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Iran : assassinat d’un haut scientifique iranien spécialiste du nucléaire
©ATTA KENARE / AFP

Chasse ouverte

Un haut scientifique spécialiste du nucléaire a été assassiné ce vendredi 27 novembre à Téhéran. Les services israéliens sont soupçonnés d'être derrière cette opération.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Mohsen Fakhrizadeh-Mahabadi, un haut scientifique spécialiste du nucléaire surnommé l’"Oppenheimer iranien" a été assassiné le 27 novembre à l’entrée de la localité d’Absard dans le district de Damavand situé à l’est de Téhéran. Professeur de physique à l’Université Imam Hussein, il avait le rang de brigadier général au sein des pasdarans. Les services israéliens qui avaient déjà ciblé quatre scientifiques dans les années 2010 - 2012 sont soupçonnés être derrière cette opération homo même, si comme d’habitude, ils ont sans doute fait appel à des sous-traitants.

D'abord, un des assaillants s’est fait exploser avec son pick-up à proximité de la voiture de la cible (et les Israéliens ne se suicident pas, même pour la "bonne cause") qui a ensuite été criblée de balles par plusieurs tireurs. Fakhrizadeh-Mahabadi blessé a été évacué par hélicoptère vers un hôpital mais est décédé des suites de ses blessures. Deux ou trois assaillants auraient été tués par la riposte des gardes du corps du savant iranien. Certains d'entre-eux auraient été blessés. Les plus hautes autorités iraniennes et les personnes jugées sensibles (dont les scientifiques travaillant dans les domaines du nucléaire et des missiles) sont protégées en permanence par un service spécial. Dans ce cas, il s'agissait d'une opération très professionnelle car il fallait avoir les renseignements bien en amont de manière à tendre cette embuscade au bon endroit et au bon moment.

La victime avait dirigé le programme AMAD (Espoir) abandonné en 2003 qui était soupçonné dissimuler un programme nucléaire militaire. Il était bien connu des Israéliens puisque Benjamin Netanyahu avait déclaré en 2018 : "souvenez-vous de ce nom, Fakhrizadeh"…

Un document interne du gouvernement iranien remis en 2007 au Sunday Times désignait Fakhrizadeh-Mahabadi comme le directeur du "Domaine pour l'expansion du déploiement des technologies avancées", un des noms de code de l'organisme iranien qui supervise le développement nucléaire militaire. Selon l’Organisation des Moudjahiddines du peuple d’Iran (OMPI / MEK), un mouvement d’opposition iranien soutenu par Washington, des informations faisaient état de la construction d’un nouveau centre destiné à poursuivre la militarisation du programme nucléaire iranien. Il affirme que l’"Organisation de l’innovation et de la recherche défensives" connue sous l’acronyme persan SPND est l’institution du ministère de la Défense qui poursuit ce projet [...] La SPND a poursuivi ses travaux à la suite du JCPOA. La structure et le personnel de la SPND restent intacts et une partie de l’institution a été agrandie. Le général Mohsen Fakhrizadeh Mahabadi reste à la tête de cet organe. Ainsi, nonobstant la JCOPA, le ministère de la Défense et les pasdarans ont maintenu leurs capacités pour construire une arme nucléaire". Plus récemment, l'Iran avait accru ses quantités d'uranium enrichi en contradiction de l'accord JCPOA portant sur le nucléaire (signé par l'Iran d'une part et les USA, le Grande Bretagne, la France, la Russie, la Chine et l'Allemagne d'autre part). C'était une mesure de rétorsion au fait que les USA n'avaient pas honoré leur signature de 2015 en quittant le JCPOA en 2018.

Un précédent récent

Le 7 août de cette même année vers 21 H 00, Abdullah Ahmed Abdullah alias Abou Mohamed Al-Masri, un haut responsable d'Al-Qaida "canal historique" vivant en Iran depuis 2001 (emprisonné puis en résidence surveillée jusqu'en 2015), un des 22 terroristes inscrit sur le premier avis de recherche de ce type publié par le FBI en 2001, été assassiné par balles par deux motards alors qu'il circulait à bord de sa voiture Renault L90 sedan blanche dans une rue de Téhéran. Sa fille Miriam âgée de 27 ans, veuve d’un des fils de Ben Laden, Hamza tué en 2019, qui était dans la voiture a aussi été abattue. Des officiels US parlant sous le sceau de la confidentialité affirment que Miriam était une "dangereuse activiste impliquée dans la planification d’opérations terroristes" à venir. Cette version est possible, mais l’importance des femmes - sauf exception - au sein des mouvements salafistes-jihadistes semble toujours avoir été des plus limitées, au moins sur le plan opérationnel. Alors, est-ce une "perte collatérale" ou un acte d’intimidation montrant que personne n’est épargné ?

Abdullah était un ancien footballeur professionnel égyptien qui avait rejoint l’Afghanistan en 1988 pour y mener le jihad contre les Soviétiques. À la fin de la guerre en 1989, il n’a pas été autorisé par le Caire à rentrer au pays. En 1992, il aurait rejoint le Soudan où Ben Laden séjournait et y mettait sur pied son organisation terroriste sous la protection de l’"internationale islamique" dirigée par Assan al-Tourabi. Abdullah aurait ensuite formé des jihadistes en Somalie avant de revenir en 1996 en même temps que Ben Laden en zone pakistano-afghane. En tant que membre du "Majlis al-Choura" d’Al-Qaida (l’organe de commandement), il était accusé d’avoir planifié les attentats à la bombe du 7 août 1998 contre les ambassades américaines de Nairobi au Kenya et de Dar es Salam en Tanzanie. Ils avaient causé la mort de 224 personnes et fait plus de 5.000 blessés. Présent sur zone, Abdullah serait retourné rapidement se mettre à l'abri en Afghanistan. Après l'invasion de ce pays par les Américains en 2001 suite aux attentats du 11 septembre, il aurait trouvé refuge en Iran avec nombre d'autres membres de la "nébuleuse" dont une partie de la famille de Ben Laden. Il vivait sous la fausse identité d'Habib Daoud (ou Dawoodi), professeur d’Histoire libanais mais membre du Hezbollah.

Dans ces deux affaires, les assassins directs ne sont probablement pas des Israéliens mais des Iraniens membres de mouvements d’opposition au régime recrutés, formés et équipés par le service action du Mossad (l'unité "Kidon" - baïonnette -). En effet, engager un citoyen israélien comme acteur direct d’une opération homo en Iran est très risqué. À savoir qu’en cas de capture, l’État hébreu serait alors mis dans une position très inconfortable : soit de laisser pendre un de ses officiers opérationnels comme ce fut le cas pour Eliyahu Ben-Shaul Cohen en Syrie en 1965, soit d’avoir à négocier comme cela est arrivé pour libérer deux opérationnels arrêtés en Jordanie en septembre 1997 alors qu’ils avaient tenté d’assassiner Khaled Mechaal à l'époque responsable du Hamas dans ce pays. Dans les deux cas, la "publicité" qui serait faite par la propagande iranienne serait catastrophique.

En fait, les Israéliens qui avaient arrêté les opérations Homo dirigées contre des scientifiques iraniens dans les années 2010/2012 sous la pression des Américains qui avaient fini par considérer que le Mossad avait la main lourde particulièrement contre des personnes qui n'avaient jamais tué personne(1), semblent profiter de la vacance du pouvoir en place actuellement à la Maison-Blanche pour pousser leurs cartes avec en espoir une réaction disproportionnée de Téhéran qui obligerait les États-Unis à intervenir. Cette option est effectivement sur la table car Donald Trump semble hésiter à faire un "dernier grand coup" pour marquer l’Histoire (il a déjà réussi à faire en à peine trois ans et demi ce que n’avait fait aucune administration américaine en plus de trente ans : renouer des relations entre Israël et trois pays arabo-musulmans; transférer l'ambassade à Jérusalem, reconnaître l'annexion du Golan et la légalité des colonies implantées en Cisjordanie, etc.)… Du côté israélien, ils ne peuvent y aller seuls ni sur le plan politique, ni sur le plan opérationnel car le nombre de cibles à traiter est énorme surtout que les Iraniens sont passés maîtres dans l'art du leurre. Beaucoup de cibles répertoriées par les services de renseignement sont fausses. 

Enfin et pour rappel, l'Iran ne possède pas encore l'arme nucléaire même s'il a atteint le seuil technologique pour la produire. Ensuite se pose le problème de la militarisation de la charge, ce qui reste extrêmement compliqué selon le vecteur. A savoir que la bombe lisse sous aéronef est passée de mode et q'il convient d'adapter la charge à un vecteur sol-sol ou air-sol dont les contraintes (chaleur, vibrations, etc.) sont énormes. De son côté, Israël détiendrait de 80 à 500 têtes nucléaires opérationnelles: des missiles sol-sol, des missiles de croisière emportés sous avions ou à bord de sous-marins (sans être vicieux, l'adaptation sur un navire civil battant un pavillon international n'est pas à exclure). La vérité se trouve vraisemblablement entre ces deux chiffres mais globalement, l'État hébreu a de quoi vitrifier l'Iran, et pas qu'une fois, ce qui représente une dissuasion très persuasive. 

Enfin, il y a la question des assassinats ciblés qui peuvent être assimilés à du "terrorisme d'État" comme c'est le cas avec Téhéran. La différence est simple, les Iraniens ont toujours visé des opposants (leurs propres concitoyens) ou des civils de préférence juifs mais les pertes collatérales ont été immenses dans les attentats commis dans la Corne de l'Afrique ou en Argentine. Les Israéliens sauf à l'origine (lire à ce sujet l'ouvrage de Rohen Bergman : "Lève-toi et tue le premier. L'histoire secrète des assassinats ciblés commandités par Israël" paru chez Grasset en février 2020) ont toujours visé des militaires, des miliciens, des activistes, des trafiquants qui avaient une responsabilité opérationnelle, logistique ou technique dans la guerre menée contre l'État hébreu. Certes, cela peut en révulser certains mais comme l'on dit dans les armées : les Israéliens "n'ont pas d'états d'âme mais des états de service".

Depuis le début, Israël se considère comme en guerre. Le traumatisme de l'holocauste est aussi toujours bien présent dans les mémoires. Ses services ne font donc pas dans la dentelle puisqu'ils sont totalement soutenus par les pouvoirs politiques successifs.

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