Mafia men
Marseille : derrière les kalachnikovs, l'industrialisation du trafic de drogues
Les règlements de compte se sont multipliés ces dernières semaines à Marseille. Etat des lieux d'une ville dévorée par un nouveau genre de caïds.
Fabrice Rizzoli
Fabrice Rizzoli (né en 1971) est co-fondateur et président de l'association Crim'HALT qui veut impliquer la société civile contre la criminalité. Il enseigne dans divers établissements universitaires. Docteur en science politique à l’université de Paris I (Panthéon-Sorbonne), il est spécialiste de la criminalité organisée et des mafias italiennes et coopère avec le Centre Français de Recherche sur le renseignement. Il a été chercheur à l'Observatoire géopolitique des drogues (OGD), chargé de mission à l'observatoire milanais sur la criminalité organisée (Omicron) dans le cadre du projet de recherche « Falcone » piloté par la Commission européenne. Ensuite, il a été officier de protection au ministère des Affaires étrangères (Direction des Français à l'étranger et des étrangers en France), puis à la Commission de recours des réfugiés (OFPRA). Il intervient régulièrement comme consultant et conférencier sur ces thèmes. Il anime le site mafias.fr (analyse au quotidien d'un phénomène complexe). Il a écrit La mafia de A à Z (aux éditions Tim Buctu), qui regroupe 162 définitions mafieuses, de A comme "Accumulation du capital" à Z comme "Zoomafia". Il est également co-fondateur du Salon "Des Livres et l'Alerte".
Un jeune homme de 25 ans a été tué d’une rafale de kalachnikov alors qu’il se trouvait au pied d’un immeuble de la Cité des Lauriers. La victime est considérée comme un proche d'une génération montante de « caïds des cités ». Cela serait le seizième règlement de compte mortel sur l’ensemble de l’année : une violence régulière dont les chiffres (33 homicides en 2011, 32 en 2010) balaient le stéréotype de l'éternelle recrudescence et qui ne permet pas non plus de comprendre la réalité criminelle de la deuxième ville de France.
Quelques éléments de géopolitique : Marseille plaque tournante du trafic de stupéfiant
La cité phocéenne est une porte d'entrée historique par la mer comme par la route. C'est un carrefour entre l'Italie (4 mafias) et l'Espagne (trait d'Union avec le Maroc et l'Amérique Latine). Les drogues entrent dans la péninsule ibérique et remonte par camion pour être distribuées à Marseille. Elles empruntent l'axe rhodanien ou rejoignent Milan, la capitale du crime organisé en Europe.
Le 29 juillet dernier, la police portugaise a intercepté un bateau en provenance du Maroc contenant 3 tonnes de résine de cannabis. Le trafic était organisé par des clans Galiciens et Portugais. Le 30 juillet, la police a démantelé un réseau de cocaïne lié au grand-banditisme (2 kg de cocaïne dissimulés dans une voiture et laboratoire de conditionnement et de coupage à Mimet) qui alimentait les cités de Marseille.
Mafia or not mafia?
La mafia est un sujet précis dans les sciences sociales. Il y a des ressemblances avec l'Italie mais ce n’est pas tout à fait la même chose. A Marseille, il y a le grand crime organisé et les aspirants.
Les grands du milieu utilisent la violence, comme ce fut le cas en juillet 2011 avec l'élimination de Roland Gaben, mais ils le font avec parcimonie. Et pour cause, ces derniers ont un pied dans la légalité, comme en témoignent les affaires Campanella-Baresi ou la fraude à la taxe carbone, ou les grands trafics internationaux à l'aide joint-venture des grandes organisations criminelles transnationales. Ils sont basés en Espagne[1] et bénéficient d'une grande impunité puisqu'ils se contentent de distribuer la drogue à des semi-grossistes (cf. les études officielles). Ils contrôlent les débits de boisson où l'on vend de la drogue, perçoivent une quote-part sur les bénéfices et ont abandonné le secteur du cannabis aux cités.
Les dealers du bas de l'échelle s'entretiennent avec des places de ventes, des dettes de cannabis et des « carottage » (cf. Kalachnikov à 400 euros : "Un petit investissement pour un gros business..."). La violence est parfois trompeuse. L'éclat à la kalachnikov n'est pas toujours en relation avec la puissance économique...
Une solution ?
Face à la banalisation de la violence et l'économie criminelle, il convient de s'intéresser aux causes qui expliquent cette recrudescence : le fait que le trafic fasse vivre des familles entières et qu’il faut endiguer un chômage endémique, en particulier chez les jeunes. Mais il faut aussi remettre en cause la prohibition des drogues. Une politique de régulation publique des drogues, sur le modèle de club privés et encadrés de consommateurs, réduirait l'accumulation du capital des gangs et permettrait de restaurer le pacte républicain.
Pour lutter contre un tel phénomène, il faut nécessairement le connaître. Mais hormis Laurent Muchielli, combien de chercheurs ont pris du recul, compris et analysé la culture et l’économie criminelle de ces quartiers ?
Enfin, la réutilisation à des fins sociales des biens confisqués au crime organisé réduirait aussi le consensus social envers les gangs. En Italie, les villas des mafieux sont transformées en radios pour jeunes, en centres d'accueil pour handicapés : pour une fois le crime ne paie pas !
[1] Page 64, Michel Gandilhon, Abadalla Toufic, Helène Martineau, Povenance et fillière de trafic in Cannabis, (données essentielles sous la direction de jean Michel Costes (2007) Observatoire Franaçais des Drogues et des Toxicomanies, 2005, p. 66_72, www.ofdt.fr)
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