L'illusion de la concurrence ? Dix groupes contrôlent l'essentiel de ce que vous achetez<!-- --> | Atlantico.fr
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Dix groupes possèdent la plupart des produits de consommation courante.
Dix groupes possèdent la plupart des produits de consommation courante.
©DR

Coca vs Cola ?

Kraft, Nestlé, Pepsico, Kellogg's, Mars, Coca-Cola, Procter & Gamble, Unilever, Johnson & Johnson, General Mills : ces dix groupes possèdent la plupart des produits de consommation courante. Les autorités de régulation sont-elles encore capables de faire respecter la concurrence ?

Patrick Hubert

Patrick Hubert

Patrick Hubert est avocat spécialisé dans le droit à la concurrence.

Il travaille pour le cabinet d'avocats Clifford Chance à Paris.

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"L'illusion du  choix", "ces dix compagnies contrôlent tout ce que vous achetez" : le schéma publié par Business Insider fait réfléchir. La concurrence ne serait qu'apparence : sous la multiplicité des marques, on retrouve toujours les dix mêmes compagnies. Or la concurrence donne sa légitimité à l'économie de marché : sans elle, la seule limite à la recherche de profits, c'est l'épuisement du budget des consommateurs.

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Si c'est vrai, il s'agit, de nouveau serait-on tenté de dire après tant de doutes sur la régulation financière, d'un échec grave de la régulation des marchés. On le sait, la concurrence n'y règne pas de façon naturelle, c'est en tout cas l'idée aujourd'hui dominante ; des autorités (au premier chef, en Europe, la Commission européenne) sont donc chargées de la protéger, en contrôlant les concentrations. Alors, ces régulateurs-là auraient-ils aussi échoué ?

Avant d'aller plus loin, il faut distinguer, dans le schéma, ce qui est vrai de ce qui est une simple construction.

Les grands fabricants de produits de consommation contrôlent de nombreuses marques, c'est vrai ; des produits apparemment concurrents entre eux peuvent être fabriqués par un même groupe, c'est encore vrai ; et il n'est pas faux (mais c'est une idée différente) que ces géants contrôlent des marques qui relèvent de lignes de produits diverses.

Mais, de ces constatations, l'on ne peut tirer de conclusions sans se poser d'autres questions. Par exemple, pour un type de produit donné, existe-t-il un ou plusieurs fabricants ? Et s'il y en a plusieurs, s'agit-il d'un petit nombre ou d'un nombre significatif ? En présentant les produits compagnie par compagnie, et pas ligne de produit par ligne de produit, le schéma ne met pas en évidence la concurrence entre les lignes d'Unilever et celles de Procter & Gamble, par exemple, ou entre Coca Cola et Pepsi Cola. Quant aux "10 compagnies qui contrôlent tout", le schéma se limite artificiellement à ce nombre. Or, pour chaque ligne de produit de ces "10", il serait facile de trouver des sociétés très importantes qui n'ont pas été citées : Danone, Sara Lee, Henkel, Reckitt Benckiser, Suntory et bien d'autres, sans parler des PME. Par ailleurs, la grande distribution organise sa politique d'achats de façon à maximiser la concurrence ; elle va même jusqu'à la susciter en mettant sur le marché des "marques de distributeur".

Tout va-t-il donc pour le mieux dans un univers parfaitement régulé ? En réalité, ce que le schéma ne dit pas, mais qu'il révèle indirectement, c'est que la régulation de la concurrence est de plus en plus technique, et donc de plus en plus coûteuse et incertaine.  

La multiplicité des marques et des produits, la présence enchevêtrée des fabricants sur ces différentes lignes demandent un travail acharné chaque fois qu'une fusion est soumise au contrôle des autorités, afin de savoir lesquels, parmi les produits des deux entreprises, sont vraiment concurrents les uns des autres (ce qui peut obliger l'acquéreur à revendre des marques à un tiers) et lesquels le sont marginalement ou pas du tout. Par exemple, lors d'une opération récente, la Commission européenne a mené des études techniques multiples et approfondies pour savoir si les consommateurs étaient prêts à remplacer des déodorants pour homme par des déodorants "autres que pour homme", des déodorants à bille par des sticks ou des sprays, des déodorants à propriétés dermatologiques par d'autres qui n'en ont pas, tout en croisant ces différentes catégories.

Autre problème : un groupe qui contrôle plusieurs marques non directement concurrentes entre elles peut poser des problèmes tenant à sa capacité à s'appuyer sur une marque pour en promouvoir une autre. Les lecteurs les plus âgés se souviendront que l'achat d'Orangina par Coca Cola avait été bloqué parce que les autorités craignaient qu'en France, Coca Cola soit la seule société à pouvoir proposer aux distributeurs un assortiment complet de soft drinks : c'est la peur de ce que l'on appelle l'effet de portefeuille. Il faut alors se demander si les différentes marques possédées, éventuellement disparates, ont des liens qui peuvent produire un tel effet, ce qui n'est pas simple.

Cette complexité de la régulation a un coût : fonctionnaires des autorités, études de plus en plus lourdes avant et pendant les opérations de fusion, discussions sans fin avec les autorités dans la mesure où la sophistication des analyses multiplie les occasions de désaccords. La complexité présente aussi un risque : les régulateurs peuvent commettre des erreurs, dans les deux sens (interdire ce qui est sain et autoriser ce qui est dangereux).

Mais a-t-on le choix ? L'alternative à la sophistication, c'est l'élaboration de règles simples. Un exemple de règle simple est souvent discuté en matière de régulation bancaire : la séparation des activités risquées et moins risquées. Peut-on trouver des règles de même nature ailleurs ? Interdire au fabricant d'une boisson au citron de vendre aussi une boisson à l'orange ? Au lecteur (à l'électeur ?) de décider si la concurrence est à ce point malade qu'il faille aller jusque là et en accepter la conséquence : déléguer à des fonctionnaires le soin de fixer des règles, chacune très simple, certes, mais qui par leur prolifération pourraient tourner au cauchemar (poulets + canards, oui ; poulets + dindes, non ?).  

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