Sudoku, mots croisés, Nintendo DS : non, les exercices pour le cerveau ne vous rendront pas plus intelligents !<!-- --> | Atlantico.fr
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Les publicité pour le Programme d'entraînement cérébral du Dr Kawashima : Quel âge a votre cerveau ? seraient mensongères.
Les publicité pour le Programme d'entraînement cérébral du Dr Kawashima : Quel âge a votre cerveau ? seraient mensongères.
©Reuters

Info/Intox

A l'heure des vacances, les méthodes miracles pour améliorer ses capacités cognitives prolifèrent : cahiers de vacances pour adulte, huile de noix, jeux vidéos, compléments alimentaires, chasse au stress, mots croisés et autres sudokus,... peut-on vraiment bronzer intelligent ?

Alain  Lieury

Alain Lieury

Alain Lieury était professeur émérite de Psychologie Cognitive à l’Université Rennes 2 et ancien directeur du Laboratoire de Psychologie expérimentale. Il a publié une centaine d’articles scientifiques et de vulgarisation sur la Mémoire. Il a publié une vingtaine de livres dont certains traduits en une douzaine de langues (espagnol, italien, brésilien, grec, russe…). Sa dernière publication est le Livre de la Mémoire (Dunod, 2013). Il est décédé le 1er mai 2015.

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Atlantico : Mots croisés, sudoku, cahiers de vacances, jeux sur comsoles, … Les appels marketing se multiplient pour se muscler le cerveau sur la plage. Mais est-ce vraiment efficace ?

Alain Lieury : On s’est en effet rendu compte que tout ce qu’on apprend peut ensuite être réutilisé dans d’autres domaines. Il s’agit du « transfert d’apprentissage ». Prenons l’exemple de la voiture : vous apprenez à conduite sur une Fiat 500, vous conduirez facilement une Golf.

Pourtant, ce transfert a des limites : vous avez beau savoir conduire une voiture, vous ne conduirez pas un hélicoptère ou une moto pour autant. De même pour notre cerveau. Tout ce qu’on apprend est très spécifique. Des expériences ont montré que s’entraîner à apprendre des syllabes sans signification ne permet pas d’apprendre plus vite des poèmes.

Ainsi, si l’on s’entraîne de manière très spécifique, en faisant des mots croisés par exemple, on devient fort… en mots croisés. Jusqu’à peut-être mémoriser les mots de deux ou trois lettres qui sont souvent utilisés dans les mots croisés. Mais on ne sera pas plus fort au sudoku, au bridge ou aux échecs. Pourquoi ? Parce que notre cerveau est énorme : 200 milliards de neurone, 14 milliards rien que dans la région visuelle.

La mémoire des visages est dans le cortex visuel, la mémoire des noms dans le cortex temporal, qui se trouvent à 10 cm de distance. A l’échelon du neurone, qui fait 50 microns soit 50 millièmes de millimètres, c’est Paris-Tokyo. Dès lors, vous pouvez avoir des facilités à apprendre les visages des people dans les magazines sans pour autant retenir les prénoms des gens qui vous entourent.

Les jeux vidéos qui promettent d’améliorer nos capacités intellectuelles sont donc mensongers ?

Ces publicités sont totalement faussées. Personnellement, c’est ce que j’ai contribué à démontrer pour le Programme d'entraînement cérébral du Dr Kawashima : Quel âge a votre cerveau ? sur Nintendo DS, qui prétend « améliorer le cerveau ». Des tests de raisonnement, psychologiques et d’attention ont été menés sur des élèves de primaires. Après onze semaines de jeu, aucune amélioration n’a été constatée par rapport à un groupe contrôle qui jouait à un autre jeu. Ni dans leur apprentissage, ni dans leurs performances en calcul.

En revanche, les expériences montrent que les grands adeptes de jeux vidéo de combat et de voiture s’améliorent dans les épreuves de rapidité et de traitement de l’information. C’est d’ailleurs pourquoi on entraîne les futurs pilotes sur des simulateurs avant de leur permettre d’utiliser des vrais avions.

Certains disent qu’écouter du Mozart permet d’améliorer nos capacités. Intox ?

L’idée est datée. Il est évident qu’écouter de la musique classique ne permet pas de développer ses capacités intellectuelles. On est à l’écoute – cela ne fera pas de vous un pianiste. 

On invoque l'alimentation : viande crue, légumes verts…

Si je ne suis pas biologiste, je peux vous dire qu’il faut des protéines, viande crue ou non. Les légumes verts ? Pas du tout. L’important est d’avoir une alimentation variée et d’éviter les carences en vitamines. En misant également sur les glucides dits lents pour approvisionner le cerveau en glucose ; et les lipides. Même si cela ne fait pas bon ménage avec la peur du bourrelet sur la plage, les lipides sont nécessaires. C’est comme si le corps était baigné dans de l’eau de mer, et les parois de toutes les cellules doivent être imperméables, y compris celles des neurones. C’est le rôle des lipides.

Apprendre des poèmes pour entraîner sa mémoire, est-ce un mythe perpétué par nos instituteurs ?

Si vous apprenez beaucoup de poèmes, vous serez meilleur en récitation de poésie. Mais pas pour retenir plus vite des informations sur le boson de Higgs par exemple. Non seulement les différents types de mémoires sont spécialisés, mais au sein même de ces mémoires, ce qui nous permet de retenir est la programmation entre les réseaux de neurones. C’est comme pour les réseaux électriques : si vous les installez pour votre maison, que vous détruisez cette dernière et que vous en faites un loft, il faudra aussi modifier le réseau. Notre mémoire serait comme le réseau électrique d’une grande maison.

Alors, rien ne peut nous faire progresser. N’est-ce pas fataliste ?

Il existe un moyen. L’école : acquérir des savoirs spécifiques dans une grande variété de thèmes, pendant de très longues années. Nous avons tant de mémoires différentes qu’il faut les stimuler dans toutes les matières.

L’apprentissage doit également s’inscrire dans la durée. Lorsqu’on élève les souris dans des cages par 8 ou 12 avec des jeux variés qu’on change tous les jours, on constate que leur cerveau grossit. Le nombre de neurones n’augmente pas – c’est un capital qu’on acquiert à la naissance – mais il y a plus d’enzymes, les neurones sont plus gros et ont plus de ramifications avec les autres… Sauf qu’une semaine chez la souris, pour simplifier, c’est un an pour l’homme. Donc trois mois, c’est douze ans… soit le niveau bac.

Dès lors, comment s’entretenir en vacances ?

Il faut prendre les activités de vacances comme des jeux, qui complètent nos activités professionnelles : documentaires, revues, … Mais les jeux comme ceux de la Nintendo sont fait pour s’amuser, uniquement.

Les hormones du stress nuisent-elles à nos neurones ? Par conséquent, les vacances ne sont-elles pas nécessaires pour rester intelligent ?

Le stress est une réaction d’alerte commandée par le cerveau pour contrôler l’ennemi. Pour l’exemple, une gazelle pourchassée qui court viendra à manquer de glucose. Le cerveau déclenche alors une cascade d’hormones jusqu’au glandes surrénales, au-dessus des reins, qui fabriquent la cortisone. Cette molécule est déversée dans le sang et va se nourrir des protéines dans les muscles, les os, etc. pour produire du glucose. Bref, c’est l’énergie de la dernière chance. Une fois, elle vous sauve la vie, plusieurs fois, elle vous « mange » muscles, os, etc. Les études épidémiologiques ont montré que beaucoup de maladies sont liées au stress. En effet, la moelle osseuse fabrique les globules blancs qui mangent les microbes et autres virus. Si elle est attaquée, ce sont les barrières immunitaires qui sont touchées.

L’hippocampe est un peu l’enregistreur-vidéo de notre cerveau. Or la cortisone vient « manger » les neurones de l’hippocampe. Il y a donc des risques pour la mémoire à être stressé en permanence. Des scientifiques se sont penchés sur les imageries cérébrales de soldats américains. Ils ont montré qu’après 40 mois de combat, le volume de l’hippocampe passait de 12 cm² à 2 cm². Ces soldats étaient probablement incapables de faire preuve de capacités de mémorisation.

Le marketing actuel, la prééminence de la productivité pose donc problème. Le stress est permanent. C’est pourquoi les vacances sont un moment privilégié pour ralentir le rythme – même si un petit niveau de cortisone est toujours nécessaire.

En parlant de vacances, l’ennemi n°1 de l’hippocampe et des neurones est l’alcool. Le petit apéro ne pose pas problèlme. Mais être ivre, c’est courir le risque d’un coma éthylique. Les médecins de la Renaissance, voire de l’Antiquité, le disaient déjà : avant de chercher à améliorer la mémoire, il faut surtout ne pas la perdre. Les jeunes doivent alimenter leur bibliothèque, alors qu’après 40 ans, le gros problème est surtout de la conserver.

Chez les 30-40 ans, le stress et à plus forte raison l’alcool, guettent le cerveau. J’ai participé à l’élaboration de tests sur des malades de 40 ans anciennement alcooliques. Il s’est avéré que leur mémoire était celle de personnes de... 70 ans.

Propos recueillis par Ania Nussbaum

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