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Tour Shard : l'audace à Londres,
le conservatisme pépère à Paris ?
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Lutèce au bois dormant

Londres inaugure ce jeudi le Shard - la plus haute tour d'Europe - et prend la tête de la course à l'image des villes européennes.

Marc-Antoine Durand

Marc-Antoine Durand

Architecte DPLG, Marc-Antoine Durand enseigne à l'ENSA Paris-la-Villette, en plus d'être chercheur au laboratoire GERPHAU Philosophie - Architecture- Urbain.  

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Atlantico : Ce jeudi, la ville de Londres dévoile l’immeuble du Shard, désormais plus haute tour d’Europe, qui culmine à 310 mètres. Comment expliquer cette quête de hauteur un peu partout dans le monde ?

Marc-Antoine Durand : Ce serait une erreur d'affirmer que cette course folle à la démesure se joue un peu partout dans le monde. Elle ne concerne en réalité qu'une petite partie du monde qui comprend en premier lieu Dubaï, Taïwan, Hong Kong et les quelques très grosses villes chinoises. Autrement dit le nouveau monde capitaliste. Les villes de ce que l'on pourrait appeler l'ancien monde, comme Chicago, New-York ou Londres tentent de rivaliser, mais elles sont distancées. La rivalité, justement, des puissances financières mondiales entre elles, semble être le moteur de ce jeu de surenchères quelque peu cynique.

En Europe, c'est l'attractivité économique (et touristique) des villes qui est en jeu, l'image d'un dynamisme retrouvé
ou réaffirmé. Ainsi la tour Agbar construite par Jean Nouvel à Barcelone en 2005, et aujourd'hui le Shard de Renzo Piano (financé par des fonds qataris), à Londres. La portée symbolique de telles constructions prime sur les nécessités fonctionnelles ou innovationnelles, on attend d'elles qu'elles jouent le rôle de monuments, des monuments que l'on aurait construit comme par anticipation. Ainsi le Shard intégrera le circuit touristique et sera sans doute autant, sinon plus, visité que Buckingham Palace pendant la période des JO. Monument porteur d'aucune mémoire, c'est en fait une attraction.
Monuments ou attractions, on aimerait parler d'architecture en d'autres termes...

Un tel projet pourrait-il voir le jour à Paris, où la hauteur d'un immeuble est en principe limitée à 37 mètres ?

Les deux tours de l'Hermitage Plaza, conçus par Norman Foster devraient être livrées en 2017. Située dans le quartier de la Défense, elles deviendront les plus hautes tours d'Europe (environ 320m). Mais je comprends que votre question porte sur le débat d'autoriser ou non les constructions de grandes hauteurs dans Paris intra-muros...

On connaît les arguments des pro et des anti-tours, c'est une question qui a déjà son histoire et une littérature abondante existe sur le sujet (voir le livre de Thierry Paquot: la folie des hauteurs - ou encore le numéro 1 de la revue Criticat). Ce qu'elle éclipse en revanche, c'est le débat sur le Grand Paris. Car si Paris a du retard sur Londres ou d'autres grandes villes européenne, ce n'est pas dans le nombre ou la hauteur de ses tours mais dans la représentation de son territoire et dans sa constitution en métropole.

Les architectes français sont-ils moins audacieux que leurs homologues ?

Si par audace vous entendez prouesse technique alors non, les architectes français ne sont peut-être pas aussi audacieux que leurs homologues chinois, hollandais ou brésiliens. Mais ce n'est pas de cela dont il s'agit. Notre conception de l'architecture ne peut tenir toute entière dans la construction d'objets techniques plus ou moins habitables. C'est terriblement réducteur, et cause d'une fracture importante entre la société et les architectes : de la maison de monsieur tout le monde au Guggenheim de Franck O. Gehry, il n'y aurait rien ? Et comment parler d'architecture ?

Aujourd'hui l'audace est dans l'exploration de voies nouvelles :
penser l'architecture en termes d'interactions avec le territoire, penser l'architecture comme constituante d'un milieu, penser l'architecture dans l'articulation des échelles spatiales et temporelles... À ce titre, les architectes français sont tout aussi innovants que les autres, et ce, même si cette part innovante du travail est moins visible, ou spectaculaire. 

L’UNESCO estime que le Shard nuit à l’ « intégrité visuelle » de la Tour de Londres, qui est inscrite au patrimoine mondial. Est-ce le cas ? 

Sur ce point l'UNESCO adopte une position réactionnaire : pire qu'un panorama écorné, la muséification des centres villes anciens... Les politiques de la mémoire mettent parfois l'accent sur des critères mortifères alors que l'héritage pourrait être source de vitalité.

Ne doit-on pas défendre des architectes comme Renzo Piano, qui a construit le Shard, pour l’audace de leurs initiatives ?

Renzo Piano n'est pas un architecte extravagant ! On l'associe au Centre Pompidou, qu'il a conçu avec Richard Rogers, et il est vrai qu'à cette occasion il a créé le scandale. Mais assez vite, les parisiens et les touristes se sont appropriés le musée au point d'être un de leur lieux préférés aujourd'hui. Renzo Piano est un architecte exceptionnel, il se défendra très bien tout seul.

Ce qu'il s'agirait de défendre en revanche, c'est une conception de l'architecture un peu moins fétichiste...

Propos recueillis par Ania Nussbaum.

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