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Ce qu’un “bouddhileaks” pourrait nous apprendre sur les zones d’ombre du bouddhisme
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Combien coûte le Nirvana ?

Vatileaks a levé le voile sur un certain nombre de zones d'ombres au Vatican. Cette politique de transparence absolue, initiée par Wikileaks, semble vouloir s'attaquer à tous les cœurs de pouvoir. Et s'il y avait un "Bouddhileaks", quels secrets pourrait-il aborder au sujet des Tibétains et du Dalaï-Lama ?

Gilles Van Grasdorff

Gilles Van Grasdorff

Gilles Van Grasdorff est journaliste, correspondant à Paris du journal luxembourgeois Wort.

Spécialiste du Tibet, il est l'auteur de L'histoire secrète des Dalaï-Lamas (Flammarion / 2009) et Dalaï-Lama : la biographie non autorisée (Archipoche / 2012).

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Atlantico : L’affaire Vatileaks vient de porter les projecteurs médiatiques sur les arcanes du pouvoir au sein du Saint-Siège. Religion souvent perçue comme parfaitement transparente, le bouddhisme tibétain n’aurait-il pas, lui aussi, ses zones d’ombres ? Que pourrait contenir un éventuel « Bouddhileaks » ?

Gilles Van Grasdorff : L’argent, tout d’abord. On peut s’interroger, compte tenu des nombreuses sommes que le Dalaï-Lama et son gouvernement reçoivent de la part de différentes institutions, sur l’usage qu’ils en font. On ne sait pas toujours si cet argent profite au clan au pouvoir ou à la population. Je doute en tout cas que cette dernière en soit la principale bénéficiaire. Depuis qu’il est en exil, je n’ai jamais vu le gouvernement du Tibet venir en aide aux Tibétains qui vivent encore en Chine.

Le problème, avec le gouvernement en exil, c’est qu’ils perpétuent des traditions historiques. Depuis la nuit des temps, le Tibet est dirigé par 45 clans familiaux. Ils se sont toujours partagé les pouvoirs. A l’époque, ils étaient rois, princes ou chefs de tribus. A partir du VIIème au XIème siècle, ils sont devenus des lamas et des réincarnations. Le système des réincarnations était un outil politique, instauré en 1173 par le premier karmapa pour justifier la transmission filiale du pouvoir, grâce à la théocratie bouddhiste.

Certains de ces enjeux de pouvoirs, s’ils sont parfois évoqués, restent peu connus. Quels sont les luttes et à qui opposent-elles le Dalaï-Lama ? Je pense notamment aux adeptes de Dordjé Shougdèn qui semblent être perçus comme des adversaires, voire des ennemis, par le guide spirituel en exil.

Shougdèn, c’est ce que l’on appelle une secte bouddhiste. Mais plutôt que le sens courant de ce mot en France, il faut y voir une sous-lignée du bouddhisme tibétain. Elle est apparue au VIème siècle. Elle prône un tantrisme particulièrement rigoriste dans lequel on peut par exemple avoir des esclaves sexuels. C’est un dérivatif qui peut se rapprocher de la secte japonaise Aum.

En 1997, Shougdèn a fait assassiner l’un des bras droits du Dalaï-Lama. Ils aimeraient la mort de ce dernier. Ce sont des intégristes du bouddhisme tibétain comme il en existe dans tous les bouddhismes. Ce sont des gens qui n’hésitent pas à utiliser la violence. Car si les paroles du Bouddha prônent la non-violence, tous les courants bouddhistes ont fait preuve de violence au fil de l’histoire pour profiter du pouvoir.

Le problème du Dalaï-Lama, c’est que ce n’est pas un politique. Il a raté sa vocation et aurait dû rester un simple lama dans son monastère plutôt que de devenir le chef du Tibet en exil. Il n’est ni un négociateur ni un démocrate. Face à Shougdèn, il a toujours maintenu une distance tout en ayant une position très ambiguë : après tout, ce courant est aussi une part du bouddhisme tibétain.

Il sait que derrière, il y a les Chinois. Shougdèn dispose de monastères, notamment en Ecosse. Ils reçoivent de l’argent et soutiennent par exemple le panchen lama qui a été choisi par Pékin. Ils justifient les réincarnations qui profitent à la Chine et dont Pékin multiplie les apparitions dans le Tibet chinois. Ils réclament un XVème Dalaï-Lama dont la nomination serait orchestrée par Pékin.

N’est-il pas étonnant que les secrets qui émergent ne surprennent qu’à peine alors que le bouddhisme tibétain semble bénéficier d’une aura positive ? Personne ne semble soupçonner les luttes de pouvoir et les enjeux financiers liés au Dalaï-Lama et à ses proches.

L’humanité n’est pas quelque chose de propre. Les religions et les guerres sont sales. Nous sommes des hommes et tous commettent des erreurs. Le bouddhisme tibétain et le Dalaï-Lama aussi. Ce dernier a fait des conneries et les assume, même si certaines personnes frappées de bouddha mania se refusent à constater ces évidences. Le Dalaï-Lama, homme d’ouverture, ne l’est pas tout à fait dès lors que l’on évoque des questions d’argent.

Lorsqu’il vient en Occident, le Dalaï-Lama facture ses journées d’enseignements 300 euros par jour et par participant.  Pour 10 000 personnes sur trois jours, cela représente une somme conséquente. Si le pape faisait la même chose, on entendrait immédiatement hurler au scandale.

Y a-t-il parmi les responsables tibétains en exil des personnalités ou des groupes qui oeuvrent à plus de transparence ?

La transparence n’existe pas. Ce n’est pas écrit dans le dharma. Il y a des gens bien dans l’entourage du Dalaï-Lama. Ce dernier est d’ailleurs quelqu’un qui est confronté à de dures réalités et qui acceptent tout à fait les critiques que l’on peut lui faire. Malheureusement, dans le gouvernement dont il s’est retiré en décembre dernier, alors que l’on parle de démocratie depuis 1963, il a nommé pour la première fois un Premier ministre laïc en 2011. Jusque-là, il désignait toujours des lamas qui, malgré toute leur respectabilité, défendait son clan et son courant religieux.

Les Tibétains se sont battus entre eux et ont oublié de se battre pour leur pays. Il y a deux karmapas. Il risque d’y avoir rapidement deux Dalaï-lama. L’argent et le pouvoir entraînent des dérapages.

Il convient de s’interroger sur les immolations qui restent cachées, notamment dans le Sichuan chinois. Ce phénomène ne s’est jamais arrêté. La population tibétaine a largement été déplacée dans cette province et la majeure partie des résistants sont encore en Chine, très peu en exil finalement. En Inde, seuls quelques jeunes contestent activement contre Pékin et s’opposent au pouvoir du Dalaï-Lama. Ce sont là deux idéologies qui s’opposent : la Chine communiste a rayé le Tibet de la carte tandis que le Dalaï-Lama et son gouvernement laissaient faire. C’est une forme de lâcheté, de laisser-faire alors qu’une partie de la jeunesse a toujours voulu lutter, qu’il faut condamner.

Propos recueillis par Romain Mielcarek

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