"Les eurobonds ne peuvent fonctionner qu'avec un partage des souverainetés nationales"<!-- --> | Atlantico.fr
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"La voie la plus simple, pour constituer une assise financière garantissant les prêteurs, serait d’asseoir lesdites euro-obligations sur un budget européen plus « conséquent » que l’existant."
"La voie la plus simple, pour constituer une assise financière garantissant les prêteurs, serait d’asseoir lesdites euro-obligations sur un budget européen plus « conséquent » que l’existant."
©Reuters

Mutualisation des dettes

La mise en œuvre d’eurobonds s’affirme comme une des solutions prioritaires à la sortie de crise que traverse la zone euro depuis le second semestre 2009. Mais ce projet peut-il se réaliser à cadre institutionnel inchangé ?

Jean-Luc  Sauron

Jean-Luc Sauron

Jean-Luc Sauron est professeur associé à l'Université Paris-Dauphine.

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Pour beaucoup, la mutualisation de la dette des États européens par le biais de l’émission d’euro-obligations entraînera une diminution du taux des intérêts demandés, par les marchés financiers, à ces mêmes États. Par ce mécanisme, le taux d’intérêt ne serait plus calculé en fonction de la situation économique d’un État demandeur en particulier, mais en relation avec celle de la collectivité d’États constituée pour l’émission d’obligations.

Cette opération devrait permettre de diminuer le taux exigé des États en difficulté... mais aussi d’augmenter celui des États inspirant aujourd’hui la confiance aux marchés (cette semaine, l’Allemagne se fait prêter à... 0%). Il ne s’agit pourtant que d’un pari : rien ni personne ne peut garantir que le taux de ces euro-obligations serait durablement bas. Cette incertitude sur le moyen terme résulte de ce que le système envisagé ne découple pas suffisamment lesdites euro-obligations de l’état réel des économies européennes sur lesquelles elles s’appuient.

La seule manière d’éviter ce risque d’augmentation du taux des euro-obligations serait de déconnecter ces dernières d’une économie européenne particulière. Comment y arriver ? La voie la plus simple, pour constituer une assise financière garantissant les prêteurs, serait d’asseoir lesdites euro-obligations sur un budget européen plus « conséquent » que l’existant. Ce dernier représente aujourd’hui à peine 1,03% du PIB de l’UE soit environ 140 milliards d’euros (l’équivalent du budget de la Suède, pays de 9 millions d’habitants).
Pour obtenir ce budget conséquent, il faut impérativement sortir de la logique d’un budget de l’UE alimenté principalement par des États membres, eux-mêmes en difficultés financières et budgétaires. La seule solution serait de doter l’Union européenne d’impôts qui la financeraient directement et qui se substitueraient aux contributions nationales (86% actuellement des recettes). Des propositions sont sur la table : taxe sur les transactions financières, TVA européenne, taxe sur les communications téléphoniques, taxe sur les voyages aériens trans-européens, etc. Ils permettraient de dégager des montants chiffrés en plusieurs centaines de milliards d’euros.
Notons alors une première difficulté : qui serait légitime à décider de l’usage de ces fonds considérables ? L’actuelle Commission européenne, élue au second degré par un Parlement européen qui connaît une faible représentativité (élu par 43% des électeurs européens) et que la Cour de Karlsruhe considère comme d’autant peu démocratique que la répartition des élus par États membres avantage les petits États par rapport aux grands (dont l’Allemagne…) ? Certainement pas. Sur ce premier point, Wolfgang Schäuble, le ministre allemand de l’économie et des finances a suggéré récemment (le 17 mai dernier) de faire élire par les Européens, au suffrage universel direct, le Président de la Commission européenne. Il s’agit d’une des voies possibles vers l’Union politique, il en existe d’autres. 
Les Européens ne pourront pas avancer sur l’un des dossiers (les euro-obligations) sans le faire également sur l’autre (l’Union politique). Cette double exigence est-elle gérable sur le court terme de la crise ?
Seconde difficulté : après s’être mis d’accord pour moins s’endetter par le biais des euro-obligations, il est crucial de diminuer drastiquement, mais en se donnant le temps pour ne pas tuer le malade en le soignant, l’endettement des États membres. C’est l’objet de l’ensemble des mesures adoptées (Six Pack, mécanisme européen de stabilité, Pacte budgétaire) ou en cours d’adoption (le Two Pack). 
Mais ce train de réformes bouleverse le fonctionnement démocratique des États européens tel qu’il s’est construit depuis le XIXe siècle. Dénationalisant la conduite des politiques budgétaires, il organise une gestion et une surveillance partagées des choix budgétaires et fiscaux autrefois sous la maîtrise des seuls représentants nationaux. 
Une majorité de citoyens européens y sont favorables comme l’atteste une toute récente enquête d’eurobaromètre. Mais l’organisation des pouvoirs dans chacun des États membres doit être revue à l’aune de ce bouleversement. Sans quoi, la nécessité même des élections nationales sera mis en cause : à quoi bon voter pour des parlementaires nationaux dont le rôle se réduira à approuver, sans pouvoir les changer, les choix faits collectivement à Bruxelles par les Exécutifs nationaux ? Penser que le principe du consentement à l’impôt pourrait être vidé de sa portée sans emporter des conséquences sur les vies politiques nationales est bien irresponsable !
La question des euro-obligations ne pourra être réglée que par un partage profond et transparent des souverainetés nationales. Cet exercice conjoint des souverainetés des États membres de l’Union européenne ne pourra faire l’économie d’une refondation politique du processus décisionnel tant européen que national. La vraie divergence franco-allemande se situe là : la France est-elle favorable à une Europe politique de nature fédérale, qui constitue un bouleversement de la mythologie politique nationale issue de la Révolution de 1789 ?

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