mars 2011).

Cherchez l’erreur. Dans un cas, le patrimoine est réinvesti et il génère une partie du revenu national. Dans l’autre, il ne rapporte rien du tout ou presque – sinon un peu de confort et beaucoup de sécurité pour celui qui le détient. Dans aucun des deux cas, il n’est légitime de le taxer.

... et ceux qui sont contre

Pour montrer comment arguments économiques et arguments moraux se mélangent, voici comment contrer l’argument économique en faveur de l’ISF par un argument moral, tiré des Evangiles : « S'étant assis face au Trésor, il regardait la foule mettre de la petite monnaie dans le Trésor, et beaucoup de riches en mettaient abondamment. Survint une veuve pauvre qui y mit deux piécettes, soit un quart d'as. Alors il appela à lui ses disciples et leur dit : ‘‘En vérité, je vous le dis, cette veuve, qui est pauvre, a mis plus que tous ceux qui mettent dans le Trésor. Car tous ont mis de leur superflu, mais elle, de son indigence, a mis tout ce qu'elle possédait, tout ce qu'elle avait pour vivre.’’ » (Mc 12 :41 et s.).

Et maintenant voici comment contrer l’argument moral par un argument rigoureusement économique : un patrimoine qui ne rapporte rien, c’est du capital mal investi, donc il est légitime de le taxer pour forcer son détenteur à le faire fructifier – un peu comme on taxe la pollution pour mieux la dissuader. Si l’on suit cet argument, l’ISF est un impôt favorable à l’allocation optimale des ressources dans l’économie. Mais cet argument porte bien peu et Thomas Piketty est probablement le seul qui parvient à le faire entendre dans le débat public.

Pourquoi les arguments moraux dominent-t-ils les débats, au point de coloniser jusqu’aux propos d’un journaliste, Hervé Gattegno, qui les énoncent sur le ton de l’évidence ? Tout simplement parce que tout débat fiscal est un débat moral, impossible à trancher en termes économiques.

Frank Luntz, stratège du parti républicain spécialiste de la formulation des messages, en a fait la démonstration en inventant le terme de « taxe sur la mort » (death tax) pour désigner les droits de succession aux Etats-Unis – et mieux convaincre l’opinion publique qu’il fallait les supprimer.

Quand la morale domine

Si l’argument moral domine, c’est d’abord parce qu’il résonne, que chacun se sent concerné. Bien sûr, personne ou presque n’a de villa en Corse et de chalet à Megève. Mais quiconque possède sa maison ou son appartement, qu’il considère à juste titre comme le « fruit de son travail », trouve illégitime d’avoir à payer des impôts dessus.

Si l’argument moral domine, c’est aussi et surtout grâce à sa cohérence avec un système de valeurs : il est cohérent de la part de Nicolas Sarkozy et de Jean-François Copé (et des journalistes qui relaient leur message…) de dénoncer l’imposition du patrimoine foncier, même improductif, par opposition à celui qui, placé « en banque », rapporte des « dividendes colossaux » – c’est la même chose que de défendre la vertu du capitalisme familial face aux vices du capital financier, comme Nicolas Sarkozy le fait très souvent.

Si la gauche a du mal à se faire entendre dans le débat sur l’ISF, c’est que, culturellement réticente à argumenter sur le terrain de la morale, elle s’enferme systématiquement dans des considérations économiques (imaginez-vous Benoît Hamon invoquant les Evangiles ?). Or les Français n’attendent pas de leurs dirigeants qu’ils leur donnent des cours d’économie, mais qu’ils les touchent par des arguments sincères, authentiques, résonants et cohérents. Purement culturelle, cette inégalité des armes entre la gauche et la droite fait parfois peine à voir, sur l’ISF comme sur tous les autres sujets qui feront l’élection de 2012.

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