La normalité hollandaise : atout en campagne mais piège dans l’exercice du pouvoir <!-- --> | Atlantico.fr
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La cote de popularité de François Hollande a baissé de deux points en août par rapport à juillet, à 54%, selon le baromètre mensuel Ifop pour le JDD.
La cote de popularité de François Hollande a baissé de deux points en août par rapport à juillet, à 54%, selon le baromètre mensuel Ifop pour le JDD.
©Reuters

Ohé, ohé, capitaine abandonné

L'érosion des cotes de confiance de François Hollande et Jean-Marc Ayrault se confirme. En choisissant de banaliser la fonction présidentielle, François Hollande a pris le risque de ne pas bénéficier de l’onction du pouvoir, au moment où il en a pourtant besoin pour inspirer confiance.

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet

Jean-Paul Mialet est psychiatre, ancien Chef de Clinique à l’Hôpital Sainte-Anne et Directeur d’enseignement à l’Université Paris V.

Ses recherches portent essentiellement sur l'attention, la douleur, et dernièrement, la différence des sexes.

Ses travaux l'ont mené à écrire deux livres (L'attention, PUF; Sex aequo, le quiproquo des sexes, Albin Michel) et de nombreux articles dans des revues scientifiques. En 2018, il a publié le livre L'amour à l'épreuve du temps (Albin-Michel).

 

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Avec le précédent président, les Français avaient choisi le changement, la rupture, le mouvement : la crise n’était pas encore là. La France était prête à tous les risques, même celui d’élire à sa tête un homme pas comme les autres, déterminé, aventureux. Et pour certains « follement » audacieux.

Et puis la crise… Et l’inquiétude pour son emploi, son futur, celui de ses enfants. Et toutes ces transformations qui font de la planète un village - le globe à portée de clic. Se regrouper, former une Europe forte au risque de ne plus se sentir maître chez soi ou se perdre, se diluer dans un monde qui n’a plus de frontière ? Et l'argent qui profite de ce décloisonnement pour remplir les poches de quelques-uns, pendant que tant d'autres se privent. Et surtout, la peur de perdre son statut, de ne plus être les enfants gâtés du monde, ceux qu'une démocratie opulente a pu protéger de leurs inquiétudes si longtemps alors que la misère et la souffrance frappaient à la porte.

Quand elle s’applique à l’humain, la normalité, on l’a vu, ne se laisse pas facilement enfermer dans une définition. S’il est un sens qu’elle n’avait jamais pris jusque-là, c’est celui d’une stratégie électoralequi consiste à se proclamer normal - en posant implicitement son adversaire comme anormal. Toute indéfinissable qu’elle est, la normalité rassure alors que l’anormal fait peur.

Derrière le normal, il y a l’ordinaire, le régulier, le coutumier, le familier : on est chez soi, entre soi. Face à tant d'incertitudes, comme il est bon de se sentir soutenu par un homme au sourire apaisant qui se dit "normal". Cet homme normal, notre semblable, vit comme nous et partage nos inquiétudes. Lui, au moins, nous maintiendra à la place qui, jusqu’à présent, a fait notre quotidien et ne nous regardera pas de haut, entouré de quelques privilégiés à l’abri de tout. Avec lui, les soubresauts de la crise viendront se briser sur les normes rassurantes des vertus républicaines qu’il incarne si bien. Le dérèglement va rentrer dans le rang.

Tout le problème est que la liberté, l'égalité et la fraternité sont les vertus les moins partagées de ce monde auquel nous ne pouvons plus imaginer d'échapper, et qu'il s'agit aujourd'hui pour nous de les défendre activement. Peut-on le faire dans la régularité, la constance et la placidité qui conviennent au normal ? Le capitaine d'un bateau dans la tempête garde certes son sang-froid, mais il clame des ordres, se concentre sur les régimes moteurs et les dérives de la barre, exhorte à vérifier l'arrimage, peut même secouer son second. Du dehors, parait-il « normal » ? Parait-il même simplement « ordinaire » avec sa casquette fleurie et ses galons aux épaules ?

Toutes les communautés ont des hommes qu’elles placent au-dessus des autres et auxquels elles confèrent des attributs de pouvoir : cela peut être un trône, un sceptre, une coiffe, ou l’épée inutile de l’académicien qui ne se bat que pour des idées. Ces attributs du pouvoir rassurent tout le monde : ceux qui assument les responsabilités qu’on leur confie et qui peuvent, par moment, être en proie au doute (après tout, ils ne sont que des hommes comme les autres) et les autres, ceux que ces hommes conduisent au nom de leur expérience. Mais il existe au fond de nous une ambiguïté fondamentale : alors qu’il nous faut nous sentir encadrés par des hommes différents - sans doute un résidu de notre enfance - et qui possèdent des signes de distinction, en même temps et de façon contradictoire, nous nous révoltons contre cette différence. Car, au fond, nous nous sentons, à juste titre, tous égaux.

On se rappelle toutefois la remarque de Groucho Marx : « Je ne rentrerais pas dans un club qui m’accepterait comme membre ». Serais-je rassuré d’être dirigé par un Président comme moi ? En choisissant la stratégie de la normalisation - et donc de la banalisation - de la fonction présidentielle, François Hollande a pris le risque de ne pas bénéficier de l’onction du pouvoir au moment où il en a besoin pour inspirer confiance. De plus, pour être à la hauteur de son image, n’est-il pas astreint à une modération qui freine l’action et peut apparaître comme de l’indécision ?

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