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Vu de l’étranger, la “droitisation” de l’UMP ne saute pas aux yeux
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Un peu plus à droite ?

La droite française a perdu gros lors des dernières élections législatives. Pour certains, comme Nathalie Kosciusko-Morizet, l'UMP aurait payé cher sa politique de "droitisation". Pourtant, lorsque l'on interroge nos voisins européens, le paysage politique français ne ferait que suivre une logique en corrélation avec la crise économique actuelle.

Stefan Seidendorf, Marco Da Rin Zanco, Juan Pedro Quinonero

Stefan Seidendorf, Marco Da Rin Zanco, Juan Pedro Quinonero

Stefan Seidendorf est spécialiste des politiques européennes à l’Institut Franco-allemand.

Marco Da Rin Zanco est diplômé en sciences politiques et relation internationale à l'Université de Padoue. Il est vice-coordinateur national à l'UDC (Union Démocrate Chrétien du centre).

Juan Pedro Quinonero est journaliste. Il est correspondant en France du journal conservateur espagnol ABC.

 

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Atlantico : En France, Nathalie Kosciusko-Morizet a comparé la campagne de Nicolas Sarkozy et la ligne Buisson à un retour à l’Action française de Charles Maurras. Avez-vous eu le même sentiment dans vos pays respectifs ?

Stefan Seidendorf(Allemagne) : En observant la campagne présidentielle de Nicolas Sarkozy, c’était moins Charles Maurras (auteur peu connu en Allemagne) qui venait à l’esprit des Allemands, qu'une proximité avec les mouvements populistes d’extrême droite. Ce phénomène qu’on peut observer un peu partout en Europe - de l’Autriche en Flandres, du Danemark en Hongrie, et bien sûr en France (Marine Le Pen) -, se caractérise par sa façon de mobiliser les électeurs via des oppositions entre le "nous" et les "autres".

Les exclusions interviennent aussi bien au niveau identitaire (l’identité "menacée"), économique (le patrimoine "menacé"), et politique ("contre" les élites politiques, il faut représenter le "vrai peuple"). La campagne de Nicolas Sarkozy a mobilisé ces trois éléments - identitaire, économique et politique - sans toutefois pouvoir en tirer une crédibilité suffisante pour recueillir les votes nécessaires.

Juan Pedro Quiñonero
(Espagne) : Le président Nicolas Sarkozy avait obtenu l'union temporaire de toutes les traditions conservatrices françaises, des bonapartistes aux orléanistes. Plusieurs familles de la tradition bonapartiste ont toujours été très proches des traditions populistes. Les orléanistes ont quant à elles, toujours été incommodées par ce populisme plus ou moins extrême des familles bonapartistes.

La ligne Buisson a tenté de fédérer toutes ces familles, en faisant appel aux vieilles racines spirituelles qu'avait incarné l'Action française. Appartenant elle-même à la tradition orléaniste, il est logique que Nathalie Kosciusko-Morizet se sente mal à l'aise, craignant avec raison que cette synthèse conservatrice empêche la conquête d'un électorat plus large.

Marco da Rin Zanco (Italie)
: Nathalie Kosciusko-Morizet pourrait représenter l'avenir de la droite française, il est donc normal qu'elle essaie de marquer une différence par rapport à "l'âge d'or de Nicolas Sarkozy", et cela même avec des expressions parfois fortes.

Ce qui est vrai, c'est que l'Action française représente un passé que l'on espère révolu. Si l'on veut avoir un regard plus large, il est vrai que l'Europe d'aujourd'hui ressemble un peu à l'Europe de la belle époque : le bien-être avait laissé la place à une première phase de crise politique (la Première Guerre mondiale) suivie d'une crise économique (la crise du 1929). Aujourd'hui, comme à cette époque, ce sont les positions les plus extrêmes qui tentent la population, car elles semblent offrir des réponses plus simples et concrètes aux problèmes quotidiens, que celles formulées par les forces politiques dites "modérées".

La droite française est-elle plus à droite qu'en Allemagne, Espagne et Italie ?

Stefan Seidendorf : Tout dépend des partis de droite visés. Si on regarde la "droite populaire" et ses représentants en France, ils incarnent sans doute une ligne "dure" qu'on ne retrouve pas au sein du Parti chrétien-démocrate allemand. L’aile conservatrice de ce parti, la CSU (Union chrétienne-sociale)au pouvoir en Bavière, est finalement ce qui s'en rapproche le plus. Toutefois, après soixante ans passé au pouvoir, ce parti sait faire la part des choses, et différencier le populisme des responsabilités gouvernementales !

Juan Pedro Quiñonero : Il n'y a pas une droite française, mais plusieurs... Après la parenthèse Nicolas Sarkozy, ces droites devront négocier une nouvelle forme d'organisation. Les droites espagnoles, quant à elles, sont sans doute moins conservatrices que la droite bonapartiste française.

Marco da Rin Zanco
: Je n'aime pas la géométrie et reste persuadé que la simplification politique droite / gauche ne s'adapte plus à notre temps. Je crois plutôt que les citoyens voient que le système actuel, qui se fonde sur l'économie globale de marché, ne fonctionne pas comme il devrait. Ils sont prêts, en France comme en Italie, à considérer des "propositions alternatives".

A ce sujet, la droite française a été bien meilleure que la droite italienne. Elle a su représenter une alternative à un président qui était issu du centre droit. En Italie, la crise "Berlusconi" a torpillé la droite et a permis l'émergence d'une nouvelle force, le "Mouvement 5 étoiles" de Beppe Grillo.

Le rapprochement de la droite française avec un parti populiste comme le Front national est-il une évolution logique ? En sachant que nombreux sont les partis de droite en Europe qui ont connu une évolution similaire…

Stefan Seidendorf : Si l’UMP se rapproche du FN, il en résulterait sans doute l’explosion de l’UMP. Face à un vieux parti populiste et extrémiste, il serait en effet très difficile, voire impossible, d’incarner une alternative crédible. En particulier si cette dernière consiste à faire le lit du FN.

Si la stratégie de conquête des couches électorales qui votent aujourd’hui pour le FN peut sembler prometteuse, la question reste entière : quelles solutions "de droite" proposer à ces électeurs ?

Pour ne pas tomber dans le piège consistant à proposer des solutions apparemment "molles", que le FN pourrait facilement doubler par une surenchère, il faudrait peut-être commencer par s’assurer de sa propre identité en tant que parti. Mais alors, quelle ligne peut suivre un parti conservateur qui ne veut être ni être au centre, ni représenter les valeurs chrétiennes-démocrates, ni incarner la pensée libérale, et ce tout en co-existant à côté du FN ?

Vu ainsi, il devient évident qu'un travail de reconstruction idéologique et pragmatique s’impose à l’UMP ! En particulier si ce parti souhaite incarner une alternative crédible à la gauche et à l’extrême droite.

Juan Pedro Quiñonero
: Pour la droite bonapartiste, il s'agit sans aucun doute d'une évolution logique. Je crois que la droite orléaniste pense différemment. Et le gros avantage de Marine Le Pen, c'est qu'elle sait exploiter avec une grande habileté tactique cette division de fond des droites françaises.

Marco da Rin Zanco : Lorsque les gens vivent des moments de difficulté et de crise, ils ressentent nécessairement le besoin de se raccrocher à des éléments identitaires, à des certitudes qui jouent le rôle de boussole à leurs yeux. Et ces derniers sont toujours exploités avec une plus grande efficacité par les mouvements politiques extrémistes et religieux.

Il est donc tout à fait normal que face à la crise économique mondiale, un électeur développe des idées proches de celles défendues par ces partis extrémistes. Mieux, il est tout à fait compréhensible qu'un parti dit "modéré" rogne sur les idées d'un parti extrémiste, en défendant notamment les valeurs familiales, la différence ethnique ou le nationalisme.


La montée de l'extrême droite est-elle considérée comme une menace dans vos pays respectifs ?

Stefan Seidendorf : L’Allemagne ne connaît, pour l’instant, pas de grand parti populiste à droite de son échiquier politique. La menace n’est donc pas considérée comme imminente.

Reste toutefois l'existence de certains groupuscules d’extrême droite qui progressent lentement mais sûrement, notamment en Allemagne de l’Est. Toutefois, ils n'ont pas encore réussi à amorcer un virage populiste qui leur assurerait une meilleure aura politique. Il leur manque également un leader charismatique, des structures et une organisation pour pouvoir réellement mobiliser.

Juan Pedro Quiñonero : En Espagne, on comprend mal le virage stratégique, culturel et sociologique qu'est en train de négocier Marine Le Pen.

Marco da Rin Zanco : En quelque sorte... Néanmoins, il faut bien avouer que la Ligue du Nord tient des propos similaires à ceux du FN. La Lega nord se pose comme un moyen de répondre à la fois aux attentes "des questions du nord" tout en luttant contre la corruption de la politique.


Cependant, ce parti vit dernièrement une crise, du fait qu'il n'arrive notamment pas à apporter de réponses crédibles quant aux problèmes de corruption (estimé à un volume de 60 milliards d'euro). Pire, Lega Nord a été frappé par des scandales à répétition, relatifs à la gestion des fonds publics... Ce qui tend a démontrer qu'il ne vaut guère mieux que les autres partis italiens.

Enfin, pour illustrer cette crainte, on peut aisément évoquer le cas de Silvio Berlusconi, régulièrement accusé de redorer le blason des néo-fascistes, qui ont finalement fait leur entrée au Parlement européen.

Propos recueillis par Charles Rassaert et Alexandre Devecchio

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