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Etats-Unis : existe-t-il un "vote juif" et peut-il jouer dans l’élection du futur président ?
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Shalom שָׁלוֹם

Mitt Romney vient de terminer une tournée internationale en demi-teinte. Accompagné par le grand patron Sheldon Adelson, notamment lors de la visite de Jérusalem, le candidat républicain s'est lancé dans une opération séduction des électeurs juifs américains.

François Durpaire

François Durpaire

François Durpaire est historien et écrivain, spécialisé dans les questions relatives à la diversité culturelle aux Etats-Unis et en France. Il est également maître de conférences à l'université de Cergy-Pontoise.

Il est président du mouvement pluricitoyen : "Nous sommes la France" et s'occupe du blog Durpaire.com

Il est également l'auteur de Nous sommes tous la France : essai sur la nouvelle identité française (Editions Philippe Rey, 2012) et de Les Etats-Unis pour les nuls aux côtés de Thomas Snégaroff (First, 2012)

 


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Atlantico : Mitt Romney revient d’une tournée internationale censée asseoir sa posture internationale. Ces propos sur Jérusalem à savoir de présenter Jérusalem comme « capital d’Israël » ont par exemple suscité la colère des palestiniens. Comment peut-on expliquer une t-elle position ?

 François Durpaire : Cette position est complétement classique. Ce n’est pas le premier à l’avoir fait. Cette position peut être effectivement choquante pour les Palestiniens mais je pense qu’ils ne sont pas surpris par cette attitude. Mitt Romney cherche à convaincre l’électorat juif, il doit montrer qu’il a une politique déjà prête. Les derniers sondages montrent pour l’instant que 18 % des juifs voteront pour lui, ce qui est assez faible.

La tournée de Mitt Romney avait deux tentatives :

  • la première visait à lever des fonds,
  • la seconde avait pour objectif de gagner de la légitimité en politique étrangère. Ironie de l’histoire, il y a quatre ans, celui qui apparaissait comme étant le plus fragile en politique étrangère était Barack Obama. Cette situation était d’ailleurs surprenante car les deux candidats étaient nouveaux.

Mitt Romney doit repenser le logiciel républicain en politique étrangère et ce n'est pas facile. Les démocrates ont en effet redéfini une politique étrangère, c’est ce qu’on appelle le « smart power », notion créée en 2007 mais que ce sont appropriés  les démocrates. Les démocrates ont adapté la diplomatie au contexte multilatéral. Ils ont transformé le leadership américain dans un monde qui est « post américain » pour reprendre la notion de Fareed Zakaria. Nye l'avait dit avant lui avec son concept de "soft power". Barack Obama a réussi à restaurer l’image des Etats-Unis à l’étranger. Il est plus facile d’agir à l’étranger si votre pays est mieux perçue. D’ailleurs, les républicains étaient contre cette interprétation. Pour eux, le plus important est de se faire respecter pour agir et non de se faire aimer. 

Mitt Romney revient d’une tournée internationale où il n’a pas trop pris de risque. Il est allé en Angleterre en Israël et en Pologne. Il se raccroche à ce qu'il connaît. Voilà pourquoi quand il est allé en Israël, il s’est rattaché à une tradition républicaine très proche de la droite israélienne.Il attend de cette démarche que le vote juif se porte vers lui. A mon avis, cela ne suffira pas. Il ne faut pas oublié qu’il y a quatre ans, les juifs américains ont voté à 78  % pour Barack Obama.

Atlantico : Peut-on vraiment parler d’un vote juif aux Etats-Unis ?

On peut parler d’un vote juif dans la mesure où aux États-Unis on analyse de manière très précise les votes, communauté par communauté. Voilà pourquoi, nous savons que 78 % des juifs ont voté pour Barack Obama. Là où la question est plus délicate, c’est de donner l’impression que les gens votent parce qu’ils sont juifs. Ce n’est pas la "judéité" qui va conditionner le vote. Les juifs américains vont voter comme n’importe quel autre américain. Ils vont donner de l’importance non pas à la politique étrangère mais à la politique intérieure.

Maintenant, je pense qu’il faudrait faire des recherches poussées pour savoir en quoi la question du Proche Orient influe sur le vote ?

Ce qui est certain, c’est que les juifs américains qui votent aux Etats-Unis ne votent pas par ce qu’ils sont juifs. D'ailleurs pourquoi les Juifs seraient la seule communauté à ne pas voter comme "américain" mais comme "juif". Les juifs ne singularisent pas par rapport aux autres américains : ils s'intéressent aux possibilités de croissance du pays, au chômage, à l'assurance santé etc.


En France, les dernières élections ont montré que la population française de confession musulmane a voter à 95 % pour le candidat socialiste. Traditionnellement, la population juive américaine vote pour qui aux Etats-Unis ?

Comme toutes les minorités ethniques à par les cubains, les juifs américains sont traditionnellement démocrates. Il y a une tradition progressiste au sein de la communauté. Historiquement, les juifs appartiennent à une minorité ethnique qui a joué un rôle très important dans les questions de diversité aux États-Unis. Par exemple, le titre de « melting pot » vient de la pièce de théâtre américaine de Israel Zangwill qui raconte l’histoire d’un juif qui arrive aux États-Unis et devient américain.  La première conceptualisation (assimilation) de la diversité ethnique on la doit à un juif.

Dans les années 60-70, la communauté juive a été fortement solidaire des droits civiques. On la voit à côté de Martin Luther King. Cette population était proche des combats des années soixante. A la même époque, le vote juif se focalise sur le Parti démocrate avec une composante juif/libéral très importante. Il ne faut pas oublier aussi que les juifs ont été les premières victimes du Maccarthysme dans les années 50.

Les juifs américains ont un attachement envers Israël mais pour autant, ils ne soutiennent pas un gouvernement particulier ni un Parti. Il ne faut pas avoir une vision uniformisée. Les juifs américains ont une vision très partagé sur le conflit israélo-palestinien. Ceci montre qu’il n’y a pas de "lobby juif" qui déterminerait la politique américaine, d'une part parce qu'il n'y a pas d'homogénéité politique dans cette communauté, et d'autre part parce que la judéité n'est pas le facteur décisif pour se déterminer.

Le vote des juifs américains est-il plus tourné vers Barack Obama ou Mitt Romney ?

On constate un recul par rapport à 2008 mais Barack Obama dispose toujours d’une bonne marge avec 70 % des choix de vote. Néanmoins, je pense que cela peut être un enjeu à l'échelle locale. Les États-Unis sont un pays fédéral, il ne faut pas voir le poids national mais le poids régionale État par État. par exemple, la communauté juive pèse en Floride, qui est un "swing state" (État en balance) 

Il y a aussi une dimension à ne pas négliger dans la levée de fond. Par exemple, Mitt Romney était accompagné en Israël par Sheldon Adelson qui est le plus grand patron de Las Vegas.

Le vote juif est-il si important pour gagner une élection américaine ?

Non, chaque vote compte. Les juifs sont importants pour gagner les élections comme le sont tous les autres électeurs américains. Cela revient à la question de départ à savoir comment définir le vote juif ? Si les juifs votaient en fonction du fait d’être juif, cela aurait un rôle clef mais ce n’est pas le cas.

Pourquoi passer son temps à convaincre une communauté qui ne vote pas sur ces critères-là ? On convainc aujourd’hui les Juifs américains en leur montrant comment on va relancer la croissance, faire baisser le chômage et réduire la dette. Pas en croyant flatter ce que l'on pense que les Juifs veulent entendre en politique étrangère... c'est insulter l'intelligence des membres de cette communauté.

Propos recueillis par Charles Rassaert

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