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Ukraine : le refus par le peuple
du russe comme deuxième langue
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Dehors les Ruskov

C'était l'une des promesses du président ukrainien. La loi qui fait du russe la deuxième langue du pays a été adoptée par le parlement. Toutefois, la colère monte dans la rue. Des vagues de protestations se sont multipliées pour défendre l'identité du pays.

Alla Lazareva

Alla Lazareva

Alla Lazareva est une journaliste ukrainienne en poste à Paris. Elle travaille pour un hebdomadaire Ukrainski Tyzhden, qui publie en ukrainien et en anglais. Elle a co-écrit dernièrement le livre Gazprom : Le nouvel empire avec Alain Guillemoles.

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La nouvelle loi sur la langue russe en Ukraine provoque une vague de protestations, dans le pays comme à l'étranger. A Kiev, devant la Maison ukrainienne, un centre d'exposition situé au centre de la ville, sept personnes font une grève de la faim. Des manifestants restent nuit et jour à leur côté. Les uns, comme Katroussia, sont là en permanence. Elle ne rentre à la maison que pour se changer et prendre une douche. D'autres, comme Youlia, restent juste une heure ou deux chaque soir. Des piquets pareils sont installés dans de nombreux villes ukrainiennes, à l' Ouest comme à l'Est et même en Crimée. A Paris, New York, Londres et Bruxelles des Ukrainiens font des manifestations « pour protéger le droit à l'identité ».

Pourquoi une telle mobilisation? Pour le comprendre, il faut chercher les réponses dans l'actualité, mais aussi dans l'histoire du combat de la langue ukrainienne pour sa survie.

Katroussia Gladka passe donc ses nuits et ses jours à protester contre cette nouvelle loi. La jeune étudiante est indignée par « les manipulations pendant les votes, deux fois de suite, qui sont reconnues par le sténogramme officiel» de la séance au parlement. Effectivement, le pouvoir ukrainien a triché avec l'ordre du jour pour empêcher l'opposition de se mobiliser et faire passer la loi. Il n'y avait pas eu de discussions dans l'hémicycle de nombreux amendements. « On fait de la politique comme on joue aux cartes », remarque cette future journaliste qui cherche à protéger « l'état de droit et le respect de l'opinion publique dans le pays ».

Igor Petrouk, un jeune juriste ukrainien, constate une autre manipulation dans les termes employés: «Le projet fait référence à la Charte des langues régionales du Conseil de l'Europe. Or, la Charte était prévue que pour des langues minoritaires, souvent en voie de disparition, parlées par des autochtones regroupés dans les même régions, comme les Tatars de Crimée ou les Gagaouzes. Mais les Russes ne correspondent guère à cette description. Dispersés un peu partout suite aux conquêtes militaires, ils disposent de journaux en russe, de livres et de TV...  Et même en plus grand nombre que les Ukrainiens». Igor dit que c'est surtout l'ukrainien, opprimé et persécuté durant quatre siècles qui nécessite le soutien. « C'est la langue natale de 75% de la population. Il doit rester la seule langue d'état pour assurer le développement de la culture et la vie normale de la nation ukrainienne », est-il persuadé.

Formellement, les langues tatare ou gagause font aussi l'objet de la future loi sur la langue. Mais en réalité ses deux auteurs,  Serguy Kivalov et Vadim Kolesnichenko, deux députés du Parti des Régions, au pouvoir en Ukraine, ne cachent même pas que le vrai but est une promotion de la langue russe pour qu'elle acquière le statut de deuxième langue officielle. « C'est une manipulation électorale, estime Youlia Kazakova qui ne manque pas une soirée devant la Maison Ukrainienne à Kyiv. Je suis d'origine russe, et je ne veux pas être instrumentalisée. Comme Andrey Kourkov (écrivain traduit en Français et l'auteur notamment du livre « Le Pingouin ») et tant d'intellectuels du pays je pense que la langue russe et ses natifs ne sont pas en danger. Mais que le Parti des Régions, en perte de popularité à la veille des législatives d'octobre cherche à faire monter son score en provoquant un schisme et en renforçant l'hostilité entre les gens ».

Actuellement la loi si controversée n'a passé que deux lectures au Parlement. Pour entrer en vigueur, elle nécessite deux signatures de deux Présidents : celui du parlement et celui de l'état ukrainien. Le premier a demandé sa démission affirmant que le parti au pouvoir a profité de son absence dans la salle pour passer le texte en dehors de l'ordre du jour. Le deuxième promet une expertise complémentaire. D'où l'importance des manifestations : une partie de l'opinion publique demande de retirer le texte. Tant qu'il n'est pas trop tard.

Pour de nombreux ukrainiens, la bataille pour la langue fait partie d'un long combat pour l'identité et la dignité qui perdure depuis plusieurs siècles. Potentiellement cette discorde porte un grand potentiel de conflit social en Ukraine. A Kryvyj Rig (Est du pays) des inconnus ont mis le feu aux locaux du Parti des Régions durant la nuit, il y a deux jours, en laissant un mot sur le mur : « C'est pour la langue ». Pour la même raison, à Tcherkassy ce dimanche des "jeuns" ont brulé le drapeau de ce Parti. Une ambiance pas très paisible le jour de l'anniversaire du Président Ianoukovitch qui fête ses 61 ans le 9 juillet.

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