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Le fédéralisme européen est-il condamné à se construire
contre les peuples ?
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Grand saut fédéral : le match !

Un sondage Opinionway pour l’institut Montaigne et l’agence Tilder, confirme que les Français sont favorables (à 77 %) à une plus grande intégration politique, budgétaire et bancaire de la zone euro. Dialogue croisé entre le farouche souverainiste Nicolas Dupont-Aignan et la pro-européenne Sylvie Goulard.

Nicolas Dupont-Aignan et  Sylvie Goulard

Nicolas Dupont-Aignan et Sylvie Goulard


Nicolas Dupont-Aignan 
préside Debout la République, parti politique se revendiquant du gaullisme. Il a été candidat a l'élection présidentielle française de 2012.


Sylvie Goulard
est députée européenne dans la circonscription Ouest de la France depuis 2009 sous la liste du MoDem. Elle siège au Parlement européen au sein du groupe ADLE (Alliance des démocrates et des libéraux pour l’Europe).


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Atlantico : Un sondage, réalisé par Opinionway pour l’institut Montaigne et l’agence Tilder, confirme que les Français sont favorables (à 77 %) à une plus grande intégration politique, budgétaire et bancaire de la zone euro. Pourtant le mot « fédéralisme » reste une source d’incompréhension. Y a t-il un risque à ce que les peuples ne soient pas prêts à un saut européen vers le fédéralisme ?

Nicolas Dupont-Aignan : Non contents d’avoir précipité la zone euro dans la récession, les chefs d’État - principalement Angela Merkel et les fonctionnaires non élus de Bruxelles - veulent désormais imposer leur politique par la force. Ils risquent de déconfigurer la construction européenne.

Au désastre économique vont suivre des troubles sociaux et la résistance politique. La question majeure est simplement de savoir combien de temps cela va prendre et combien de drames individuels et nationaux il faudra pour se débarrasser de cette politique. Ils me font penser aux communistes qui, à chaque congrès soviétiques, effectuaient des purges pour appliquer le vrai communisme.

Sylvie Goulard : Tout dépend de la façon dont nous expliquons la situation aux citoyens européens. Il ne s'agit pas de "faire un saut" pour faire un saut. Trois raisons majeures d'aller vers une Europe fédérale existent...

La première est que le régime politique européen atteint ses limites : sur des sujets cruciaux, comme la crise de la dette souveraine, les chefs d'État et de gouvernement décident de manière opaque, à huis clos et dans des rapports de force entre nations, alors même que la monnaie est commune, les intérêts partagés.

A aucun moment,  les populations européennes ne choisissent ensemble une ligne politique, au cours d'un débat public. Le "centre de décision" qu'est le Conseil européen n'est pas responsable, collectivement, devant un parlement. C'est une grave atteinte à la démocratie. Chaque dirigeant européen rend bien sûr des comptes dans son pays, mais chacun d’entre eux dispose d’un droit de véto qui peut s’exercer à l’encontre de ce que souhaite la majorité des 330 millions d’européens de la zone euro. La conséquence est que les intérêts des peuples sont présentés, sans justification, comme opposés les uns aux  autres. La paix sociale et la concorde entre États sont en péril à cause des modes de décision. Le fédéralisme serait donc un progrès de la démocratie, une garantie contre une confrontation artificielle.

Deuxièmement, l'Europe intergouvernementale n'est pas efficace : en maintenant  des rapports de forces au sein du Conseil européen, on ne privilégie pas les bonnes solutions. Et la situation se dégrade. On le voit depuis 2 ans !  

Enfin, une Europe fédérale - contrairement à ce que disent les souverainistes -  garantirait mieux la défense des prérogatives des États qui la composent. En effet, nous sommes actuellement dans un système où certains pays, plus riches, plus puissants, interfèrent énormément dans les décisions nationales des pays en difficulté.

Le fédéralisme permettrait au contraire une plus grande autonomie de chacun des membres. On le voit aux États-Unis par exemple, où la Californie a une dette importante sans que le Texas ou la Floride ne se mêlent de sa gestion. Des transferts fédéraux secourent l'État californien, mais chacun garde son autonomie. La principale erreur des souverainistes est de présenter le fédéralisme comme une centralisation, ce qu’il n’est pas.

L’Europe fédérale correspond-t-elle aux aspirations des peuples ?

Nicolas Dupont-Aignan : Tout d’abord, il ne s’agit pas d’un véritable fédéralisme, mais d’un système disciplinaire. Un vrai fédéralisme renvoie à une fiscalité commune ou à des décisions communes et démocratiques.

Le fédéralisme, celui dont parlent nos dirigeants, est un mot vide de sens qui sert d’alibi à une procédure disciplinaire, une mise sous tutelle par l’Allemagne qui contrôlera les dépenses des autres États. Bruxelles n’étant que le "cheval de Troie" de la politique allemande.

Ainsi, des commissaires non élus, sous autorité allemande, vont contrôler les dépenses de chacun des États. Il s’agit d’un avatar disciplinaire et contre-productif provenant d’un idéal fédéral impossible à mettre en place. Pourquoi ? Parce que le fédéralisme repose sur une solidarité financière considérable qui consiste à transférer des montants depuis les zones riches vers les zones les plus pauvres. Or, l’Allemagne n’en veut pas.

L’essor de la démocratie, que se soit en Angleterre au 17e siècle ou en France au 18e siècle, s’explique par la volonté de contrôler la levée de l’impôt sur la base d’une décision collective et non monarchique. Aujourd’hui, nous faisons croire aux peuples qu’il y aura une solidarité européenne alors qu’il n’y a, en réalité, qu’un seule volonté : celle d’appliquer la recette allemande à tous les États sans tenir compte de leurs personnalités, de leurs démographies ou de leurs compétitivités. C’est une aberration.

Sylvie Goulard : La première aspiration des peuples, c'est la prospérité et l'emploi. Si nous souhaitons que l’euro perdure et que nos économies soient prospères, nous devons prendre ensemble les décisions qui s'imposent en matière budgétaire, économique, sociale et fiscale.

Comme il est hors de question de sacrifier la démocratie, nous devons peu à peu nous doter d’un gouvernement européen en charge de ces questions, qu'il soit responsable devant une chambre pouvant le contrôler et, le cas échéant, le censurer. A l’inverse, la zone euro actuelle est composée de diverses entités entretenant des rapport de force complexes. Il n'y a plus de visibilité sur les raisons et les modalités des décisions. Qui peut prétendre que c'est ce que veulent les peuples ? La question n’est donc pas tant celle du fédéralisme en théorie que du besoin concret de réorganiser les institutions européennes. Un tel rééquilibrage est nécessaire.

L’Union européenne se construit-elle par la volonté d’une majorité de citoyens européens ou par une élite, qui agit en amont des opinions de ces derniers ?

Nicolas Dupont-Aignan : La construction européenne a commencé avec l’accord des peuples. Et c’est exactement l’inverse qui se produit aujourd’hui. Dès qu’il y a un référendum, l’Union européenne est désavouée. Nous imposons à des peuples des politiques dont ils ne veulent pas. Cela va très mal finir.

Le fédéralisme, tel que proposé actuellement, n’a aucun sens et les peuples sont aujourd’hui « vaccinés » contre cette idée. Les dirigeants européens font passer des procédures autoritaires qui aboutiront de surcroit à un désastre économique. Ils sont en train de discréditer définitivement l’idée européenne. L’ensemble de la construction européenne va être emportée, ce qui est dommageable car je pense que nous avons besoin de coopération européenne.

Face à cette dictature médiatique européenne, il faut laisser le temps aux peuples de s’organiser.

Sylvie Goulard : Dans les années 1950, le projet européen a été intimement porté par les peuples, car ces derniers ne voulaient plus de la guerre. Mais il n’y a pas de complexe à avoir à ce que des responsables politiques, dignes de ce nom, prennent leurs responsabilités. Robert Schuman, en 1950 a ouvert la voie d'une réconciliation franco-allemande à laquelle la population aspirait mais que les citoyens n'auraient sans doute pas imaginée. Il a pris l'initiative comme les responsables actuels doivent le faire.

Aujourd’hui, l’Europe souffre d’être un projet qui, au contraire, n’est plus suffisamment porté par ses élites. Il faut que les politiques aient le courage de faire ce qu’ils croient juste, et non simplement ce qui permettra leur réélection. En outre, les organisations politiques ne sont pas immuables. A une époque, la Bretagne ou la Bourgogne ne faisaient pas partie de la France. Pourtant, elles en font partie aujourd’hui. Nos pays se sont eux-mêmes développés par des processus. Il en est de même avec l’Europe.

Chine, Inde, Brésil... Les économies émergentes prennent de plus en plus de poids dans l’économie mondiale et deviennent des géants. Face à ces nouveaux acteurs, faut-il défendre nos intérêts par une Europe unie qui pèse sur la scène internationale ou par une Europe des nations dans laquelle chaque État peut, par exemple, dévaluer sa monnaie ?

Nicolas Dupont-Aignan : L’euro affaiblit aujourd’hui l’Europe face à la Chine. 80% de l’excédent commercial allemand se créent d’ailleurs au sein de l’UE, mais elle est récemment devenue déficitaire vis-à-vis du géant asiatique.

L’Europe est en train de perdre la bataille scientifique et technologique de la mondialisation, car elle a une vision malthusienne, rétrograde et dépassée de la mondialisation. L’Europe actuelle se livre donc à la Chine. A l’inverse, des nations libres qui coopèrent ensemble sur des projets technologiques, comme avec Airbus ou Ariane Espace, sont plus de nature à affronter les pays émergents. Si nous voulons sauver l’Europe, il faut retrouver notre liberté et travailler ensemble.

Tous les grands projets mis en place par la Commission européenne ont échoué. Les seuls ayant réussis sont ceux issus de coopérations nationales. L’un d’eux, Airbus, est issu d’un consortium entre quatre pays et n’est en aucun cas passé par Bruxelles. Il faut donc une Europe des nations avec des projets en commun. On ne forge pas un projet à vingt-sept...

Sylvie Goulard : L’idée de dévaluation, telle que présentée par les souverainistes pour renforcer la compétitivité, ne tient pas. Lorsque vous dévaluez, vous permettez de vendre vos produits à des prix plus bas, mais vous surenchérissez dans le même temps tous les coûts des achats de matière première et d’énergie importés de l’étranger (pétrole, gaz...), qui eux-mêmes font partie du coût des produits que vous vendez. La corrélation n’est donc pas aussi simple qu’on nous la présente.

Ainsi, l’Allemagne a une remarquable compétitivité à l’exportation alors que nous partageons la même monnaie. Comment ? Grâce à la qualité de ses produits et à l’innovation, non par une monnaie dévaluée. Enfin et surtout, aucun pays au monde, pas même les États-Unis ou la Chine, ne peut aujourd’hui réguler seul la finance ou régler seul la question du réchauffement climatique. La souveraineté nationale est, de plus en plus souvent, illusoire.

Une Europe fédérale permet de peser plus fort et, en prenant des décisions communes, de se saisir des grands enjeux du 21e siècle. Nous y parviendrons si nous réussissons, en Europe, à organiser le débat politique au niveau où les décisions doivent désormais être prises pour peser dans le monde. Et c'est assez exaltant d'imaginer peser avec nos convictions, qu’elles soient de droite, de gauche ou du centre ou vertes, en alliant nos voix à celles des Européens qui les partagent. A l’inverse, les souverainistes enferment le débat politique pour toujours dans un cadre donné.

La défense des intérêts nationaux ne bloque-t-elle pas la construction européenne ?

Nicolas Dupont-Aignan : L’Union européenne qui est sur le point d’être construite est détestée par les peuples. Et nous ne ferons pas l’Europe sans eux. Nous ne construirons pas l’Europe par l’uniformisation et l’homogénéisation, mais en s’appuyant sur les forces respectives de chaque État et en bâtissant des coopérations simples, sans plus de cinq ou six partenaires. Les grandes entreprises le savent. Il faut des coopérations ciblées avec peu de pays et des objectifs précis : la voiture propre, les panneaux solaires, les nano technologies, la culture de l’espace, l’exploitation des océans en grande profondeur...

Dans une Europe des nations, ces projets seraient financés par les Banques centrales, et non les marchés financiers, avec des taux d’intérêt à 0% et par des coopérations à la carte. C’est la seule voie qui marche, sinon des pays comme Singapour ou la Suède ne réussiraient pas autant. Ce qui compte est la cohérence.

Sylvie Goulard : Il n’est pas normal qu’un pays, à lui seul, puisse bloquer la volonté d’une majorité des 330 millions d’européens qui composent la zone euro. Il faut des procédures majoritaires pour sortir des blocages.

Par exemple, la Finlande ne souhaite pas que le MES (Mécanisme européen de stabilité) pour racheter de la dette publique sur le marché secondaire conformément à l’accord obtenu lors du dernier sommet européen. Mais, avec tout le respect que j’ai pour la Finlande, il n’est pas normal qu’un pays qui représente seulement 1,8% des droits de vote au sein de ce fonds puisse bloquer l’ensemble des autres pays.

Faut-il des élections européennes au suffrage universel direct ?

Nicolas Dupont-Aignan : Il ne s’agit pas d’une solution. Ce type d’élection ou de référendum serait caractérisé par des niveaux d’abstention records. Enfin, est-ce que les Français accepterons d’envoyer des soldats en Irak simplement parce qu’une majorité d’européens l’auront décidé ? Jamais. Le sentiment européen n’existe pas. Il faut partir des réalités pour faire de la politique.

Sylvie Goulard : Effectivement, il faut des élections ou des référendums au niveau européen. Ainsi, une réforme des traités pourrait entrer en vigueur lorsqu’une majorité des États, représentant une majorité de la population européenne, est atteinte.

Par exemple, le « non » l’a emporté lors du referendum sur la Constitution européenne de 2005 en France et aux Pays-Bas. Mais 18 pays, dont deux par référendum, avaient dit oui. En revanche, si un pays ne souhaite pas rester au sein de l’Union européenne, il doit pouvoir partir. C’est d’ailleurs qui est prévu par les traités. Mais dans un système collectif, la majorité - au moins une majorité qualifiée - doit l’emporter.

De même, je pense que les élections européennes ne doivent plus se baser sur des considérations nationales. Les listes proposées devraient être trans-européennes. Nous ne sommes pas allez assez loin dans la construction d'une démocratie authentiquement européenne.

L’Union européenne n’est-elle pas un bouc émissaire facile ? Ne fait-elle pas qu’imposer ce que les chefs d’Etat et de gouvernement décident à Bruxelles et condamnent une fois dans leurs pays ?

Nicolas Dupont-Aignan : Bien sûr, l’Union européenne sert de bouc émissaire parce que nos chefs d’État sont hypocrites.FrançoisHollande a été élu sur le thème de la croissance mais vote des plans de récessions à Bruxelles avec un faux plan de croissance de 130 milliards d’euros dont 90 étaient déjà prévus...

Cette situation est grotesque. Nos hommes politiques ont renoncé a exercé leurs responsabilités.

Sylvie Goulard : Oui, elle est devenue le bouc émissaire pour masquer bien des insuffisances nationales. Deux choses sont dramatiques pour l’Europe : le manque de courage, car nos dirigeants considèrent encore (comme certains médias) que participer à un compromis équilibré est moins "viril" qu'une pseudo "victoire" contre les partenaires. Et l’ignorance - hélas - sévit aussi.

Sur ce dernier point, un nombre important de personnalités politiques n’a pas assez travaillé les questions europèennes et globales. Alors il leur est plus facile de jouer sur des réflexes nationalistes, en faisant croire aux électeurs que l’on va s’en sortir par l’abandon de l’euro ou le rétablissement des frontières. Mais le monde du 21eme siècle, fait d'interdépendances, est bien plus complexe. Ils se cramponnent à des visions en apparence rassurantes, en réalité dépassées. Ce n'est pas respectueux envers le peuple.

Propos recueillis par Olivier Harmant

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