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Jean-Marie Bockel : "Se désengager militairement du Sahel dans le contexte actuel serait un échec absolu"
©Jérémy MAROT / AFP

Géopolitique

Depuis 2013, 55 militaires français sont morts au Sahel. Dans un entretien croisé avec Emmanuel Dupuy, président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe, l'ancien ministre Jean-Marie Bockel rappelle pourquoi la France doit y garder une présence politique, économique, sécuritaire.

Jean-Marie Bockel

Jean-Marie Bockel

Jean-Marie Bockel est un avocat et homme politique.

Nommé en 2007 Secrétaire d'Etat chargé de la Coopération et de la Francophonie, il devient secrétaire d'État à la Défense et aux Anciens combattants lors du remaniement ministériel de mars 2008.

Beaucoup voient dans ce changement le résultat de pressions exercées par les présidents Omar Bongo et Denis Sassou-Nguesso, mécontents de ses positions au sujet de la Françafrique.

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Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy

Emmanuel Dupuy est enseignant en géopolitique à l'Université Catholique de Lille, à l'Institut Supérieur de gestion de Paris, à l'école des Hautes Études Internationales et Politiques. Il est également président de l'Institut Prospective et Sécurité en Europe (IPSE). 

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Atlantico: Depuis janvier 2013, début de l’opération Serval (Mali), à laquelle succède, en août 2014, l’opération Barkhane, sur un théâtre d’opérations élargi à quatre autres états du Sahel (Mauritanie, Burkina-Faso, Niger et Tchad), 55 militaires français sont morts dont 50 tués au combat. Le décès, la semaine dernière, de cinq militaires français semble relancer le débat quant à la légitimité et efficacité de la présence française. La France doit-elle quitter le Mali et le Sahel ? 

Jean-Marie Bockel :  Non la France doit rester au Sahel tant que les pays du G5 Sahel le lui demande clairement. Ce fut le cas lors du Sommet de Pau, en janvier 2020. Je suis convaincu qu’il en sera ainsi, de nouveau, à N’Djamena, dans quelques semaines.

Il convient de rappeler que la France est au Mali, depuis 2013, à la demande du gouvernement de transition menée par Dioncounda Traoré. Depuis, huit résolutions onusiennes sont venues rappeler l’indispensable coopération entre la mission de stabilisation onusienne, le dispositif militaire français, les missions de formations européennes, sans oublier la Force conjointe du G5-Sahel.

Cette présence doit être politique, culturelle avec la dimension francophone, économique et sécuritaire. Il n’y a pas de développement durable sans sécurité ni de paix solide sans bonne gouvernance. Tout se tient et c’est notre devoir et notre intérêt d’aider ces états fragiles à condition qu’ils fassent leur part du travail et prennent leur destin en main et qu’ensemble nous sortions de la relation piégée et ambiguë du style « je t’aime, moi non plus ». 

Il faut aussi prendre conscience du fait que la France est de plus en plus souvent critiquée pour son engagement courageux, d’autant plus qu’il aura été singulièrement orphelin d’une mobilisation européenne que nous sommes nombreux à appeler de nos vœux. Ne soyons ainsi pas dupes des influences extérieures qui semblent convergentes pour remettre en cause notre engagement militaire. C’est, ainsi qu’il convient de convaincre nos partenaires européens à nous rejoindre au Sahel.

Emmanuel Dupuy : Plutôt que de parler d’un départ précipité des 5500 militaires français déployés au Sahel depuis 2013, au regard des récentes attaques qui ont tuées cinq militaires français, la semaine dernière, faut-il sans doute davantage évoquer la préparation du passage de relais aux forces armées constitutives du G5-Sahel (Mauritanie, Mali, Niger, Burkina-Faso, Tchad). 

C’est d’autant plus nécessaire que la reconstitution de ces dernières, constituera la réponse la plus résiliente et pérenne au vide sécuritaire qui a favorisé l’enkystement des groupes armés (notamment rebelles touaregs et groupes d’auto-défense peuls) et organisations terroristes (tant celles liées à Al Qaida (Groupe de Soutien à l’Islam et aux Musulmans - GSIM - dirigé par Iyad Ag Ghali) et celles ayant prêtées allégeances à l’Etat islamique (notamment, l’Etat Islamique dans le Grand Sahara - EIGS - dirigée depuis mai 2015 par Abou Walid Al-Sahraoui, ou encore le mouvement nigérian Boko Haram, créé en 2009, agissant tant à l’est du Niger, au sud-ouest du Tchad ou au Nord-ouest du Cameroun). 

L’acceptation du coût de telles missions (911 millions d’euros pour Barkhane en 2020), au sens financier, comme humain, après maintenant huit ans déjà, est devenue, en effet, la principale contrainte de tout déploiement militaire. Car, paradoxalement, comme en Afghanistan, en Syrie et en Irak, avant le Sahel, les opérations cinétiques mettent hors d’état de nuire de nombreux terroristes. Mais, cela suffit-il pour autant à rebâtir une gouvernance toujours défaillante et reconstruire une confiance des populations dans leurs propres institutions régaliennes ?

Le Président Emmanuel Macron, devrait, sans doute, à l’occasion du prochain Sommet du G5-Sahel, prévu en février à N’Djamena, au Tchad, réajuster le format de Barkhane. L’on sait que 600 soldats français devraient quitter le théâtre d’opérations. Quelle pourrait être l’évolution de la mission, eu égard au contexte politique sensiblement modifié par le coup d’état du 18 août dernier à Bamako ?

Jean-Marie Bockel : Se désengager militairement dans le contexte actuel serait un échec absolu, une réduction progressive du format et des missions qui doit être notre objectif doit être précédé d’un renforcement quantitatif et qualitatif des forces de sécurité locale. Ça me parait une perspective réaliste au vu des progrès déjà accomplis par les armées des pays de la région, avec notre soutien et celui de nos alliés européens. 

 Parallèlement il faut qu’au-delà des échéances électorales à venir, particulièrement au Mali, la bonne gouvernance se reconstruise à tous les niveaux faute de quoi tous les efforts seraient vains.

Il y a néanmoins une réalité nouvelle que le prochain sommet de N’Djamena devra affronter consciemment. En effet, l’opération Barkhane évolue désormais dans un nouvel environnement politique, découlant autant du coup d’état militaire du 18 août dernier à Bamako, ayant inscrit le Mali dans une « transition » politique aboutissant à de nouvelles élections d’ici mars 2022, que de celui des processus électoraux récents ayant confirmés les présidents du Burkina-Faso, Roch Marc Christian Kaboré - dans la continuité de son deuxième mandat, ou du successeur du président nigérien sortant, Mahamadou Issoufou.

Emmanuel Dupuy : Le Chef d’état-major français des Armées, le Général François Lecointre a évoqué, à cet effet, le 17 décembre, que la France avait sans doute « fait le tour du cadran » permettant de limiter à l’avenir le niveau d’engagement des forces françaises. Il en sera question, en effet, lors du prochain sommet de N’Djamena, réunissant la France à ses partenaires, dans le cadre de la présidence tchadienne du G5-Sahel. 

Le président burkinabé a été réélu pour un second mandat, le 22 novembre dernier. Le deuxième tour de l’élection présidentielle au Niger se déroulera le 21 février prochain. Le scrutin présidentiel n’aura lieu au Tchad, que le 11 avril prochain. Le nouveau pouvoir civilo-militaire malien tarde à concrètement mettre en application la Charte de transition politique sur lequel il s’était pourtant engagé, le 12 septembre dernier.

Bien que cela ne débouche sur des changements majeurs, il n’en demeure pas moins que les opinions publiques et citoyens sahéliens, qui ont encore payés un trop lourd tribut au terrorisme en 2020 - alors que 4250 d’entre eux sont décédés au Mali, au Burkina-Faso et au Niger - exigent avec plus de détermination qu’auparavant que leurs responsables politiques élus ou réélus trouvent une issue politique à une situation qui ne peut pas être gagnée que par le seul prisme militaire.

Ce « paradoxe » mêlant changement et continuité dans le leadership politique autant que dans celui du commandement des appareils sécuritaires est une contrainte supplémentaire pour Paris.

Le nouveau pouvoir « transitoire » mais néanmoins fortement « militarisé », né du Coup d’état du 18 août dernier orchestré par le Comité national de Salut du Peuple (CNSP) semble vouloir ouvrir un dialogue avec les groupes armés terroristes. Faut-il s’y engager, sur le modèle du dialogue initié par les Etats-Unis avec les Talibans ?

Jean-Marie Bockel :  Le Sahel n’est pas l’Afghanistan, heureusement ! 

Certes ces états sont fragiles et artificiels à bien des égards, mais ils ont connu de longues périodes de stabilité politique, de paix et de développement, je peux en témoigner pour bien les connaître et la France y était considéré en ami sincère ! 

Pourquoi ne pas discuter avec quelques chefs Touareg ou autres égarés, dans la grande tradition sahélienne d’accord de paix et de réconciliation nationale hélas jamais respectés de part et autre par le passé. Mais négocier avec les djihadistes serait selon moi une erreur tragique et mortifère qui ne profiterait qu’à ces derniers en ruinant tous les efforts et tous les sacrifices.  

Emmanuel Dupuy : Les citoyens sahéliens, qui ont encore payés un trop lourd tribut au terrorisme en 2020 - alors que 4250 d’entre eux sont décédés au Mali, au Burkina-Faso et au Niger - exigent avec plus de détermination qu’auparavant que leurs responsables politiques élus ou réélus trouvent une issue politique à une situation qui ne peut pas être gagnée que par le seul prisme militaire. 

Il en découle évidemment, une nécessaire adaptation du dispositif militaire français, pour répondre à cette situation politique nouvelle qui implique la volonté - légitime - d’asseoir la stabilisation des états sahéliens sur un dialogue inclusif impliquant, comme l’a récemment rappelé le Premier ministre malien, Moctar Ouane « d'engager le dialogue avec tous les enfants du Mali sans exclusive, affirmant vouloir être en phase avec la volonté des Maliens et de tenir compte des réalités nationales ».  

Il revient, bien évidemment, aux Maliens d’en déterminer le format et le calendrier.  

Sans doute, faudrait-il en revenir aux tâches prioritaires que la Communauté internationale avait appelé de ses vœux en 2013-2014, en sollicitant l’intervention militaire française et en la complétant par la mise en place de la MINUSMA.  Car, après tout, il s’agit là, des fondements sur lesquels la transition politique mise en place en septembre dernier permettra la tenue d’élections présidentielle et législatives plus inclusives que celles de 2018 et de 2020, ayant abouti au coup d’état du 18 août dernier.

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