Succession de Bernard Thibault : la CGT sur la pente de la monarchie héréditaire<!-- --> | Atlantico.fr
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Alors que le futur patron de la CGT doit être choisi début novembre, plusieurs noms circulent encore.
Alors que le futur patron de la CGT doit être choisi début novembre, plusieurs noms circulent encore.
©Reuters

Lutte finale

Le successeur de Bernard Thibault à la tête de la CGT devrait, en principe, être désigné début novembre. Eric Aubin est le grand favori, mais sa candidature déplaît à Bernard Thibault qui compte bien choisir son dauphin.

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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Dans les années 1780, la France a subi une réaction nobiliaire : alors que la société française tout entière aspirait à une ouverture politique, la cour de Versailles et la noblesse se raidissaient sur leurs privilèges et multipliaient les manoeuvres pour conserver le pouvoir. Cette réaction nobiliaire, particulièrement forte dans l'armée, fut l'un des facteurs explicatifs non de la Révolution, mais de sa violence, notamment vis-à-vis des porteurs de particules.

Vivons-nous en France une nouvelle réaction nobiliaire, où les élites, au lieu de manifester de l'empathie et d'accepter des concessions aux mouvements nouveaux de la société, les rejettent en bloc et se crispent sur leurs privilèges?

La succession en cours à la CGT constitue un très beau cas à analyser sous ce prisme. D'un côté, une organisation syndicale dont le fond revendicatif est traditionnellement favorable à un rapport de force direct et une défense sans concession des droits des salariés. Sur le site de la CGT, on lit par exemple, sur le droit de grève : "Il s’agit d'un droit de désobéir, d'un droit à la révolte, d'un droit à la résistance reconnu par la Constitution mais aussi par des textes internationaux et communautaires."

Les Français savent la portée de ce discours : la CGT est généralement en pointe pour porter les revendications sociales des salariés. Dans ses combats en entreprise, la CGT prône par principe la mise en avant, voire la prise de pouvoir par les salariés : dans la doctrine marxiste, ce sont les ouvriers qui font l'histoire par leurs revendications. Forte de cette tradition, la CGT a beaucoup étonné les analystes lorsque sa guerre interne de succession s'est déclarée.

Bernard Thibault, élu en 1999, souhaite passer la main, après 13 ans de mandat. Il l'a fait savoir et a marqué sa préférence, ce qui était son droit, pour une candidature féminine, en l'espèce celle de Nadine Prigent, toute jeune retraitée du secteur public. Le choix de ce profil en a étonné plus d'un : est-il judicieux de placer à la tête de l'un des deux plus puissants syndicats du secteur privé une figure peu connue et étrangère au secteur privé ? Quelle est la portée du signal ainsi envoyé ?

Il se trouve qu’une majorité semble s'être assez naturellement dégagée en faveur d'un autre candidat, venu du secteur du bâtiment : Eric Aubin, chargé du dossier des retraites. Pour quelle raison cette candidature a-t-elle hérissé les (nombreux) poils de Bernard Thibault ? Il semble que les observateurs les plus attentifs de la vie syndicale aient renoncé à trouver une explication rationnelle à ce qui est souvent présenté comme une réaction épidermique.

Il est possible que Bernard Thibault ait des explications convaincantes sur cette ténébreuse affaire, mais il n'a pas souhaité, à ce stade, les partager avec les acteurs de son écosystème syndical. Ce mutisme constitue un véritable obstacle dans la recherche d'un consensus, de telle sorte que les fédérations de la CGT ont majoritairement manifesté leur opposition farouche à l'accession de Nadine Prigent aux responsabilités.

Il y a encore quelques jours, la rumeur courait dans Paris selon laquelle Bernard Thibault, après avoir fait le deuil d'une candidature féminine (la responsable de la Vie Ouvrière s'étant elle-même mise hors course), mettrait sur l'établi le nom de Frédéric Humbrecht, ancien de la Fédération de l'énergie. Malheureusement pour le secrétaire général de la CGT, le juge d’instruction chargé d'enquêter sur le financement de la caisse centrale des activités sociales des industries électriques et gazières a décidé de renvoyer l'affaire en correctionnelle. Il est fort probable que cette décision mette notamment Frédéric Humbrecht en position de devoir fournir des explications.

La rumeur court maintenant sur une tentative de mise en course de Thierry Lepaon, représentant de la CGT au Conseil économique, social et environnemental, qui s'était illustré par un discours d'intronisation particulièrement tonitruant. Ancien délégué syndical de Moulinex, il pourrait constituer une alternative possible, à condition qu'une majorité se forme autour de lui.

Cette obstination à vouloir imposer une candidature venue du haut au détriment d'un candidat porté par la base ne manque pas d'interroger. Que les grands partis de gouvernement considèrent que le pouvoir n'émane pas du peuple, mais d'une décision prise depuis le sommet du parti est une chose. Que l'UMP limite de fait le droit de se porter candidat à sa présidence, que le PS organise une succession de toutes pièces sans consultation des militants, est au fond une suite logique et naturelle à des réflexes aristocratiques.

Mais que la CGT, à son tour, multiplie les manœuvres pour déposséder la base de son droit de choisir, c'est un bien étrange travers. Un signe des temps. Celui d'une crispation généralisée du pouvoir face à la montée des contestations. Que nous devons sans doute analyser comme la marque d'une généralisation de cette fameuse réaction nobiliaire.

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