"Les Kaïra" : et si l'humour des banlieues était un signe et un vecteur d'apaisement ?<!-- --> | Atlantico.fr
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La comédie "Les Kaïra", qui sort ce mercredi au cinéma, met en scène un trio de petits traîne-savates et se moque franchement des lascars des cités.
La comédie "Les Kaïra", qui sort ce mercredi au cinéma, met en scène un trio de petits traîne-savates et se moque franchement des lascars des cités.
©DR

T'as vu !

Le trio du Kaïra Shopping de Canal + squatte dès ce matin le grand écran dans une comédie française écrite et réalisée par Franck Gastambide, "Les Kaïra". Humour des banlieues acerbe... De plus en plus présent dans la société française ?

Jawad Mejjad

Jawad Mejjad

Jawad Mejjad est docteur en sociologie, chercheur au Ceaq-La Sorbonne, enseignant et responsable pédagogique au Cnam, et gérant d'une société industrielle (Ermatel).

Ses réflexions et ses recherches portent principalement sur les valeurs et les structures d’organisation de la société, avec une focalisation sur l’entreprise, à l’aune de la postmodernité.

Il a publié Le rire dans l’entreprise, chez l’Harmattan, en 2010.

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S’il est un domaine où il n’y a pas besoin d’imposer des quotas de représentativité, c’est bien celui des humoristes. A y regarder de plus près, il y a même sur-représentativité, avec entre autres les Jamel, Sophia Aram, Gad El Maleh, Thomas Nguigol, Fabrice Eboué… Et le phénomène, s’il s’est accéléré ces derniers temps, avait démarré déjà avec Smaïn, Michel Boujenah, et autres Elie Kakou… Sans parler du traitement de plus en plus sur le mode de la comédie des problèmes des « quartiers ».

Que signifie ce primat de l’humour et de la comédie dans le champ des minorités visibles, pour utiliser la terminologie politiquement correcte ?

Ce qu’il faut se rappeler de prime abord, c’est que l’humour, et c’est ce qui en fait sa richesse et son intérêt, est polysémique. Sa première fonction est sociale : tout groupe humain l’applique pour se souder et défendre ses valeurs cotre l’adversité. On va se moquer plus ou moins gentiment des travers des autres, mais en fait c’est pour mieux nous rassurer sur nos propres valeurs. C’est ainsi que les puissants vont utiliser le rire et l’humour pour mettre au pas les récalcitrants à l’ordre établi. Ce que fait par exemple un directeur lors d’une réunion de service, quand se moquant d’un tel qui a osé le contredire, et en provoquant les rires de l’assemblée, il annule toute velléité d’opposition ou de contestation. Ce que l’on retrouve aussi dans les comédies de Molière, que Louis XIV utilisait contre les dangers potentiels, comme le montre J. Duvignaud dans son livre“ Rire, et après ” : « Où donc a-t-on pris que Molière était un auteur populaire, quand les figures de la dérision qu’il construit avec génie ressortissent à la volonté d’une caste de se différencier du reste du monde ? ».

Mais l’humour est aussi utilisé par les faibles pour se défendre contre les puissants. Ce que l’on retrouve dans la prolifération des blagues russes, polonaises, ou tchèques sous le régime communiste. Et que développe dans son œuvre Milan Kundera. C’est ce que l’on retrouve dans les rues du Caire, de Tunis ou d’Alger. Et qu’avait illustré Albert Cossery dans son roman justement intitulé “ La violence et la dérision ” : un groupe d’amis portés sur l’humour, rencontre un “ vrai ” révolutionnaire qui a fabriqué une bombe artisanale destinée au gouverneur de la ville ; le groupe d’amis essaie de le convaincre de renoncer à la voie terroriste, jugeant leurs affiches satiriques, leurs plaisanteries et leurs graffitis beaucoup plus redoutables et efficaces à déstabiliser le tyran que sa malheureuse bombe.

Et justement nous y sommes : quand l’humour prend le pas sur la violence, quand la comédie prend le pas sur la tragédie, un tournant essentiel est en train de s’opérer. Nous sommes en train de passer du refus à l’acceptation, du rejet à l’adhésion. La violence, la révolution, la tragédie expriment le refus l’Histoire et son évolution : on va se battre pour imposer notre point de vue. Le rire, l’humour, la comédie signifient l’acceptation et l’adhésion à l’ordre des choses.

La prolifération de l’humour des quartiers est donc un signe d’évolution positive et d’apaisement. D’autant plus que souvent ce rire est d’auto-dérision. Il se moque des travers de la communauté arabe, africaine ou asiatique, dans ses rapports schizophréniques à la religion, aux relations hommes – femmes, au racisme, à la famille, …Traitement que l’on retrouvait déjà donc chez Molière quand il parlait des paysans, des femmes savantes ou des tartuffes, ou encore chez Fernand Reynaud, à travers les différents corps sociaux.

En définitive, cet humour, à l’instar de l’humour juif, permet dans un double mouvement, d’affirmer l’identité du groupe, et de la diluer dans l’ensemble de lé société, en usant de la rhétorique de la dérision. Ce qui permet de soigner non seulement la schizophrénie inhérente à cette situation, mais aussi la paranoïa qui s’est développée au fil du temps.  

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