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Crash Paris-Rio : Airbus non-coupable, familles
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Le rapport des experts du Bureau d'Enquête et d'Analyse (BEA) sur le crash du vol Paris-Rio a été rendu public jeudi. Rejetant principalement la faute sur les pilotes, il suscite la déception des victimes trois ans après l'accident. Quid des défaillances techniques et de la responsabilité d'Airbus ? Le BEA, lié au ministère des Transports, est-il assez indépendant pour juger de l'affaire ?

François  Nénin

François Nénin

François Nénin est journaliste enquêteur spécialiste de l'aérien et professeur d'investigation au CFPJ. Il a publié trois livre-enquêtes sur l'aérien dont Transport aérien le dossier noir et Ces avions qui nous font peur aux éditions Flammarion. Collaborateur des magazines Marianne et VSD, il a réalisé le film "Air France la chute libre" pour l'émission Special Investigation de Canal Plus et "Où est passé le MH 370" pour Complément d'enquête (France 2). Ayant suivi une formation de pilote privé, il avait créé le site bénévole securvol.fr pour combler le manque d'informations sur les compagnies. Il vient de sortir deux livres de récits : "Oups, on a oublié de sortir le train d'atterrissage" et "Vols de merde, les pires histoires de l'aviation".

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Atlantico : Tout le monde se souvient du crash du vol Rio-Paris d'Air France en juin 2009, une des plus graves catastrophes de l'aviation française. Vous avez assisté à la remise du rapport des experts judiciaires sur le crash. Quel était l’enjeu ?

François Nénin : Le rapport intermédiaire remis dès juillet 2011 donnait déjà le ton : il rejette la faute sur les pilotes, avançant une faute de pilotage. Parce que, d’une part, ces derniers sont morts et ne peuvent donc pas se défendre ; d’autre part, les indemnités aux familles des victimes sont plafonnées par une Convention lorsque la responsabilité de l’accident incombe au pilote.

Au contraire, si c’est la compagnie aérienne ou le constructeur qui est mis en cause, les indemnités peuvent atteindre des millions. Or le BEA (Bureau d'Enquêtes et d'Analyses pour la Sécurité de l'Aviation civile) est à la fois juge et partie. Mettre en cause un avion qu’ils ont certifié revient à s’auto-accuser d’avoir certifié cet avion ! Le BEA ne peut donc pas, vu sa position, dévoiler la vérité.

Certes, les pilotes ont commis des fautes. Mais l’alarme de décrochage, qui présentait un défaut, les a induits en erreur. Ce qu’on ne reconnaîtra jamais, car cela va à l’encontre des intérêts économiques et industriels français et européens.

Le rapport présenté ce jeudi concède néanmoins que l'avion a pu rendre de mauvaises informations aux pilotes, dans une recommandation sur le matériel Airbus. C'est un progrès. Mais la responsabilité principale incombe toujours aux pilotes.

Quels sont donc les points d’ombre omis par le BEA ?

Par exemple, pourquoi est-ce que Air France a maintenu les sondes pitot – ces sondes qui mesurent la vitesse de l’avion ? Ayant gelé en altitude, elles ont envoyé des informations erronées à l’ordinateur central de l’avion. Or dès 2006, un rapport interne signalait que ces sondes présentaient des défauts. Une quarantaine d’avions a connu une panne similaire avant le crash de 2009 – ce qui n’a provoqué aucune réaction.

N’a-t-on pas tiré les leçons de l’accident du vol Paris-Rio depuis lors, et renforcé la prévention ?

On a bien retiré toutes les sondes pitot et on a entraîné les pilotes à rattraper les décrochages. Mais aurait-il pu en être autrement ? C’était le moins que l’on puisse faire. Le problème reste entier : ce sont des mesures d’urgence. Le manque d’indépendance du BEA demeure. Les instances de contrôle d’Airbus et du BEA n’ont pas pris conscience du potentiel des incidents. Pourtant, les incidents annonçaient la catastrophe. Ce sont 228 morts pour rien.

En 1988, un Airbus A320 se crashe en Alsace – le jour même, on a « blanchi » l’avion, invoquant la faute du pilote, qui a été condamné à 18 mois de prison. L’avion présentait pourtant des défauts. Le juge d’instruction a admis avoir été soumis à des pressions. C’est une vraie omerta : la logique de la loi du silence.

La France est-elle un mauvais élève ?

C’est bien un problème franco-français : on est dans le déni. Il est vrai qu’on a une industrie aéronautique extraordinaire, des joyaux industriels. Mais on refuse de reconnaître qu’ils peuvent avoir des défauts.

Aux États-Unis, l’équivalent du BEA, le National Transportation Safety Board, est rattaché au Congrès – et non pas au ministère des transports, contrairement au BEA. Il a donc un vrai pouvoir : il peut plaquer au sol tous les avions s’il constate un défaut. En France, les lobbys empêchent que le BEA devienne indépendant du ministère des transports, qui a pour but de protéger l’industrie aéronautique.

La façon de gérer l’aérien aux États-Unis, soit montrer patte blanche pour se poser sur le territoire américain, est plus efficace que d’autoriser tout le monde et de contrôler ex-post. On sait bien que pour être sur liste noire en France, il faut vraiment être une compagnie déplorable. Les autres passent entre les mailles du filet. On aurait raison d’appliquer les bonnes recettes des États-Unis – pas toutes, bien sûr, mais certaines. Actuellement par exemple, les Américains augmentent le nombre d’heures de vol de formation des pilotes.

L’accident a-t-il envenimé les rapports entre Airbus, le constructeur, et Air France, la compagnie aérienne ?

Ce sont un peu des frères ennemis, qui doivent avancer main dans la main. Airbus fait des avions, Airfrance s’en fait la vitrine. Tous deux sont mis en examen pour homicide involontaire, font face à des enjeux énormes en termes d’indemnisation et d’image.

Mais à chaque fois qu’un crash touche Air France et que l’avion est un Airbus, c’est Air France qui in fine porte le chapeau, car les intérêts d’Airbus sont considérables en termes économiques par rapport à ceux d’Airfrance. Au final, on condamne les individus, les pilotes d’Air France, et ça arrange tout le monde. Air France ne se débat pas particulièrement pour défendre ses pilotes.

Propos recueillis par Ania Nussbaum

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