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Be in sport : pourquoi 
al Jazeera n’est pas le grand 
méchant loup audiovisuel annoncé
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La guerre des télés

Al Jazeera Sport lancera sa chaîne BeInSport 1 ce vendredi dans l'optique de la diffusion de l'Euro 2012 qui débutera le 8 juin. La tension monte entre la chaine du Qatar et Canal+. Mais la fin du monopole de la chaine cryptée n'est-elle pas un mal pour un bien ?

Olivier Babeau

Olivier Babeau

Olivier Babeau est essayiste et professeur à l’université de Bordeaux. Il s'intéresse aux dynamiques concurrentielles liées au numérique. Parmi ses publications:   Le management expliqué par l'art (2013, Ellipses), et La nouvelle ferme des animaux (éd. Les Belles Lettres, 2016), L'horreur politique (éd. Les Belles Lettres, 2017) et Eloge de l'hypocrisie d'Olivier Babeau (éd. du Cerf).

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La mise en service des deux chaînes payantes d’Al-Jazeera be In Sport 1 et 2 constitue un événement à plus d’un titre, mais il faudrait se garder d’y voir pour autant un raz-de-marée qui va tout emporter. En réalité, les bouleversements profonds que va connaître l’audiovisuel sont déjà en marche et doivent très peu au Qatar, qui joue au mieux le rôle de révélateur et d’accélérateur.

Canal Plus s’est ingéniée, à travers maintes prises de paroles dans les médias, à dénoncer l’arrivée des deux chaînes comme une sorte de nouvelle invasion barbare. Dans cette vision quelque peu manichéenne, le Qatar viendrait avec son budget « irrationnel » selon les dires de Bertrand Méheut, bouleverser sans pitié un équilibre fragile de l’audiovisuel français où se complétaient harmonieusement aide à la production cinématographique et financement du football professionnel via les achats de droits. Les choses sont nettement plus nuancées en réalité.

Tout d’abord, l’arrivée d’Al-Jazeera est avant tout une bonne nouvelle pour le consommateur, car elle marque la fin d’un monopole qu’aucun acteur français (après les défaites successives de TPS et d’Orange) n’était parvenu à empêcher, au grand dam de l’Autorité de la concurrence. En régnant sans partage sur la télévision français payante, Canal Plus a pu maintenir un prix élevé (environ 33 euros par mois pour la seule chaine Canal Plus) tout en réduisant en parallèle de 30% ses coûts d’achat de droits entre 2004 et aujourd’hui. Ce que craint aujourd’hui légitimement Canal Plus, c’est de devoir baisser ses prix (et donc rogner ses marges) pour retenir ses abonnés, comme Orange vient de le faire dans la téléphonie mobile pour répondre à l’arrivée de Free. En profitant aux consommateurs, cette baisse des prix signe-t-elle l’arrêt de mort de Canal Plus ? On peut en douter.

Si Al-Jazeera a en effet acquis de beaux spectacles (80% de la ligue 1, 133 matches de la Ligue des champions…), Canal Plus dispose encore de sérieux atouts pour retenir ses abonnés, en particulier deux grandes affiches de Ligue 1 pour chaque journée et le premier choix de la Ligue des champions. Elle accroît donc en fait son offre d’un match pour chaque journée de L1 et récupère le match de la ligue des champions jusqu’ici proposé par TF1, qui a jeté l’éponge. En matière de football étranger, Canal Plus gagne une partie de la Bundesliga et conserve la Série A italienne. La Premier League anglaise reste également dans son giron pendant au moins un an.

Canal Plus serait-il menacé, à plus long terme, par la force financière d’un groupe aux ressources illimitées ? Nous ne le pensons pas non plus, dans la mesure où le Qatar a bien montré qu’il se plaçait dans une optique d’investissement et non de conquête (contrairement à sa stratégie au PSG). Autrement dit, l’argent placé est tout autant soumis aux impératifs de rentabilité que n’importe quel investissement d’entreprise privée. Les faits tendent à confirmer cette idée : comme le montre Frédéric Thiriez, président de la Ligue de football professionnel dans Les Echos du 21 mai 2012, Al-Jazira colle aux prix du marché lorsqu’il achète des droits. Ses investissements pour la Ligue 1 sont par exemple d’un montant trois fois inférieur à ceux de Canal Plus ! Aucune pluie de cash démentielle en vue non plus dans les salaires des journalistes sportifs débauchés par les nouvelles chaînes : de leur propre aveu, beaucoup d’entre eux ont dû accepter une baisse de salaire pour être embauchés (voir à ce sujet le dossier du Monde Télévisions des 27-28 mai). Al-Jazeera a les moyens d’une stratégie ambitieuse sur le long terme, mais probablement tout autant que le groupe Canal Plus, avec son résultat opérationnel 2011 de 711 millions d’euros…

Dernière crainte relayée dans les médias : en affaiblissant Canal Plus, c’est le financement du cinéma tout entier qui se trouverait ébranlé. Bien au contraire, et de façon assez peu intuitive, l’arrivée de beIN Sport va augmenter mécaniquement les aides au cinéma français alors mêmes que beIN Sport ne diffusera pas de film mais du sport. Comment cela est-il possible ? Les recettes d’abonnement de beIN Sport seront perçues directement par les distributeurs (Orange, SFR, Free…), contrairement d’ailleurs à celle de Canal Plus. Or, les recettes d’abonnement des distributeurs sont désormais soumises à un prélèvement vers le fond de soutien au cinéma (le « COSIP ») payé au Centre National de la Cinématographie. Donc, en contribuant à abonder le COSIP, l’arrivée de beIN va bien profiter au Cinéma.

Sans doute BeIN ne financera-t-elle pas directement la production audiovisuelle par le préachat de films pour sa propre antenne comme le fait Canal Plus. On ne peut pas véritablement le lui reprocher dans la mesure où elle n’en diffusera pas ! En revanche, il ne faut pas oublier que BeIN Sport financera également le sport amateur puisque 5% des droits audiovisuels qu’elle achète sont reversés directement au sport amateur (et non uniquement au football) par le biais de la taxe dite « Buffet ».

Le vrai enjeu concernant l’avenir de la production cinématographique se situe en réalité plutôt du côté de l’évolution très rapide des modes de consommation de l’image, sous l’effet en particulier du développement prochain de la télévision connectée (avec des offres comme Google TV ou Apple TV), mêlant en une synthèse originale télévision, VàD et surf sur Internet. Celle-ci va profondément remettre en cause le modèle actuel de la télévision, qu’elle soit payante ou gratuite, et exiger à terme une remise à plat des systèmes de financement du cinéma. La place de ce dernier dans une offre audiovisuelle de plus en plus diversifiée va en effet énormément évoluer, et avec elle ses sources de financement.

En somme, l’arrivée du nouveau concurrent qu’est Al-Jazeera sur le marché de la télévision payante apparaît comme un accélérateur plutôt qu’un déclencheur des transformations en cours. En apportant une émulation nouvelle, porteuse d’innovation et d’amélioration du service proposé, ces deux nouvelles chaînes ont toutes les chances de faciliter la redéfinition des équilibres des filières cinéma et du sport.

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