Médaillé d'or à 20 ans : comment Yannick Agnel pourra-t-il digérer son succès aux JO ?<!-- --> | Atlantico.fr
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A Londres, Yannick Agnel a déjà remporté les titres olympiques du 200 m libre et du relais 4x100 m libre et l'argent du 4x200 m libre.
A Londres, Yannick Agnel a déjà remporté les titres olympiques du 200 m libre et du relais 4x100 m libre et l'argent du 4x200 m libre.
©Reuters

Symptome post-JO

A 20 ans seulement, Yannick Agnel est déjà double médaillé d'or olympique. Pourra-t-il un jour faire mieux ? Comment ne pas basculer dans la frustration après une telle victoire ?

Jacques Fradin

Jacques Fradin

Jacques Fradin est médecin, comportementaliste et cognitiviste.

Il a fondé en 1987 l'Institut de médecine environnementale à Paris. Il est membre de l’Association française de Thérapie comportementale et cognitive.

 

 

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Atlantico : A 20 ans seulement, le nageur Yannick Agnel, malgré une seule quatrième place mercredi soir en 100m nage libre, a déjà remporté lors de ces JO de Londres deux médailles d’or et une d’argent. Psychologiquement, comment un sportif de cet âge peut-il vivre cet aboutissement précoce d'une carrière ? Comment aborder l'après-JO ? Laure Manaudou a rencontré quelques difficultés pour gérer un tel succès, Agnel peut-il mieux faire ?

Jacques Fradin : La façon de vivre le succès, notamment le succès précoce, dépend de plusieurs facteurs qui ne reposent pas seulement sur l’expérience et la maturité. La confiance en soi joue un rôle très important. Cette estime de soi est reliée à ce qu’on appelle l’affirmation de soi ou l’assertivité.

L'affirmation de soi, on peut la définir -de manière un peu restrictive - comme une dimension un peu annimal. L' humain dans un groupe, se sent à sa place. Et cette place correspond à son expérience émotionnelle qui résulte notamment des rapports de force dans l’enfance. Par exemple, un enfant gâté va avoir tendance à prendre une place plus importante, même dominante, avec la volonté de devenir le chef. Il aura une plus grande confiance en lui. Cette confiance en soi peut être favorable pour bien vivre les succès précoces comme celui de Yannick Agnel. Mais il n'est pas toujours facile de faire face aux places successive.

Et si l’individu n’a pas confiance en soi ?

A l'inverse, le manque de confiance en soi (léger) peut être favorable à la préparation. L’individu va parfois se sur-adapter, il va être très travailleur, il va s’accrocher pour plaire. L’excès de confiance prépare au succès mais peut démotiver car on peut penser que tout est dû. Le fait d’être (un peu) soumis peut donner une plus grande motivation, mais peut ensuite mettre à mal l’individu lorsque vient le succès le succès, par "des effets rebonds" d'anxiété voire de dépression.

L’euphorie qui va suivre les Jeux Olympiques ne va-t-elle être pas trop dure pour ce jeune sportifs médaillé ? N’y a-t-il pas une addiction semblable à une drogue qui prend forme ?

Nous avons pas tous la même prédisposition à la dépendance. Il y a certes des raisons biologiques à cela mais pas seulement. Il y a d’autres Il y a aussi des facteurs psychologiques : moins quelqu’un à confiance en lui, moins il est capable de s’auto-valider, plus il devient dépendant de la reconnaissance des autres. J’entends par là  sa difficulté interne à s’évaluer à se fixer lui-même ses objectifs.

Si l’individu n’est pas capable de s’auto-valider, il va être dépendant des autres. En phase de progrès, cette dépendance va passer le plus souvent inaperçue, car en travaillant beaucoup on a des résultats et la connaissance arrive naturellement. Le succès peut même devenir euphorisant, comme une drogue . On devient alors dépendant de cette reconnaissance.

Le danger vient si on atteint un niveau de réussite très élevé.  Il devient très difficile de se maintenir longtemps à un tel niveau (comme de gagner plusieurs fois les Jeux Olympiques est un challenge loin d’être facile). Le risque est de ne pas parvenir à se constituer une opinion personelle face à l'éventuelle désaffection des autres.

Pour finir, on va dire que ce genre d’événements, s’ils sont extrêmement intenses et précoces et aigus, avec des variations fortes, vont mettre en évidence la résistance, la capacité de l’individu à faire face à ce genre de déflagration. Ce problème se pose certes ici à tous les âges mais bien entendu, si on y rajoute une certaine inexpérience, un manque de maturité, le risque peut être exacerbé. Même s’il n’est pas forcément accompli.

Comment peut-on se remettre à la compétition après être arrivé à des sommets ?

Je vais faire appel à une expérience personnelle en tant que coach de sportif de haut niveau. Indépendamment de difficultés psychologiques évoquées précédemment, il y a effectivement une vraie difficulté résiduelle qui est la capacité à prendre du recul. L’individu doit acquérir une vraie capacité à s’adapter au changement.

Les changements brutaux mettent l’individu le plus équilibré. Le pari est aussi d’arriver à retrouver de la motivation. Quand on a déjà atteint le sommet, le challenge de « je vais faire plus » devient difficile à réaliser. On peut toujours se dire, « je serai celui qui va avoir le plus de médailles », mais la psychologie devient alors différente. Elle repose maintenant sur l’idée de conserver le titre et non plus sur la conquête. Il ne faut plus les mêmes qualités pour "conquérir un titre" que de "le garder".

Pour cela, il est important de développer une qualité de sagesse, c’est-à-dire de prendre la réalité comme elle est, de se demander « j’ai fonctionné comme cela aujourd’hui, qu’est-ce que je peux faire d’autre ?». L’individu doit se reconstruire et se créer de nouveaux challenges.

Le tennisman André Agassi avait expliqué dans sa biographie vouloir faire du tennis pour faire plaisir à ses parents. D’après-vous, quel peut être le rôle des parents et d’un entraîneur dans la formation d’un sportif ?

Le rôle est déterminant. Mozart ou Picasso ont eu des enfances qui étaient prédisposées à ce qu'ils sont devenus. Pourtant cela n' est pas forcément bénéfique, tout dépend des leviers sur lesquels les parents s’appuient. Dans le cas de Mozart et Picasso, les parents ont fait confiance à la passion de leurs enfants. Ceci leur a permis de construire « le plaisir d'être ou de faire » avant « de produire des résultats ». De cette façon, ils deviennent plus solides aussi bien en phase de croissance qu’en phase de stabilité ou même de régression, de remise en cause. Ils ont la structure mentale pour résister à l’approbation ou désapprobation des autres.

Au contraire, plus l’enfant est endoctriné "dopé" par des récompense du genre « si tu fais ça, je t’aimerai », plus on crée chez lui a tendance à créer des addictions. Celapeut très bien marcher dans les phases de croissance mais cela peut rendre les personnes fragiles dans les périodes de stagnation ou de remise en cause. Et dans le sport de haut niveau, cela est chose courante pour ne pas dire inscrit dans les gênes de la compétition. La façon même de préparer l’enfant ou d'accompagner l'adulte va être déterminante. Au final, les motivations négatives marchent moins bien à long terme car elles dramatisent l’échec. Les motivations positives vont vers le plaisir de faire avant la recherche du résultat immédiat, elles marchent donc mieux sur le long terme et permettent de mieux faire face aux aléas des résultats. Si on est passionné, reconquérir fait encore et toujours partie du plaisir.

Propos recueillis par Charles Rassaert

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