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Envolée du prix des céréales :
qu’y peuvent les gouvernements ?
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Marché instable

Les prix du cours du blé et du maïs ont considérablement augmenté à la suite de mauvaises récoltes qui ont touché les États Unis et la Russie.

Marcel Mazoyer

Marcel Mazoyer

Marcel Mazoyer est Ingénieur agronome et Ingénieur des Eaux et Forêts. Il est Professeur à l’Université Paris XI, professeur émérite à AgroParisTech.

Marcel Mazoyer est aussi consultant dans de nombreuses organisations paysannes, de la FAO, de la Banque Mondiale, de l’OCDE, de la Commission européenne et de plusieurs  gouvernements, il a conduit de nombreuses recherches relatives à l’économie agricole, au développement des systèmes agraires, aux marchés des produits et aux projets, programmes et politiques de développement agricole et rural, dans plus de trente pays

Marcel Mazoyer a coécrit avec Laurence Roudart Histoire des agricultures du monde : du néolithique à la crise contemporaine

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Atlantico : Les cours du blé et du maïs ont considérablement augmenté. L'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO) prévient que "les prix vont rester élevés". Mais peut-on vraiment parler d’une envolée des prix ?

Marcel Mazoyer : Pas du tout. On parle d’une envolée des prix quand le cours d’une denrée double ou triple. En 1972-73 par exemple, le prix du blé, du maïs et du soja est passé de 200 euros la tonne à 600 euros. Plus récemment, en 2007-2008, le prix du blé est passé de 100 euros la tonne à 300. Le prix a été multiplié par trois. Cette flamblée résultait à l’époque d’une pénurie significative et d’une forte spéculation.  

Là, on fait face à une augmentation des prix comme il s’en produit quasiment une année sur trois. L’amplitude est beaucoup plus faible, de l’ordre de 20 à 30 % du prix de l’année dernière. Le prix au mois de juillet d’une tonne de blé était de 200 euros, contre 250 au mois d’août. Cette montée des prix s’explique par la sécheresse, qui a entraîné une très mauvaise récolte aux États-Unis et en Russie, deux grands producteurs de céréales. Quand la récolte est bonne, les prix baissent. Il n’y a donc pas envolée des prix mais une variation interannuelle normale.

Concrètement, comment expliquer cette variation des prix ?

D’abord, il faut savoir qu’on connaît une baisse historique du prix des produits agricoles depuis la Seconde Guerre Mondiale. Le coût de revient des denrées produites par les entreprises les plus compétitives, seules capables d’exporter sur un marché international limité (10% de la production mondiale), a été divisé par plus de 6. Et, en conséquence, le prix international réel de ces mêmes denrées a aussi été divisé par 6.

Au lendemain de la guerre, la tonne de blé était à 600 euros ; au début des années 2000, on est parfois tombé à moins de 100 euros la tonne sur le marché international.

Cette chute du prix s’explique par la modernisation des secteurs de l’agriculture mondiale qui approvisionnent le marché international. Au cours des années 80, les prix à la tonne baisse à nouveau malgré la crise de 72. De nombreux investisseurs venus de tous les horizons, ont profité de la libéralisation des politiques agricoles et des échanges agricoles internationaux pour installer de grandes entreprises agricoles dans les pays peu ou pas exploités, où les prix de la terre et de la main d’œuvre sont extrêmement bas.

De grandes entreprises se sont installées dans de nouveaux pays comme le Brésil, l’Argentine, l’Ukraine ou encore l’Indonésie et ont permis d’accélérer cette réduction à moins de 100 euros la tonne. Grâce à un prix de location des terres beaucoup plus faible, ces entreprises ont accumulé énormément de parts de marché. Cette diminution des prix a réduit considérablement le nombre d’agriculteurs qui ont été découragés et exclus par le marché.

Ainsi, la cause de l’insuffisance de revenu de centaines de millions de paysans, sous-équipés et peu productifs, c’est d’abord la faiblesse des prix auxquels sont payés leurs produits. Des prix qui sont généralement beaucoup trop bas pour leur permettre d’investir. Ce qui les pousse massivement à l’exode, au chômage, à la précarité urbaine et à l’émigration.

En outre, face à une baisse des prix aussi importante, on assiste environ tous les 25 ans à une envolée des prix. En effet, lorsque la baisse des prix s'accentue pendant plus de deux décennies, cela ne provoque pas seulement l’appauvrissement et l’exode des producteurs agricoles les plus démunis, cela stoppe les investissements de la plupart des autres et cela décourage même les investissements des plus compétitifs. Au total l’ensemble des investissements agricoles se trouve donc réduit et la production ralentit, alors que la consommation de produits agricoles alimentaires et autres, peu élastique, continue d’augmenter assez régulièrement.

Moyennant quoi, les stocks de report (d’une campagne sur la suivante) baissent et se rapprochent d’un seuil (60 jours de consommation) qui paraît insuffisant aux opérateurs avertis, surtout si de surcroît les prévisions de récolte sont mauvaises. Auquel cas, ces opérateurs précipitent leurs achats, ce qui fait doubler les prix.

Contrairement aux États-Unis et à la Russie, la France a fait une bonne récolte de blé cette année. Face à cette augmentation des prix, quels peuvent être les marges de manœuvres du gouvernement ?

Si on en croit les propos du ministre de l'Agriculture Stéphane Le Foll sur RTL "des négociations sont en cours avec les céréaliers". La France va suivre les accords du G20 qui visent à réunir un Forum de réaction rapide si la situation s'aggrave.

Il est nécessaire que les céréaliers fassent un effort pour aider les éleveurs. L’Europe et Bruxelles ont aussi un rôle à jouer, ils peuvent apporter un soutien aux céréaliers et aux éleveurs.

L’augmentation de la consommation par les pays émergents ne peut-elle pas expliquer cette variation ?

C’est une autre fausse image véhiculée. La consommation mondiale augmente faiblement, de 1,5 à 2 % par an. Par contre, cet accroissement concerne bien une demande qui provient de l’émergence de la classe moyenne en Chine au Brésil ou en Inde.

Encore une fois, la variation actuelle des prix s’explique par une petite pénurie liée à la mauvaise récolte des pays producteurs États Unis, Russie, Ukraine. C’est une variation significative mais je le répète, ce n’est rien d’extraordinaire.

L’augmentation des prix accentuerait la faim... Combien de personnes sont touchées par la faim lors des périodes de pénurie ?

Sur 7 milliards d’êtres humains, il y a aujourd’hui quasiment 3 milliards de gens qui n’ont pas assez de revenu pour se nourrir convenablement. 2 milliards souffrent gravement de malnutrition (ils accumulent énormément de carences en micronutriment).

Il faut aussi distinguer les hommes qui souffrent de la faim. On compte 925 millions d’individus qui ont une insuffisance calorique. Chaque année 9 millions de personnes meurent de la faim. Les 70% de ces gens sous-alimentés sont des ruraux. Les 25% sont des anciens ruraux condamnés à l’exode qui vivent maintenant dans des bidonvilles. Ils sont chômeurs ou vivent dans la précarité.

L’augmentation des prix des aliments soulève à nouveau le débat des agro-carburants. D’après-vous, l’éthanol est-il responsable de la hausse des prix du maïs ?

La production d’éthanol a été développée au cours des dernières décennies. Le Brésil qui a la plus grande expérience en la matière a commencé à produire de l’éthanol à base de canne à sucre en 1975.

Lors de l’envolée des prix de 1972-1973, la production d’éthanol n’existait pas ou seulement à l’état expérimental. La crise de 2007-2008  fait face au même phénomène. Comme je l’ai dit auparavant, ces deux crises résultent d’une baisse considérable des prix. Néanmoins, cette fois-ci l’éthanol avait une part dans la production / consommation de céréales.

Par contre, avec ou sans production d’éthanol, cette envolée des prix ce serait produite de toute manière. Ce n’est donc pas l’éthanol qui est fautif dans l’augmentation des tarifs mais la baisse du prix qui a touché le secteur pendant 25 ans.

L’augmentation des prix de 2012 n’est pas non plus due à l’éthanol. Elle résulte d’une baisse de la production aux Etats-Unis et en Russie. En ce qui concerne l’éthanol, la production n’a pas augmenté. Au contraire, le Brésil grand producteur, était par exemple en situation de pénurie il y a quelques mois. En période de difficulté d’approvisionnement, les biocarburants pèsent car c'est une demande supplémentaire. Les consommateurs pauvres sont alors plus vulnérables. La vraie question ne vient pas de l’éthanol mais de la pauvreté. Il faut casser la machine à casser des pauvres.

On a attaqué les États-Unis qui sont un grand producteur d’éthanol à base de maïs. Les Etats-Unis ne représentent que 1/3 de la production de maïs dans le monde. L’éthanol n’a pas participé au bond des prix en 2006-2007. A long terme,  si dans un futur on manque de terres (ce n’est pas le cas en ce moment) la question se posera de savoir si on doit continuer à produire de l’éthanol, mais aussi tout autre produit qui n’entre pas dans la consommation, comme le coton par exemple…

Propos recueillis par Charles Rassaert

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