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Faut-il vraiment s'inquiéter du rôle joué par les agences de notation ?
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Je t'aime, moi non plus

Le Sénat français a publié mardi un rapport dont les conclusions sont critiques sur le rôle des agences de notation. Visite guidée d'un monde méconnu, que peine à appréhender le pouvoir politique.

Manuel Maleki

Manuel Maleki

Manuel Maleki est Docteur en Sciences Economiques à l’Université Paris I Panthéon-Sorbonne.

Il est spécialiste des questions de réformes. Il a travaillé à Londres dans une grande institution financière avant de rejoindre les équipes de la recherche économique du groupe ING en tant que Senior Economiste.

Il s'exprime sur Atlantico à titre personnel.

 

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Atlantico : Le Sénat français a publié ce mardi un rapport dont les conclusions sont assez critiques sur le rôle des agences de notation. Les politiques comprennent-ils réellement le métier et les mécanismes qui régissent le fonctionnement de ces agences ?

Manuel Maleki : Les parlementaires comprennent le rôle de ces agences. Mais pas forcément les phases techniques puisqu’il ne s’agit pas de leur mission. Cette méconnaissance du fonctionnement technique du métier de la notation peut déboucher sur une certaine incompréhension, en particulier sur la qualité de la notation ou le travail même de prévision. C'est d'ailleurs pour cela que les dirigeants politiques s'appuient sur des commissions parlementaires, ou sur le travail de collaborateurs présents dans leurs cabinets qui sont eux au fait de ces questions.

Il faut avant tout comprendre qu’une note n’est pas une valeur absolue en soit, mais une donnée relative aux notations des autres pays. Ainsi, un triple A ne signifie pas que le risque est nul, mais que l’institution évaluée est considérée comme étant meilleure que les autres. Les interprétations qui sont faites des notations sont donc trop larges et laissent parfois place à une sensibilité personnelle.

L'inquiétude des pouvoirs publics est-elle néanmoins justifiée ?

L’inquiétude des pouvoirs publics est compréhensible, mais il y a aussi un effet d’actualité. Avant la crise, personne ne remettait en cause les agences de notations puisque les notes étaient bonnes, mais dès que ces dernières ont été abaissées, les critiques ont "fusé".

Les politiques reprochent notamment aux agences d’avoir mal évalué la situation de Lehman Brothers avant sa faillite en septembre 2008, ou encore une faute comptable de 2 000 milliards de dollar sur la dette américaine lors de sa dégradation par Standard & Poor’s. Ces erreurs n’ont-elles pas décrédibilisé les agences de notation ?

La notation n’est pas une science exacte et les agences de notations ne sont pas des sociétés d’audit. Elles ne vérifient ni ne valident les comptes. Un travail effectué en amont par des entreprises d’audit (KPMG, Ernst and Young, Price Waterhouse Coopers...).

Ces erreurs ont joué sur leur crédibilité mais la difficulté réside à trouver une solution de substitution plus adéquate et efficace. Quelles structures ou quelles institutions peuvent les remplacer ?

Il existe toujours une grande part d’incertitude puisque les décisions sont fondées sur des modèles statistiques. Malheureusement, les conséquences peuvent parfois être terribles. Les critiques émises à leur égard sont en général a postériori, et non a priori.

Faut-il briser le monopole des trois grandes agences de notation, et accroître leur « responsabilité civile », un élément que préconise le rapport ?

Accroitre la concurrence permet aux entités d’avoir un plus grand éventail de choix susceptibles d’améliorer les résultats. Mais un marché évolue naturellement et celui de la notation existe depuis longtemps. Cette situation oligopolistique est donc le phénomène du marché. Il s’agit d’un oligopole naturel en ce sens où il n’a pas été imposé par les pouvoirs publics. Dès lors, la question de la crédibilité des agences se pose. Sommes-nous parvenu à cet oligopole de marché du fait d’une plus grande crédibilité des ces trois agences par rapport aux autres ?

Enfin, il est toujours possible d’accroitre la responsabilité civile des agences mais, une fois de plus, la difficulté consistera à trouver le niveau adéquat auquel il faut déterminer la part de responsabilité. A partir de quel moment l’agence est-elle responsable ? Faut-il engager la responsabilité de l’agence si elle s’est trompée d’un cran, de deux... ? Il est très difficile de trouver une échelle de mesure surtout lorsqu’il s’agit d’une opinion.

Les notations sont admises par la plupart des entités financières car elles permettent d'établir des comparaisons. Mais elles ne doivent pas dédouaner les banques, les assurances ou même les Etats d’avoir leurs propres services internes d’évaluation des risques afin de comparer leurs résultats à ceux des agences. Il y a donc aussi une facilité à externaliser l’analyse du risque vers les agences afin d’économiser sur ce poste.

Après avoir reproché aux agences de notation de ne pas avoir vu venir la crise en 2007, elles ont été critiquées en 2008 pour l’avoir propagée. N’est-ce pas pour cette raison que le rapport du Sénat préconise d’accroître la responsabilité des agences ?

Il faut tenir compte de la fidélité des marchés et des clients aux agences. Leur métier est d’émettre une opinion sur un risque de défaut. S’il y a une modification de ce dernier, les agences ne font alors que l’informer aux investisseurs. En effet, il ne faut pas oublier les contreparties puisque dernière les dettes se trouvent plusieurs créanciers qui souhaitent retrouver leur argent. L’objectif est donc aussi de protéger les épargnants qui doivent avoir une information claire pour arbitrer parmi plusieurs possibilités d’investissements.

La concurrence entre ces agences de notation pousse-t-elle ces dernières à « dégainer la première », comme cela a semblé être le cas avec Standard & Poor’s lorsqu’elle a dégradé les États-Unis et la France, parfois en désaccord avec ses consœurs ?

Un principe de précaution à peut être joué. En 2007, il leur a été reproché de ne pas avoir réagi assez vite là où, en 2008, elles ont été accusées de dégrader trop rapidement de d’amplifier la crise. Mais ces agences ont la responsabilité de communiquer lorsqu’elles constatent qu’une situation se dégrade.

Dans certains cas, il n’est pas improbable que les agences « provoquent » la réalité des évènements. Ce processus auto-réalisateur existe mais émane surtout de l’action des agents financiers.

Propos recueillis par Olivier Harmant et Franck Michel

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