Scandale du Libor : ces manipulations bancaires qui sont une véritable bombe à fragmentation pour le système financier mondial<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
Scandale du Libor : ces manipulations bancaires qui sont une véritable bombe à fragmentation pour le système financier mondial
©

Banksters

Après Barclays, le scandale de la manipulation du taux interbancaire Libor entre 2005 et 2009 commence à toucher les banques américaines JP Morgan et Citigroup. Comment de grandes banques ont-elles pu faire varier le taux d'intérêt de référence mondiale et quelles en sont les conséquences ?

Hervé Alexandre

Hervé Alexandre

Hervé Alexandre est Professeur à l'Université Paris Dauphine où il dirige le Master 224 Banque.

Il enseigne la gestion des risques la régulation bancaire, domaine qui est également celui de ses recherches qu'il effectue au sein du laboratoire Dauphine Recherche en Management.

Il vient de sortir un ouvrage "Banque et Intermédiation Financière" chez Economica.

Voir la bio »

C'est l'arnaque qui pourrait coûter aux banques plus de 200 milliards de dollars d'amende et de dommages et intérêts. « Trahison aux conséquences potentiellement systémiques », pour le commissaire européen au Marché intérieur, Michel Barnier, qui a annoncé lundi un durcissement de la directive sur les abus de marché, « arnaque aux proportions cosmiques » pour Robert Reich, ex-secrétaire au Travail de Bill Clinton, le scandale du Libor ébranle depuis plusieurs jour le monde de la finance. Ce sont en effet des millions d’emprunteurs qui ont payé un taux d’intérêt faussé entre 2005 et 2009, suite à des manipulations de ce taux d’intérêt interbancaire -le taux auquel les banques se prêtent entre elles- sur lequel repose 450 000 milliards de dollars de produits financiers, des plus complexes aux simples prêts accordés aux particuliers.

La banque Barclays a été la première en 2005 à mentir aux autres banques sur les taux qu'elle pratiquait. Il s'agissait à l'époque d'une "simple" fraude, afin de générer des taux favorables aux positions prises par ses traders. Ses principaux dirigeants ont dû démissionner début juillet et la banque s'est vue infliger une amende de 350 millions de dollars. Mais elle n'était sans doute pas seule. En 2008, ce qui n'était qu'une fraude entre traders est devenu une manipulation systémique lorsque « la crise venue, les banquiers ont tous besoin d'afficher un taux plus bas que le taux réel pratiqué pour accréditer leur bonne santé, explique Rama Cont, directeur de recherche au CNRS, au Monde. Ces manipulations ne pouvaient qu'être issues d'une collusion entre banques partageant des intérêts communs. »

Des enquêtes ont donc été ouvertes de chaque côté de l'Atlantique. Plusieurs grandes banques ont fait l'objet de demandes d'informations par des enquêteurs, comme les américaines Citigroup et JP Morgan. La banque britannique Royal Bank of Scotland (RBS) et la Société Générale seraient également concernées par ces enquêtes. Au total, selon The Economist, une vingtaine de banques seraient suspectées par la justice.




Le Libor, acronyme ésotérique, est aujourd'hui le sujet de nombreuses discussions et indignations qui s'étendent bien au-delà du monde de la finance, au sein duquel il est connu depuis fort longtemps et sert de référence à de très nombreuses transactions.

Le Libor (London interbank offered rate) est un taux fondamental dans le fonctionnement de l’économie aujourd’hui et le scandale récent est donc d’autant plus grave. Ce taux est, pour une devise considérée et une échéance donnée  (1 jour à 12 mois), celui auquel un panel choisi parmi les plus grandes banques mondiales (voir la liste des 18 banques du panel libor USD) déclarent se prêter une devise les unes aux autres. Si le Libor USD à 3 mois est de 0.46 %, cela signifie qu’en moyenne les banques du panel déclarent se prêter et emprunter du dollar à 3 mois au taux de 0.46 %. Ce taux est établi uniquement à partir de ces déclarations des banques faites à 11h chaque jour auprès de la British Bankers' Association (BBA), qui fixe alors le Libor.

Ce taux est fondamental, car un nombre infini de produits financiers voient leur valeur ou leur taux calculé en référence à ce Libor. Lorsqu’un particulier emprunte à taux variable pour financer l'achat de sa maison, la référence à partir de laquelle va être calculé ce qu’il paie à la banque chaque mois est établie en fonction du Libor (ou de l’Euribor pour l’Europe, selon les contrats). Plus largement, les banques du monde entier utilisent pour se couvrir contre le risque de taux (ou pour spéculer) des produits dont la valeur et/ou le paiement sont calculés à partir d'un taux de référence ; leur valeur est dérivée en partie de ce taux de référence, le Libor notamment. Pour information, en 2011, le montant notionnel de l'ensemble des produits dérivés de taux représentait plus de 600 000 milliards de dollar. Le niveau de ce taux référence est donc crucial et les montant en jeu sont astronomiques.

Un risque de class-action des emprunteurs

La révélation de la manipulation du Libor notamment par la Barclays est catastrophique pour plusieurs raisons. La première est la nature de la manipulation. Elle provient de certains traders œœuvrant sur des produits dont le prix est fonction du Libor ; manipuler le Libor signifiait pour eux de plus gros profits sur le portefeuille géré et donc un bonus plus important. Les mails échangés par ces agents et que la presse présente aujourd’hui sont sans ambiguïté. Ils traduisent comment une manipulation de la valeur transmise du Libor à 11h par une banque peut modifier significativement le bénéfice d’un trader d’une autre banque en fin de journée.

Imaginons un trader de la Barclays dont la performance du portefeuille dépend du Libor. Supposons qu'un accroissement infinitésimal du Libor augmente la valeur de son portefeuille significativement : il a tout intérêt à ce qu'un collègue (de la même banque ou d'une autre banque, on parle notamment de RBS, Citigroup et JP Morgan) communique à la BBA un taux légèrement plus élevé que celui correspondant réellement aux échanges effectués entre les banque du panel. Il pouvait également être intéressant pour la Barclays d'afficher un coût de son financement plus faible que ce qu'elle payait réellement en communiquant un taux plus faible que celui pratiqué et affichant alors une santé trompeuse.

La deuxième raison réside dans l’infinité des contrats établis en référence au Libor et pour lequel un des co-contractants va pouvoir s’interroger sur le bien-fondé des flux qu’il payait dans le passé, flux établis à partir d’une référence manipulée. La peur des class-actions envisagées aux Etats-Unis notamment fait trembler le monde financier. Comment les banques qui ont prêté à taux variable à leurs clients ces dernières années vont pouvoir argumenter lorsque ces derniers vont remettre en cause les intérêts payés sur leurs dettes ?

La réputation des banques a nouveau ébranlée

La troisième raison, la plus grave peut-être, tient tout simplement à la réputation, déjà mise à mal depuis quelques années, des établissements bancaires. Ces derniers, suspectés de tous les maux, vont être encore plus fragilisés et leur rôle dans l’économie remis en question. Or, la très grande majorité des salariés des banques sont honnêtes et compétents, et plus globalement les banques sont au cœoeur de l’économie, de son financement et du développement des économies modernes.

Les conséquences, au delà des sanctions financières déjà envisagées et dont le montant reste à définir, sont à plus long terme une remise en cause des mécanismes de fixation des taux de référence utilisés sur les marchés financiers. Mais bien pire encore pour les banques, la découverte de la manipulation va encourager un fort accroissement des contraintes réglementaires que la crise récente à remis au goût du jour. Par ailleurs, les banques vont devoir supporter une augmentation des coûts des contrôle et, plus indirectement, les coûts commerciaux cachés qu'elles vont devoir engager pour se dédouaner auprès des gouvernants et de leurs clients.

La stabilité du système bancaire repose en grande partie sur la confiance que les banques ont les unes vis-à-vis des autres et surtout que l'ensemble des acteurs économiques ont en elles. Cette confiance, déjà fort ébranlée depuis les subprimes et autres affaires de traders incontrôlables, va miner l'ensemble du secteur bancaire pendant de longues années. Plus qu'un coût financier, c'est un coût réputationnelle auquel les banques vont devoir faire face. Plus difficile à chiffrer qu'une sanction pénale, il prendra la forme d'une plus grande difficulté à convaincre un client d'acheter un produit ou d'effectuer une transaction financière.

La manipulation par quelques agents peu scrupuleux, au-delà des méfaits financiers, participent donc à jeter le discrédit sur un secteur déjà très fragilisé et pourtant nécessaire à tout développement économique à venir.

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !