L'Eglise 200 ans en retard : questions sur l'authenticité de l'interview posthume du cardinal Martini<!-- --> | Atlantico.fr
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Le cardinal Carlo Maria Martini, ancien archevêque de Milan, est mort le 31 août à l'âge de 85 ans.
Le cardinal Carlo Maria Martini, ancien archevêque de Milan, est mort le 31 août à l'âge de 85 ans.
©Reuters

Oraison moderne

Dans une interview posthume, le cardinal Martini fustige une Eglise qui "a 200 ans de retard". Un discours très progressiste, repris par une grande partie des médias. Mais un entretien dont personne ne peut vérifier l'authenticité.

Rodolphe Bachelart

Rodolphe Bachelart

Rodolphe Bachelart est cinéaste et spécialiste de la question religieuse.

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Atlantico : Dans une interview posthume au quotidien italien Corriere della Serra, le cardinal Martini, décidé le 31 août, fustige les positionnements d’une Eglise de moins en moins en phase avec les croyants : "L'Eglise a 200 ans de retard ! Pourquoi ne se réveille-t-elle pas ? Avons-nous peur ?", aurait-il déclaré à des "amis", trois semaines avant sa mort. Atteint de Parkinson et quasi aphone, le cardinal Martini a t-il pu s'exprimer dans les termes retranscrits dans l'entretien et tenir un discours politique aussi construit ?

Rodolphe Bachelart : Oui. La puissance de sa pensée intérieure est telle et correspond si bien à tout ce qu'il a dit et écrit qu'il ne fait aucun doute que ce séisme du verbe est bien de lui. Il y a pu avoir manipulation ici et là, pour toucher Benoît XVI et faire le buzz sur la supposée incurie de sa gouvernance conservatrice et sa coupure avec sa base catholique mais, comme avec les écrits de Sainte Catherine de Sienne, dont une partie des dialogues aurait été retouchée, cela ne change rien à sa pensée. Mais attention, sa vision politique était de redonner à l'espace public une large audience, les conditions nécessaires pour viser plus haut. Car sans ces conditions, l'Eglise comme miroir de la cité de Dieu est inaudible pour beaucoup et devient un double inversé. D'où sa colère rentrée et son combat.

A la fin de sa vie, malgré son opposition avec le pape, certains affirment que le cardinal était plus pieux que jamais. Cela remet-il en cause l'authenticité de l'interview, où il apparaît plus politique que religieux ?

Non. Il était dans une sorte d'oraison modern à la Sainte Thérèse de Lisieux, qui préférait plus dialoguer avec les athées que les catholiques de son temps. Elle dénonçait l'arrogance de ces derniers, alors qu'avec les athées, il fallait dialoguer ferme et rester clair. Une position qui se tient, car c'est par son contraire qu'on renforce sa foi et qu'on peut amener au dialogue des incroyants, par exemple.

Pieux dans sa vision moderne, ce serait une espèce d'état de sincérité active adaptée à son époque, comme le préconise St Dominique. Et puis, il faut dire que sentant la mort arrivée et les forces le perdre, on commence à ne tenir que par la puissance de sa foi. C'est l'heure de vérité qui approche. Une attitude somme toute normale pour un prince de l'Eglise. Je crois vraiment qu'il a bataillé jusqu'à son dernier souffle tout en restant un méditatif éclairé. Un état nourrissant l'autre. C'est cela la nature spirituelle.

Comment expliquer la publication de cet entretien 24h après sa mort ?

Le mystère reste entier. J'aimerais que cela soit le fruit de la pudeur divine, mais il est possible qu'il ait voulu frapper fort dans une sorte de dernier coup posthume. Une sorte de revanche. Il y a du panache dans son geste, un appel à ne jamais oublier ceux qui souffrent d'être hors de l'Eglise alors qu'ils aimeraient être enfin reconnus et compris : les petits, les sans grades, les femmes, les divorcés, la majorité, en fait, soumis aux règles séculières, où le pouvoir n'est plus vertical avec l'Eglise, au centre, mais horizontal et éclaté ; l'Eglise étant devenue une chose parmi d'autres.

Le cardinal Martini était un Jésuite. Quelle a été la réaction de cet ordre à la publication de l'entretien ?

Ils ont aussitôt replacé l'homme dans son contexte historique pour mieux adoucir ce dernier texte. Lui donner des nuances et faire de lui les deux faces d'une même pièce. Un peu comme la sainte de Calcutta dont on a découvert après sa mort qu'elle avait perdu la foi mais que, malgré tout, elle avait joué le pari de Pascal. Il est vrai que, pour un monde sécularisé, de la raison triomphante et qui aime les étiquettes, doublé d'une Eglise qui se cherche des directeurs d'âmes, ça fait un peu désordre.

Mais c'est aussi le signe que notre monde, parmi ses élites, a perdu beaucoup de sa mémoire spirituelle. A l'époque de St Thérèse d'Avila, les cours européennes s'arrachaient ses écrits mystiques. Aujourd'hui, on en est bien loin, et l'acculturation a gagné beaucoup de terrain. Mais pour dire vrai, l'Eglise a toujours été traversée par des débats d'une grande violence. Mais il faut comprendre pourquoi. Il est très difficile de faire la synthèse entre les biens spirituels et temporels. Dieu parle par énigme et demande à ses Princes de trancher. Les contradictions sont nombreuses, d'où beaucoup d'incompréhensions des deux camps. En fait, c'est un combat sans fin, toujours renouvelé.

Etait-il nécessaire de créer un émoi médiatique à l'heure du deuil ?

Il faut déplacer le débat plus loin et viser plus haut. Ce débat révèle une fracture entre le monde médiatique, où se cache une société du relativisme, et l'Eglise dans ses courants, ou plutôt une façon de parler le monde, le penser et le vivre jusqu'à la question de la mort. Libération ou néant ? Ce qui se joue, c'est la bataille de deux visions du monde. C'est une bataille médiatique et consumériste du monde, qui s'ajusterait selon la conscience de chacun, face à une vision intérieure et libre que peut incarner la parole de l'Eglise dans toutes ses composantes complexes.

On sent que le monde contemporain cherche à se légitimer par tous les moyens, dont, entres autres, par les représentants de Dieu, un des derniers bastions de l'ancien monde, avec ses règles et ses interdits, mais aussi ses espérances. Il y a du poker menteur là-dedans. Un peu comme les Anglais qui ont voulu faire passer Jeanne d'Arc pour une sorcière pour ne pas que le peuple pense que Dieu était avec elle et non avec les Anglais. Ce qui je joue est donc une légitimité, une grille de lecture du monde et de son application concrète. Mais, le débat ne sera jamais tranché.

Il faut se souvenir aussi de la phrase écrite par sainte Thérèse d'Avila, grande mystique espagnole du 16e siècle devenue docteur de l'Eglise, qui demanda au Christ : "Pourquoi moi ?" "Parce que je sais que toi tu m'écouteras, alors qu'eux ne m'écoutent pas". Le Christ a pour habitude de faire naitre des saints, des prélats, selon que la situation de l'Eglise ou du monde l'exige. Est-ce que le Cardinal Martini faisait partie de ses êtres là ? Etait-il une âme royale inspirée par la parole de ce Dieu vivant qui aurait insufflé Vatican II ? Seule l'histoire nous le dira. En tout cas c'est Jean-Paul II qui l'intronisa. Mais dans quelle mesure ?

Quoi qu'il en soit, l'heure est grave, la dé-spiritualisation occidentale avance à grands pas et le Cardinal Martini parait bien avoir pris la mesure de ce problème. La technologie numérique accélérant ce processus d'un verbe désincarné par la puissance du virtuel. Mais, en tout exégète et fin spirituel qu'il était, il ne pouvait pas ne pas savoir que les chemins qui mènent à l'enfer sont pavés de bonne intention. Malgré toute son intelligence de la situation, le cardinal Martini savait qu'on ne peut se fier totalement à son intelligence si profonde soit elle, ni bouger une Eglise avec ses 2000 ans d'histoires d'un claquement de doigts. Il avait besoin de cette autre Eglise, représenté par benoit XIV et plus amoureuse de Moyen-âge et son ordre chrétien que du monde contemporain et éclaté.

Voilà pourquoi il a tout fait pour essayer de la changer de l'intérieur et, dans ce cadre-là de sa pensée, il était l'espoir caché de beaucoup de catholiques de base dont la majorité est composée de femmes. Le problème des médias et du bon samaritain actuel, c'est qu'ils ne savent plus rien sinon que quelque chose ne va plus, quelque chose a été perdu. Mais quoi ? Tout le monde s'accroche à ce qu'il peut, face à ce nouveau monde appelé la mondialisation et dont on ne sait quoi en penser sinon qu'il faut s'adapter. Devant cette impasse de la pensée moderne, l'Eglise a sa carte à jouer depuis le fin des grandes idéologies, mais elle a toujours cette tentation des bondieuseries qui minent son message.

Mais je vais vous avouer un secret. Quand le cardinal Martini dit « L'Eglise a 200 ans de retard ! » on a l'impression qu'il parle de L’URSS du temps de sa nomenklatura pompeuse. C'est ce côté radical, violent, qui dérange et qui plait tant au médias qui paraissent le découvrir alors qu'il n'a jamais cessé d'être lui-même. Le Cardinal Martini voulait que la confession soit un acte de courage. Qu'on n'arrive pas avec une liste de péchés à répéter. Il n'était pas pour une Eglise absolument disciplinaire, préoccupée des canons plus que de l'évangile ; il était dans la droite ligne d'une Françoise Dolto, la pédopsychiatre catholique qui avait écrit L'évangile au risque de la psychanalyse. Confronter les évangiles à Freud et Yung, pour faire court. Oui, le Cardinal Martini était un homme de son temps. Il y avait aussi du cardinal Lustiger dans Martini.

Grande intelligence en avance sur son temps, Lustiger, avec la création de KTO, en lutte contre la pensée dominante mais avec une position ferme sur les principes d'humilité, d'écoute, de pardon, de charité, d'audace, quelque soit la personne ou la situation en face. Les médias rêvent d'arracher à l'Eglise le mot liberté dans sa variété de nuances pour en faire un monopole. Ce que l'Eglise lui contestera toujours, la vrai liberté étant de nature spirituelle pour elle. Encore faut-il y avoir des hommes qui inspirent cette liberté d'âme et de soif de vérité.

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