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Renaultgate : la faillite
des contre-espions privés
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OSS 117 & l'inspecteur Clouseau

Les officines privées pensaient pouvoir supplanter les services de renseignement officiels, dans l'affaire des documents sur le programme voiture électrique volés chez Renault, soit disant par des cadres de l'entreprise.. A tort...

Matthieu Frachon

Matthieu Frachon

Matthieu Frachon est journaliste, spécialiste de l’Histoire de la police.

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Ainsi donc les espions qui auraient détourné le fleuron de notre technologie automobile n’en étaient peut être pas ! Si l’on résume cette affaire, ce « Renaultgate », on a au départ une formidable publicité pour l’intelligence économique : Cette prétentieuse terminologie recouvre ce que l’on nomme depuis longtemps l’espionnage industriel et surtout le moyen de le contrer. Grosso modo trois cadres du constructeur automobile auraient vendus des informations confidentielles à de mystérieux « intérêts étrangers ».

Tout le monde a reconnu le péril économique jaune derrière ce vocable et l’affaire a vite basculé dans une sorte de James Bond sauce Billancourt. Renault se félicitait de l’enquête « interne », les trois espions étaient promptement débarqués, la Chine n’aura pas mis la main sur notre technologie, nous sommes impénétrables ! Et les détails s’accumulent : Des comptes au Liechtenstein, des informations crédibles, une plainte au pénale contre les traitres…

Mais voilà qu’un bug a fait capoter cette grande réussite du contre-espionnage économique : Le DG de Renault, Patrick Pelata est allé en personne à Matignon expliquer que « et bien, finalement, comment dire…, on n’est plus tout à fait sûrs, il semblerait que… », bref les espions n’en sont peut être pas et Renault a l’air ridicule !

La folle histoire de l'intelligence économique

Toute cette affaire  nous apprend a regarder encore une fois en arrière : Lorsque François Vidocq est « démissionné » de la Sûreté en 1832, il crée la première agence de détective en France. Il la baptise « Bureau de renseignements universels dans l’intérêt du Commerce ». Au début de la Révolution Industrielle, l’espionnage économique prend son essor et Vidocq sait bien que la police, qui a comme souvent un train de retard, est un peu lente à l’allumage. A cette époque, l’escroc industriel fait rage et Vidocq entend démasquer les faux inventeurs, ceux qui obtiennent des crédits bancaires illicites, qui volent les brevets…

Puis, bien plus tard, vient l’espionnage industriel au profit des États. On se souvient qu’en 1967, le directeur du bureau parisien d’Aeroflot fut arrêté en possession de plans détaillés du Concorde. Un an après, le Tupolev TU 44 prit son envol un an avant la sortie du supersonique franco-britannique. On expulsa le Soviétique et quelques « diplomates » pour faire bonne mesure, et Concordski, surnom du frère jumeau du Concorde, connut une carrière désastreuse après un terrible accident au Bourget. Le Général de Gaulle félicita les services de la DST et de la DGSE alors en charge du dossier.

Le partage officines privées - services de renseignement

Rien de neuf, si ce n’est que l’Etat s’est depuis Vidocq doté d’un outil performant en matière de contre-espionnage, un outil désormais regroupé par la volonté du président Sarkozy au sein de la DCRI, la Direction Centrale du Renseignement Intérieur. Or depuis la chute du mur de Berlin, l’espionnage ou plutôt l’intelligence économique a bien évolué. Comme me l’a expliqué Jean Paul Ney* :

« Toute une flopée d’officines privées sur le modèle américain se sont créées en France après le 11 septembre. Notamment GEOS, dans laquelle figure l’ancien Général Jean Heinrich, créateur de la Direction du renseignement militaire et ex-patron du service action de la DGSE. De nombreuses entreprises ont donc confié leur sécurité interne à ces officines privées, estimant ainsi être mieux protégées ».  

Une sorte de marché s’installe, croit-on alors : Les services officiels s’occupent du terrorisme et des affaires d’Etat, les agences privées prennent la sécurité économique en compte, en comptes lucratifs.

Mais l’irruption de ces officines s’accompagne également d’une petite guéguerre politique. En 2003, les fidèles du président Chirac se retrouvent dépossédés de l’appareil du renseignement au profit de Nicolas Sarkozy, ministre de l’Intérieur. « Lorsque Nicolas Sarkozy crée la DCRI, de nombreux chiraquiens purs et durs se recasent dans ces officines et tentent de torpiller l’officielle DCRI sur fond de mainmise sur le renseignement » poursuit Jean-Paul Ney.

DCRI 1 - Privé 0

Or, depuis le début de notre Renaulgate, la DCRI ne cesse de clamer à mots couverts que le dossier est vide, qu’il ne repose sur rien et que l’honorable correspondant de l’officine privée s’est fait manipuler. Une affirmation qui m’a été confirmée par un ami cadre chez Renault qui explique ce qui ressemble fort à une équipée d’apprentis James Bond :

« En fait les trois cadres étaient dans le collimateur et la personne chargée d’un audit s’est fait intoxiquer par un responsable. De soupçons on en est venu à l’accusation. J’ai vu cette société d’intelligence économique à l’œuvre : On a l’impression qu’ils sont en guerre avec les services officiels, ils sont peut être très fort pour des analyses ou des sondages, mais pour le reste… L’atmosphère est irrespirable chez Renault depuis leur passage ».

Honoraires démesurés, efficacité à prouver, le règne des officines privées anti espionnage n’est peut être pas terminé, mais leur image vient de sortir passablement écornée de cette loufoque affaire. Quelques mois après avoir paradé, affirmant que la DCRI n’avait plus la maîtrise du renseignement économique, ça fait désordre.  Le score est sans appel DCRI 1 : Secteur privé 0.

Un dernier point d’Histoire, on y revient toujours : Renault n’en est pas à ses premiers pas dans l’espionnage. La firme a joué un rôle central dans l’affaire Farewell : Le correspondant du colonel soviétique était un ingénieur de chez Renault en poste à Moscou.

*journaliste spécialiste des questions de défense, auteur de Souriez, on vous espionne aux Edition du Cherche Midi.

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