BRICS : derrière le succès économique, les (vraies) raisons d’un échec politique<!-- --> | Atlantico.fr
Atlantico, c'est qui, c'est quoi ?
Newsletter
Décryptages
Pépites
Dossiers
Rendez-vous
Atlantico-Light
Vidéos
Podcasts
Economie
BRICS : derrière le succès économique, les (vraies) raisons
d’un échec politique
©

Le Sud parle au Sud

En mars dernier, lors du 5ème sommet des BRICS, les cinq grands pays émergents se sont mis d'accord sur la création d'une banque Sud-Sud, en concurrence directe avec la Banque Mondiale. Mais la mise en place de cette nouvelle institution se heurtera à de nombreuses difficultés.

Sylvia  Delannoy

Sylvia Delannoy

Sylvia Delannoy est agrégée d’histoire et professeur au lycée français de Singapour.

Elle a notamment dirigé l’ouvrage Géopolitique des pays émergents. Ils changent le monde, P.U.F., paru en mars 2012 et a été co-directrice du Dictionnaire de géopolitique et de géoéconomie, paru en 2011.

Voir la bio »

Lors du Vème Sommet des Brics qui s’est tenu à Delhi en mars 2012, les cinq grands pays émergents se sont entendus sur la création prochaine d’une "Banque Sud-Sud" dont les fonds seraient versés par eux-mêmes au profit de projets de développement en direction des pays du Sud. Ce projet a donc clairement pour objectif de concurrencer la Banque mondiale dont le rôle est strictement le même que celui qu’ils ont circonscrit pour leur nouvelle banque.

Cette annonce est le fruit d’une conjonction de facteurs favorables. D’abord, les grands pays émergents disposent de liquidités, de réserves de change liées à l’excédent de leur balance commerciale et à une gestion rigoureuse de leurs comptes publics qui jure avec celle des pays occidentaux, exception faite de l’Inde. Ils peuvent également bénéficier d’une légitimité réelle dans le panorama économique mondial tel qu’il s’est dessiné depuis la crise.

C’est certes le début des années 2000 qui a vu décoller les BRIC, acronyme créé rappelons-le en 2001 par Jim O’Neill, mais c’est la crise qui les a adoubés avec la consécration du G20 en 2008. 2009, année noire pour les Occidentaux, le Japon, et bien d’autres, a été traversée certes houleusement par la Chine et l’Inde, mais avec finalement un certain succès, tandis que le Brésil plus touché se relevait miraculeusement dès avant la fin de l’année. Ils incarnent donc aujourd’hui la stabilité quand les pays occidentaux incarnent l’incertitude, le pessimisme, et finalement le passé.D’ailleurs, autre facteur, la crise de la zone euro permet aux pays émergents de se présenter comme la solution unique aux problèmes des pays riches et endettés, et ils tâchent à ce titre de faire pression pour peser davantage dans les organisations internationales et notamment dans les institutions financières sœurs, FMI et Banque mondiale.

Mais les Occidentaux leur en bloquent pour l’instant l’accès… Faute d’un consensus pour désigner un candidat commun - le Mexicain Agustin Carstens n’a pas séduit tous les BRICS - face à Christine Lagarde pour prendre la tête du FMI, les pays émergents ont laissé passer une belle occasion en juin 2011… Même scénario pour la Banque mondiale en avril 2012 : les candidats colombien et nigérian n’ont pas convaincu face au candidat américain d’origine coréenne Jim Yong Kim, et ce d’autant plus que les votes européens et américains ont suffit à faire élire le nouveau directeur général… Ces deux échecs, autant liés au manque de consensus interne au groupe des BRICS qu’aux barrages des Occidentaux expliquent la volonté affichée par les grands pays émergents de prendre leur destin en mains en fondant leur propre système.

La création de cette banque Sud-Sud se heurte cependant aux mêmes difficultés de communication qu’ont éprouvé les BRICS sur les dossiers des directeurs généraux du FMI et de la Banque mondiale. Derrière l’unité de façade présentée aux sommets du G20 ou des BRICS, ils défendent en fait des intérêts différents et nourrissent parfois des rancœurs tenaces : la Chine et l’Inde souffrent encore de contentieux territoriaux, notamment dans l’Aksai Chin. C’est ainsi que l’annonce, au sommet de Los Cabos, de la création d’un système d’échange de devises entre BRICS risque de ne jamais aboutir, le Brésil ou l’Inde ne souhaitant pas dépendre du yuan dont ils critiquent la sous-évaluation, après avoir dépendu du dollar… Et il risque d’autant moins d’aboutir dans un temps court que les monnaies des BRICS restent à l’heure actuelle sous-utilisées dans les échanges commerciaux mondiaux : le dollar et l’euro restent nécessaires.

Tous sont d’accord pour remettre en question la suprématie occidentale, et notamment celle des Etats-Unis sur le plan monétaire et financier, mais la question du "comment", au-delà des effets d’annonce, reste posée tant les BRICS se méfient les uns des autres. Il est d’ailleurs patent de constater que rien de véritablement concret n’est ressorti des différents sommets des BRICS au-delà des contrats bilatéraux intéressant des entreprises originaires de ces pays, et au-delà de la médiatisation nécessaire pour faire vivre l’illusion que le basculement du monde a déjà eu lieu. Ils tentent d’ailleurs de créer une gouvernance financière des BRICS, tout en cherchant encore malgré tout, et coûte que coûte, à s’imposer au FMI et à la Banque mondiale. Ils font ainsi languir les Occidentaux en repoussant leur contribution au renflouement du FMI afin d’obtenir l’entrée en vigueur de la réforme de 2010 qui leur donnait plus de quote-parts et donc plus de droits de vote. Preuve s’il en est qu’ils ne croient pas beaucoup à leur propre système qui sera certes fondé sur la nouvelle légitimité économique des BRICS, mais ne jouira pas de la légitimité historique des institutions de Bretton Woods, profondément enracinées en tant que pivots de la gouvernance mondiale.

Mais ce qui empêche aussi de fonder une nouvelle gouvernance économique et financière, c’est l’absence de leadership dans les BRICS. D’abord par refus des Brésiliens ou des Indiens de voir la Chine s’imposer. Mais aussi par refus de la Chine elle-même de prendre des responsabilités seule dans la gouvernance mondiale. L’Empire du milieu reste guidé par ses propres intérêts et n’a pas pour l’instant vocation à devenir un pompier financier, un éclaireur de l’économie mondiale et à se mettre en danger comme les Etats-Unis l’ont fait lorsque le Système monétaire international a été fondé en 1944.

Le multilatéralisme séduit moins les Chinois que les relations bilatérales plus simples à entretenir et dans lesquelles le rapport de forces leur est inévitablement favorable, sauf avec les Etats-Unis. Le Brésil aurait en revanche des aspirations au leadership mondial, et on le voit à son dynamisme dans les grandes rencontres internationales depuis 2003, mais il n’a pour l’instant pas les moyens de ses ambitions, d’où la nécessité de passer par les BRICS, à défaut de mieux.

Les BRICS ne sont donc pas encore prêts à bouleverser la gouvernance mondiale, et ils le savent : ils s’affichent, gesticulent, conditionnent leur aide, se savent indispensables dans le contexte actuel, mais ils sont aussi conscients qu’ils ne pourront pas, sans les Occidentaux, créer des institutions fiables, durables et suscitant la confiance. Leur rôle est de critiquer la suprématie occidentale pour faire évoluer les institutions existantes, pas de créer de réelles concurrentes. D’ailleurs la Banque mondiale ne craint pas le projet de Banque Sud-Sud, le président pour une semaine encore de cette institution, Robert Zoellick, indiquait dans un entretien au Financial Times le 2 avril qu’il était favorable à la formation de cette Banque avec laquelle des projets conjoints pourraient être menés…

En raison de débordements, nous avons fait le choix de suspendre les commentaires des articles d'Atlantico.fr.

Mais n'hésitez pas à partager cet article avec vos proches par mail, messagerie, SMS ou sur les réseaux sociaux afin de continuer le débat !