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Mais où en est Vladimir Poutine avec l'Europe ?
©Mikhail KLIMENTYEV / SPUTNIK / AFP

Volodya, un ami qui nous veut du bien... ou pas

Vladimir Poutine a tenu jeudi une conférence de presse de fin d'année lors de laquelle il a longuement évoqué les tensions entre la Russie et les Occidentaux et pointé l’échec du projet multiculturel européen.

Florent Parmentier

Florent Parmentier

Florent Parmentier est enseignant à Sciences Po et chercheur associé au Centre de géopolitique de HEC. Il a récemment publié La Moldavie à la croisée des mondes (avec Josette Durrieu) ainsi que Les chemins de l’Etat de droit, la voie étroite des pays entre Europe et Russie. Il est le créateur avec Cyrille Bret du blog Eurasia Prospective

Pour le suivre sur Twitter : @FlorentParmenti

 

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Atlantico : Vladimir Poutine a tenu jeudi une conférence où il a longuement évoqué les tensions entre la Russie et les Occidentaux. Il a notamment estimé que les Russes étaient "doux et câlins", comparés aux Occidentaux dont ils dénoncent l’"agressivité". Quelle est la part de vérité et de provocation dans ces propos ?

Florent Parmentier : Nous en sommes déjà à la 16e conférence de presse : dans ce type d’exercice, il y a naturellement un certain nombre de propos convenus, à côté des bilans de fin d’année et de quelques annonces réservées pour l’occasion. La principale nouveauté réside peut-être dans un effet de la Covid-19, puisque pour la première fois, la conférence était virtuelle !

Alors que des rumeurs ont fusé depuis quelques mois sur l’état de santé du Président russe, il faut observer qu’il n’était pas loin de son record de 2008 (4h40), puisqu’il est resté près de 4h30 à la disposition des journalistes pour répondre à 60 questions !

Une fois ce cadre établi, il faut en effet constater que ses propos comportent leur part de vérité et une bonne dose de provocation. Il est d’usage d’accuser le camp d’en face d’être le fauteur de guerre. Vladimir Poutine l’argumente ainsi : ce n’est pas la Russie qui se retire des accords internationaux ! Ce sont bien les Etats-Unis qui sont sortis de plusieurs accords, notamment du traité ABM (missile antibalistique) et de celui sur les forces nucléaires à portée intermédiaire (FNI). Quant au budget de défense, le russe est très inférieur à celui des Etats-Unis, mais aussi du Royaume-Uni. La Russie est le 6e pays au monde en termes de dépense, loin derrière le leader. A côté de ces faits, les provocations affleurent, et les dénégations, notamment à propos d’Alexeï Navalny : « si la Russie avait voulu le tuer, il serait mort », dit-il glacialement ; quant aux hackers russes, ils n’ont jamais aidé Donald Trump à accéder à la Maison blanche. Il a aussi ajouté que l'OTAN n'a pas tenu sa promesse d'éviter de s'élargir à l'est, la sortie de l'accord Ciel ouvert ainsi que le traité New Start arrivant à expiration début 2021. Il n’y a là rien que de très classique, derrière la description d’une situation décrite comme le « deux poids deux mesures ».

Revenant sur la polémique des caricatures, Vladimir Poutine a également pointé l’échec du projet multiculturel européen. Quel regard porte Vladimir Poutine sur l’Europe ? Et quels y sont ses projets ?

Là également, Vladimir Poutine est assez prévisible. Quel est son propos ? Le projet européen d’intégration des populations immigrés par l’Etat de droit ne fonctionne pas. On peut gloser sur les visées russes en la matière : déstabiliser les régimes de l’Europe de l’Ouest, y instiller de la discorde, y exercer une influence propre – ce que d’autres Etats font au demeurant, y compris des alliés, en finançant divers programmes. A cette volonté d’instiller de la discorde à l’Ouest (et d’encourager certaines orientations politiques) s’ajoute une volonté de cliver l’Union européenne entre l’Ouest et l’Est, où la peur du multiculturalisme ouest-européen est forte. C’est le paradoxe de Visegrad : peu de présence d’immigrés du Moyen-Orient, mais un refus catégorique d’accueillir des réfugiés, au point de crisper ses relations avec d’autres Etats européens. Paradoxalement aussi, car si les Etats centre-européens sont aujourd’hui homogènes ethniquement, mais ce n’était historiquement pas le cas, particulièrement en Pologne jusqu’à la Seconde Guerre mondiale !

Toutefois, la Russie joue une position particulière, dont il ne faut pas sous-estimer les ressorts internes. L’URSS indiquait la nationalité de ses citoyens sur la 5ème ligne du passeport ; elle est un Etat multiconfessionnel ; enfin, elle accueille de très nombreux migrants d’Asie Centrale, des « pieds rouges » (ces russes d’origine migrant dans les frontières russes actuelles) comme des centre-asiatiques de confession musulmane. Et si la France et d’autres sont critiqués par Vladimir Poutine pour leur multiculturalisme, que devrait-on dire de la Tchétchénie dont le Président Kadyrov bénéficie d’une semi-autonomie et encourage un retour en force du fondamentalisme ? Les critiques de Kadyrov contre la France sont le plus souvent inacceptables, même pour un Vladimir Poutine dont le pays a réjoint en 2003, sous sa présidence, l’Organisation de la conférence islamique...

Le Président russe rejette-t-il donc le modèle de laïcité à la française, son caractère démocratique ou le manque d’autorité d’un Etat qui se laisse déborder ? Ou impliquait-il simplement que de son point de vue seul un Etat fort et autoritaire peut tenir des sociétés modernes éruptives ? Son rejet du multiculturalisme est aussi sûrement un rejet de l’Etat de droit européen.

Comment le président russe imagine-t-il le futur de la Russie alors que la Chine devient la super puissance qui monte et tend à remplacer la Russie comme principale adversaire des Etats-Unis ?

Lors de la conférence de presse, Vladimir Poutine a expliqué son approche, consistant à travailler avec tous pour servir les intérêts de la Russie. Après avoir pointé les difficultés des relations entre les Etats-Unis, l’Europe et la Russie, il s’est montré plutôt conciliant avec la Chine. Ainsi, explique-t-il, « Nous avons des concordances dans nos intérêts avec la Chine, j’ai de très bonnes relations avec Xi Jinping, ce qui nous aide dans le travail ». Et, sur ce point, nombreuses sont les marques d’une relation plus forte entre les deux pays, qui doit se comprendre dans une relation en triangle entre Etats-Unis, Chine et Russie : des tensions persistantes entre les Etats-Unis et la Russie ; une rivalité accrue entre la Chine et les Etats-Unis ; des relations plus proches que par le passé entre la Russie et la Chine.

Cela ne veut pas dire, toutefois, que Moscou ne se méfie pas de sa voisine trop puissante, capable d’entraîner l’ensemble des Etats post-soviétiques dans son orbite. La signature du Partenariat régional économique global donne de ce point de vue une force considérable à la Chine, qui peut susciter de l’intérêt, mais aussi parfois de l’inquiétude à Moscou.

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