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Erreur diplomatique : en soutenant el-Assad, la Russie sombre dans un cul-de-sac stratégique
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Brejnev revival

L'attitude de Poutine dans le conflit syrien rappelle celle de Brejnev dans les années 1960 avec l'Egypte de Nasser.

Fabio Rafael Fiallo

Fabio Rafael Fiallo

Fabio Rafael Fiallo est économiste et écrivain, ancien fonctionnaire à la CNUCED (Conférence des Nations Unies sur le commerce et le développement). Il est diplômé d’économie politique de l’université Johns Hopkins (Baltimore).  Son dernier ouvrage, Ternes Eclats - Dans les coulisses de la Genève internationale (L'Harmattan) présente une critique de la diplomatie multilatérale.

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Que ce soit par inertie ou par désir de rejouer le match de la Guerre froide, Vladimir Poutine fait montre, à l’égard du conflit syrien, des mêmes faiblesses et des mêmes défaillances stratégiques que son prédécesseur et ancien patron Leonid Brejnev.

Rappelons, pour commencer, l’alliance au cours des années 60 entre l’Union soviétique et l'Égypte de Nasser. Tout allait pour le mieux entre Le Caire et Moscou… jusqu’au moment où le successeur de Nasser, Anwar el-Sadate, décida de bouleverser les engagements géopolitiques de son pays. Au grand dam de Brejnev, l’Egypte rompit ses liens politiques et militaires avec l’Urss et devint le principal partenaire des États-Unis dans le monde arabo-musulman.

Aujourd’hui, Poutine se retrouve avec la Syrie dans un cul-de-sac stratégique qui n’est pas sans rappeler les déboires de Brejnev avec l’Egypte. Sauf que, cette fois-ci, il ne s’agit pas d’un partenaire stratégique qui s’échappe mais d’un allié qui devient un boulet. Toujours est-il que dans les deux cas, Moscou donne l’impression de subir les événements, de s’ajuster aux prises de position de son partenaire, sans pouvoir façonner celles-ci à son profit.

En défendant le régime de Bachar el-Assad sur le terrain diplomatique, Moscou compte préserver le seul accès à la Méditerranée dont il dispose, c’est-à-dire le port syrien de Tartous, de même que son lucratif commerce d’armes avec Damas.

Le problème, car problème il y a, réside dans le fait que, indépendamment de l’issue du conflit syrien, le soutien tous azimuts offert à Bachar el-Assad portera un coup dur au poids de Moscou au Moyen-Orient – un coup comparable à celui causé par la rupture des liens entre l'Égypte et l’Union soviétique du temps de Brejnev. En effet, il sera désormais difficile, voire impossible, de trouver des régimes sunnites disposés à entrer dans des partenariats, commerciaux, militaires ou autres, avec une Russie devenue le principal obstacle au renversement de leur ennemi Bachar el-Assad.

Même si ce dernier parvenait à garder le pouvoir en Syrie, la Russie en sortirait perdante sur le plan géopolitique. Les intérêts russes en Syrie, notamment ses installations dans le port de Tartous, deviendraient une dangereuse source de friction avec les forces rebelles syriennes. Les régimes sunnites de la région seraient pour leur part tentés de soutenir financièrement les groupes qui combattent l’hégémonie russe à la périphérie de la Communauté des États Indépendants. Puis, compte tenu du niveau de destruction physique et économique causée par la guerre en Syrie, la Russie devra de toute évidence faire une croix sur ses créances auprès de Damas – comme dut le faire Brejnev à l’égard de l'Égypte.

Une seconde analogie entre Brejnev et Poutine a trait à l’usage répété du droit de veto de la Russie au sein du Conseil de sécurité des Nations unies.

Poutine aurait eu à gagner d’un compromis au sein de l’Onu, à savoir : l’acceptation par Poutine d’une résolution prévoyant le départ de Bachar el-Assad en échange d’un rôle de premier plan pour la Russie dans la formation d’un gouvernement de transition en Syrie. Mais Poutine a rejeté cette option diplomatique, préférant s’inscrire dans la droite ligne d’Andrei Gromyko, ministre des Affaires étrangères de Brejnev, qui acquit le surnom de « M. Nyet » (« M. Non ») pour ses fréquents vétos à des projets de résolution de l’Onu.

L’obstruction systématique de Poutine à des projets de résolution contre Bachar el-Assad a en réalité fait le jeu des États-Unis. La chute du régime syrien ouvrirait la porte à des périls considérables : violence inter-communautaire, essor du terrorisme, fragmentation du pays, déstabilisation du Liban et de la Jordanie, dissémination d’armes chimiques, autant de dangers qui guettent à l’horizon. Dans ces conditions, il n’y a rien d’étonnant de voir l’administration américaine hésiter à mettre les pieds dans le bourbier syrien. D’où l’utilité pour Washington des vétos russes à l’Onu : le président Obama peut ainsi esquiver tout engagement en Syrie, rendant la Russie responsable de l’absence d’une action internationale vigoureuse face au carnage en Syrie.

Cela nous amène à la troisième analogie entre Brejnev et Poutine : comme à l’époque de Brejnev, Moscou aura perdu la guerre des images au profit de Washington.

De par l’invasion soviétique en Afghanistan et la répression du mouvement de contestation en Europe de l’Est, Brejnev avait réussi l’inimaginable : faire oublier la déconfiture américaine au Vietnam. En effet, les images de la guerre du Vietnam n’avaient pas encore bruni quand elles furent délogées par celles des troupes soviétiques empêtrées en Afghanistan et par celles des manifestants en Europe de l’Est matraqués et emprisonnés sur l’ordre du Kremlin.

Aujourd’hui, Poutine aura accompli une contre-prouesse comparable. Le départ calamiteux des troupes américaines d’Iraq et d’Afghanistan aura été relégué à un second plan au fur et à mesure que les images de la boucherie syrienne – soutenue par la diplomatie russe – envahissent les écrans de télé.

L’administration Obama semblait, jusqu’à peu, vouloir jouer elle aussi la carte de Bachar el-Assad, la Secrétaire d’Etat Hillary Clinton ayant qualifié ce dernier de « réformateur » pas plus tard qu’en mars de l’an passé. Mais les États-Unis ont opportunément changé de discours, adoptant une rhétorique anti-Bachar. Tant et si bien que c’est l’image de Moscou auprès de l’opinion internationale, et non pas celle de Washington, qui, en même temps que le régime syrien, est en train de s’écrouler.

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