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Violences et police : quand la droite confond l'ordre et les libertés et se tire une balle dans le pied (électoral)
©JOEL SAGET / AFP

Partis des libertés

De la loi sécurité globale aux restrictions liées à l'état d'urgence sanitaire, les motifs de reproches au gouvernement s'accumulent. Sans que LR ni le RN ne s'en préoccupent de peur qu'on leur reproche de ne pas défendre la restauration de l'ordre public. La défense des libertés est pourtant un créneau électoral porteur...

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Atlantico : Les contestations autour de la loi de sécurité globale, renforcées par les polémiques après le passage à tabac d'un producteur de musique semblent suggérer que le gouvernement tend à opposer ordre et libertés publiques, mais ordre et libertés ne doivent-ils pas fonctionner de pair dans une démocratie ?

Edouard Husson : Le gouvernement est en pleine confusion depuis la crise des Gilets Jaunes. Le samedi 24 novembre 2018 vers 10h du matin, la police a chargé, avenue Foch à Paris, une foule pacifique. Nous avons tous pu le voir à la télévision. Et cela m’a été confirmé par plusieurs témoins. Ce fut le début d’une grande manipulation destinée à faire croire que les Gilets Jaunes étaient des séditieux. La semaine suivante, alors qu’il aurait  pu les en empêcher, le gouvernement laissait des éléments du Bloc Noir affronter la police violemment pour ternir encore la réputation des manifestants. Et puis, progressivement, on a vu l’extrême-gauche se substituer, au moins en partie, au noyau originel des Gilets Jaunes. Or les Gilets Jaunes se battaient à l’origine pour la liberté: ils refusaient un impôt supplémentaire (la taxe écologique) et ils demandaient l’extension de l’usage du référendum. On trouve donc l’opposition entre « ordre » et « libertés publiques » dans l’ADN, comme on dit, du gouvernement Macron. On en a d’autres exemples dans le fait que la police n’est pas présente aux frontières en ces temps d’attaque terroriste. On n’a pas fermé non plus les frontières pour limiter l’impact des déplacements intra-européens sur la diffusion du COVID 19; en revanche, la police verbalise largement qui ne se tient pas aux règles du confinement; ou bien elle rentre dans les édifices du culte pour vérifier qu’il n’y a pas de messe clandestine. Si vous ajoutez que la police est détournée de véritablement rétablir l’ordre dans les banlieues difficiles - et en a de moins en moins les moyens - vous avez le tableau à peu près complet d’une situation où la police est manipulée et ne sert plus sa mission, en démocratie: veiller sur le respect des libertés publiques.

Les commentateurs répètent que Darmanin occupe le ministère de l’Intérieur pour s’assurer le soutien des électeurs de droite. Le lien entre posture sécuritaire et soutien de l'électorat de droite est-il aussi évident que certains ont l’air de le croire ? La droite n'aurait-elle pas intérêt à occuper l’espace politique en se positionnant comme le parti des libertés ?

Ce fut la grande erreur de la droite il y a deux ans: accepter la manipulation gouvernementale du mouvement des Gilets Jaunes et se trouver devant un choix qui n’en était pas un: appuyer le « parti de l’ordre » que devenait LREM ou bien avoir l’air de se ranger du côté des Français que l’on présentait comme séditieux.  Il y avait pourtant un boulevard pour canaliser la révolte populaire, en la reprenant à son compte, défendre la décentralisation, plaider pour l’élargissement des libertés ; et demander que l’on arrête de mettre la police au service d’une cause dévoyée. Les centaines de blessés graves du fait d’interventions de la police durant le mouvement des Gilets Jaunes sont une réalité. Et il est particulièrement intéressant de voir que le Rassemblement National n’a pas su se sortir mieux que LR du piège pourtant grossier que leur avait tendu Emmanuel Macron. Il fallait prendre la défense de la police à qui l’on faisait accomplir des tâches allant contre sa mission. Mais Marine Le Pen n’a pas osé, craignant de se couper d’une de ses bases électorales. A propos de « l’article 24 », on est, toutes choses égales par ailleurs, dans le même type de manipulation gouvernementale. Le gouvernement se donne l’apparence d’être du côté de la police, qu’il entend protéger de reportages malveillants. Et la droite n’a pas l’intelligence d’expliquer au gouvernement ni à la majorité présidentielle qu’il serait plus approprié d’augmenter les moyens de la police, financiers et humains; qu’au lieu d’employer les policiers à verbaliser les honnêtes gens pour non respect du confinement, il vaudrait mieux les affecter au rétablissement de l’ordre dans les banlieues. Il serait tellement facile de développer l’argumentation d’un gouvernement liberticide, obsédé par les « fake news » sur les réseaux sociaux. L’article 24 relève de la même logique que la loi sur les « fake news » en temps de campagne électorale ! D’une manière générale, dans un monde où l’on voit la puissance de manipulation de l’alliance entre le pouvoir d’Etat et les Big Tech - la Chine néo-totalitaire en étant l’expression chimiquement pure - la droite aurait intérêt à défendre les libertés - non seulement par intérêt électoral mais aussi pour garantir l’avenir de la démocratie. 

Que révèlent les postures sécuritaires du gouvernement : le souci réel de l’ordre public ou un aveu de faiblesse sur le plan des libertés ?

Vous avez raison. On est dans la posture. Emmanuel Macron est écartelé entre un fond personnel idéologique gauchiste (extrêmement visible quand on l’observe attentivement), une base parlementaire et politique qui reste en gros celle de l’ancien PS, un tempérament autoritaire et la nécessité d’être réélu avec les voix du centre-droit.  Le « en même temps » - attitude anti-politique par excellence - continue de faire ses ravages. Faire de la politique, gouverner, c’est choisir. Macron a préféré avoir Dupond-Moretti et Darmanin dans le même gouvernement. Et tout cela sur fond de mépris profond pour le parlement. Faire réécrire l’article 24 par une commission extra-parlementaire, c’est vider la démocratie représentative de sa substance. En fait tout se passe comme si Emmanuel Macron, consciemment ou pas, déplaçait le débat systématiquement hors du Parlement: au sein du gouvernement, chez les experts ou dans la rue. C’est très dangereux car le parlement a une fonction essentielle pour canaliser les débats sociaux et pour ritualiser les affrontements publics. Tout le monde n’a que le mot « République » à la bouche. Mais la raison d’être des institutions est de faire diminuer la dérive toujours possible vers la guerre civile. La police est au service de la défense des institutions et des lois. Quand ce n’est plus le cas, soit qu’on l’utilise de manière dévoyée, soit qu’on fasse voter de mauvaises lois ou des lois redondantes (la loi de 1881 sur la liberté de la presse donne à tout gouvernement les moyens de sévir contre « toute provocation à porter des atteintes volontaires à la vie et à l’intégrité d’une personne » comme le rappelait excellemment François-Xavier Bellamy dans le Figaro du 28 novembre 2020), la police ne sera plus utilisée à bon escient. Et telle est bien la crise dans laquelle est plongé le gouvernement Castex: une police aux moyens insuffisants et dont la mission première n’est plus de mettre l’ordre au service des libertés contribue, activement ou passivement, à l’extension du désordre public.

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