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Régulation financière : ce qui
a vraiment changé depuis la crise
et ce qui est difficile à mettre en place
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L'ombre des banques

Les récentes et énormes pertes de trading de JP Morgan, qui pourraient atteindre 9 milliards de dollars, ramènent sous le feu des projecteurs la question de savoir ce qui a vraiment changé dans les institutions. Petit état des lieux des réformes financières.

Alexis  Collomb

Alexis Collomb

Alexis COLLOMB dirige la Chaire de Finances du Conservatoire national des arts et métiers à Paris.

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Les événements récents de JP Morgan ont ramené sous les feux de l’actualité cette question : presque quatre ans après la faillite de Lehman et l’émergence d’une crise sans précédent depuis celle de 1929, est-ce que quelque chose a vraiment changé dans le fonctionnement des institutions financières ? Faire en quelques lignes un état des lieux des réformes financières est bien sûr un exercice délicat et je me bornerai ici à résumer quelques points qui semblent importants.

Tout d’abord, si on regarde ce qui a été accompli, on peut dire que le Dodd-Frank Act (signé par Obama en juillet 2010) pour les Etats-Unis, et les accords de Bâle III sur le plan international, même s’ils sont loin de faire toujours l’unanimité, sont des avancées importantes.

Ainsi la législation Dodd-Frank demande la mise en application de certaines mesures difficilement contestables en principe : une plus grande consolidation des agences de régulation, la migration des produits dérivés standards vers les chambres de compensation, l’établissement de mécanismes de résolution financière pour les institutions en faillite (ou sur le point de l’être), la création d’une nouvelle agence de protection des consommateurs (le Bureau of Financial Consumer Protection). Elle renforce également la supervision des agences de notation, restreint le trading pour comptes propres des banques (la « Volcker Rule ») et limite dans le même esprit les relations possibles entre les banques et les hedge funds ou private equity funds.

Quant aux accords de Bâle III, ils exigent des fonds propres renforcés, des ratios de couverture de liquidité à court et long termes plus élevés et une plus grande maîtrise de l’effet de levier. Et même si certains pensent qu’on est allé trop loin dans ces exigences, certains pays de l’Union Européenne, tels l’Autriche, ont accéléré la mise en place de ces normes (le terrain a certes déjà été préparé par certaines demandes de l’Autorité Bancaire Européenne, telles que la nécessité pour les banques d’avoir un Core Tier 1 Ratio d’au moins 9% d’ici la fin 2012). On peut donc dire, à l’aune de la multiplicité des réformes réalisées ou en cours, qu’il y a un véritable travail de fond qui est en train de s’accomplir, et qui s’inscrit dans la lignée des déclarations répétées du G20 depuis Novembre 2008 sur la nécessité de réformer le système financier.

Mais ces avancées de principe, qu’on retrouve également nombreuses dans les travaux de la commission Vickers au Royaume-Uni, ne devraient pas faire oublier les sources de fragilité qui demeurent nombreuses et significatives, soit dans l’implémentation pratique de ces principes (le diable se loge facilement dans les détails d’un document  de plus de huit cent pages tels le Dodd-Frank Act…), soit dans des lacunes de coordination et d’harmonisation internationales qui laissent le système financier vulnérable…

Par exemple il demeure toujours une incertitude sur la désignation des shadow banks d’importance systémique, et sur la régulation de ce secteur bancaire parallèle. Le problème est que les composantes du shadow banking sont beaucoup plus fragiles que les institutions de dépôt réglementées et, en temps de crise, transmettent leurs risques au système bancaire. Les money market funds ne sont d’ailleurs toujours pas strictement régulés même si de facto leur fonctionnement est similaire aux dépôts à vue des banques de dépôt. Comme on a pu l’observer dans les jours qui suivirent la faillite de Lehman, il aura fallu la garantie du Trésor américain pour enrayer la paralysie complète de ce secteur crucial pour le financement à court terme des entreprises.


Un autre problème essentiel qui reste toujours d’actualité est l’aléa moral posé par l’existence d’institutions « too big to fail ».
C’est un problème à facettes multiples et qui ne s’applique pas seulement aux banques, mais également aux compagnies d’assurances (le sauvetage d’AIG l’a bien montré) ou, aux Etats-Unis, aux Government-Sponsored Entreprises (GSEs), ces entités de financement de prêts immobiliers. En effet, sans un sentiment d’impunité dû à la garantie implicite de l’Etat américain, il est très probable que Fannie Mae et Freddie Mac n’auraient pas allègrement financé la bulle immobilière avec les résultats que l’on connaît. Il sera nécessaire (comme le soulignait encore récemment l’ancien directeur dela Federal Reserve, Paul Volcker) de continuer à travailler à la fois sur la prévention du risque de faillite des grandes institutions, sur l’existence ex ante de procédures claires de résolution, et sur une harmonisation cohérente de ces règles entre les principaux centres financiers.

Sur ce dernier point, là aussi il y a des avancées mais lorsqu’on regarde les discussions récentes sur la supervision bancaire européenne, et les dissensions (exacerbées par la crise de la zone Euro) entre partenaires européens, on comprend qu’il y a encore un long chemin à parcourir. Un point encourageant cependant, connexe à ce problème d’aléa moral des institutions « too big to fail », est la question des incitations des employés où quelques progrès ont été faits. On doit en effet maîtriser le décalage dangereux entre d’un côté une garantie publique de long terme (même implicite) et de l’autre des incitations privées de court terme (par exemple en étalant davantage les compensations, comme certaines banques ont commencé à le faire).

Mais tout inventaire des réformes réalisées ou en cours ne devrait pas faire oublier un aspect plus général de la crise financière, et qui menace l’efficacité de toute réforme : ce que j’appellerais la surenchère de la complexité... Il semble difficile de contester que la complexification du système financier qui a précédé la crise (qui est allée de pair avec une opacité croissante) a largement contribué à la crise récente. Lorsqu’on a enfin compris que des poches de risques considérables étaient ainsi logées dans le shadow banking system, dans certains produits structurés (e.g. les CDO-squared ou même cubed) ou dans la multiplication généralisée d’effets de levier dont personne n’avait une vue globale, il était déjà trop tard.

Et sur ce point, les explications fournies mercredi dernier par Jamie Dimon sur les problèmes du Chief Investment Office de JP Morgan étaient particulièrement intéressantes : elles montrent que même aujourd’hui, l’une des banques les plus sophistiquées peut mettre un certain temps à comprendre le risque d’un de ses books principaux de produits dérivés. Car même s’il y a eu un deleveraging global du système financier durant ces dernières années, la complexité des institutions financières et de leurs réseaux demeure. Et s'il est naturel de chercher à réguler une réalité financière complexe par une prolifération de réformes tout aussi complexes, une multiplication de réformes, si elles sont mal coordonnées, risque de produire un résultat net ni forcément prévisible, ni forcément efficace.

Pour ma part, je pense que dans le va-et-vient constant entre institutions régulées et régulateurs, une surenchère dans la complexité conviendra toujours davantage in fine aux institutions désireuses de contourner les réglementations qu’aux régulateurs (qui n’ont pas toujours l’expertise et les moyens considérables des institutions qu’ils surveillent). Aussi je pense qu’il ne faudrait pas que les réformes financières tombent dans le piège de la surenchère de complexité, et oublient de promouvoir l’essentiel : un ensemble de principes simples et coordonnés sur le plan international qui facilitent un financement sain de l’économie, des entreprises comme des particuliers.

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