4 ans après la crise, la fracture : le Sud de l'Europe est-il sur le point de se révolter contre l'Union pour survivre ?<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Des Grecs manifestent contre les mesures d'austérité imposées par l'Europe à leur gouvernement.
Des Grecs manifestent contre les mesures d'austérité imposées par l'Europe à leur gouvernement.
©Reuters

Les Dantons du Sud

Retour sur les conséquences de la crise sur l'Union européenne. Quatrième épisode : quand mettrons-nous fin à la dépendance des Etats vis-à-vis des marchés en donnant le pouvoir à la BCE de prêter aux Etats ?

Pascal De Lima et Gwenaël Le Sausse

Pascal De Lima et Gwenaël Le Sausse

Pascal de Lima est économiste en chef et enseignant à Sciences Po et HEC. Il collabore occasionnellement avec Gwenaël Le Sauss, étudiant à Sciences Po, pour ses écrits.

Voir la bio »

A (re)lire, les épisodes précédents :
1 - Pourquoi le monde n'est-il plus le même ? Premier volet : les chiffres et les po
litiques économiques.
2 - La crise, 4 ans après : l'Europe abandonnée par les Européens
3 - La crise, 4 ans après : la vérité des chiffres

La zone euro baigne dans un système dépassé dont la survie nécessite une Révolution économique européenne et non quelques mesurettes comme la France en son temps a eu besoin d’une Révolution française face à un Ancien régime archaïque dont les timides réformes ne suffisaient plus. Danton déjà nous l’enseignait : « Pour vaincre, il faut de l’audace, encore de l’audace, toujours de l’audace ! »

Depuis sa création, la zone euro est soumise à une idéologie ordolibérale venue d’Allemagne. L’objectif de ce modèle est de privilégier une politique d’offre plutôt qu’une politique de demande, c’est-à-dire une politique misant sur la compétitivité des entreprises pour mieux exporter, plutôt que sur l’élévation du niveau de vie des travailleurs, qui relance la consommation. On reconnait bien là la stratégie économique des pays du Nord et celle de ceux du Sud. Ces deux modèles nécessitent des politiques monétaires différentes. Or, pour des raisons avant tout politiques, ces pays partagent une monnaie unique, l’euro, devenu Deutschemark-bis par la volonté allemande qui a su imposer sa politique monétaire. La surévaluation de cette monnaie ajoutée à l’exigence d’équilibre budgétaire, et l’interdiction faite aux Etats d’emprunter auprès d’une banque centrale, devient alors une arme idéologique visant à imposer le point de vue économique allemand au reste du continent.

Les Etats du Sud ont préféré ignorer ces entraves et ont fait le choix de l’endettement massif pour soutenir leur modèle. Dès lors il y a décalage entre l’idéologie dominante des institutions européennes et la réalité économique de toute une partie des Etats membres. La crise économique de 2008 a mis en évidence ce décalage fondamental. Le système est alors arrivé à bout de souffle. L’idéologie ordolibérale allemande ayant donné le dernier mot aux marchés financiers, les Etats sont soumis aux exigences de rigueur de ces derniers. Ecartelés entre l’exigence de comblement des déficit et l’imposibilité de se financer à bas coût, les Etats ne peuvent plus empêcher le redoublement de la crise au sortir de chaque « sommet européen de la dernière chance ».

Ces sommets ne se résument finalement qu’en d’habiles campagnes de communication, où les gouvernements cherchent en même temps à calmer la colère de leurs citoyens et rassurer les marchés. Mais très vite, puisqu’aucune réforme n’est engagée dans le sens de la croissance, c’est-à-dire contre l’ordolibéralisme et contre le fonctionnement actuel de la Banque Centrale Européenne, citoyens et marchés s’aperçoivent de l’inefficacité des mesures prises et grondent contre les Etats.

Aucun modèle alternatif à celui de l’ordolibéralisme n’est sérieusement proposé, par crainte du courroux Allemand. Au lieu d’une révolution du fonctionnement des institutions économiques européennes, on se contente d’un fond d’urgence ridicules et d’effets d’annonce. Pendant ce temps, à peine la page du sommet européen est-elle tournée que les taux d’emprunt à dix ans espagnols s’envolent à nouveau. Toutes ces négociations et cette tension n’auront servi une nouvelle fois qu’à gagner une semaine de répit face aux marchés financiers. « De grâce, monsieur le bourreau, encore un petit moment » disait Madame Du Barry sur l’échafaud.

Pour échapper à la guillotine des marchés financiers la seule solution est de renverser le rapport de force entre Etats et marchés. La dépendance des Etats vis-à-vis des marchés, voulue par l’ordolibéralisme n’est pas une fatalité et appelle à une grande révolution économique européenne, c’est-à-dire, à un changement radical de philosophie générale des institutions européennes : il faut substituer aux prêteurs privés un prêteur public. La BCE est toute désignée pour remplir ce rôle. Certes, cela pourrait favoriser l’irresponsabilité des Etats peu rigoureux, mais l’urgence sociale, humaine, voire civilisationnelle nous l’impose. Une telle Révolution devrait également comprendre une véritable union bancaire et un droit de regard, rigoureux mais bienveillant, sur les budgets nationaux.

Que pourrait faire la nouvelle BCE ? D’abord quelques rappels : la crise de la dette publique s’aggrave et va continuer de s’aggraver sans une nouvelle BCE. Toutes les autres solutions seront vouées à l’échec parce qu’elles ne prennent pas en compte les ordres de grandeur faramineux qui sont en jeu. La BCE doit changer de registre : au lieu de réagir aux événements pour rassurer les marchés à court terme, elle doit garantir partiellement les dettes publiques de la zone euro en les restructurant. On n’aurait pas du laisser la Grèce et le Portugal s’aventurer au FMI car cela complique tout idée de restructuration des dettes ! Il y a une institution qui ne devrait connaître aucun problème pour mobiliser les ressources nécessaires et contribuer à la restructuration des dettes en son seing : la BCE par la garantie des dettes. La BCE doit aussi intervenir en modifiant le cadre de ses opérations de refinancement en développant les procédures d’appel d’offre à taux fixe pour que les banques et non la BCE déterminent les liquidités dont elles ont besoin. Ceci permettrait de pallier aux insuffisances de liquidités du marché monétaire. Il faut aussi imaginer un quantitative easing à l’américaine de rachat d’actifs sans stérilisation. Enfin, dans la mesure où les opérations d’achat par le FESF/MES de dette publique avec un pilotage de la BCE sont prévues depuis les sommets du 28 et 29 juin, pourquoi ne pas imaginer directement que ce rôle soit attribué à la BCE tout court ?  

Mais restons conscient qu’à l’heure actuelle, presque rien n’est fait dans le sens de cette libération de la BCE. La tête de la zone euro reste sur le billot du bourreau financier à cause des crispations allemandes. Les sanctions contre les excès des Etats du Sud restent contre-productives. Les derniers chiffres de l’économie allemande, assez inquiétants, le prouvent. Les bourreaux d’aujourd’hui ne seront-ils pas les victimes de demain si nous ne changeons rien ? La politique d’austérité à l’échelle d’un continent présente en tout cas cette caractéristique commune avec Saturne qu’elle dévore ses propres enfants. Chômage, récession, déficit budgétaire, voilà les fléaux économiques qui s’abattront sur l’économie Allemande elle-même si cette Révolution économique Européenne n’est pas engagée au plus vite. Un modèle qui ruine ses propres clients n’est pas viable.

« Tu me suivras ! » lançait avec raison Danton à Robespierre sur le chemin de l’échafaud. Aujourd’hui, c’est tout le Sud de l’Europe, en route vers la récession, qui adresse ce même message au Nord et à l’ordolibéralisme Allemand. « Tu me suivras ! ».

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !