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Macron : tout faire pour éviter une contamination de la grogne sociale et surtout une résurgence poujadiste.
©MARTIN BUREAU / AFP

Atlantico Business

Ce que craint le gouvernement, c’est désormais moins l’épidémie que la grogne sociale généralisée, un retour des Gilets jaunes ou un réveil des commerçants digne du Poujadisme, amplifié par les thèses du complotisme. Il y a beaucoup de points communs entre ce qui se passe aujourd’hui et ce qui s’est passé en 1950.

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre

Jean-Marc Sylvestre a été en charge de l'information économique sur TF1 et LCI jusqu'en 2010 puis sur i>TÉLÉ.

Aujourd'hui éditorialiste sur Atlantico.fr, il présente également une émission sur la chaîne BFM Business.

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Alors que les risques de la pandémie ont reculé et que la perspective du vaccin ouvre la porte à une sortie de crise au début de l’année prochaine, le gouvernement craint par-dessus tout une explosion du corps social. La grogne est confinée, mais elle dissimile la colère de certaines catégories sociales. Et plus que tout, c’est un mouvement organisé de révolte qui pourrait contaminer l’ensemble de la société. Il lui faut donc changer de méthode. D’un côté, desserrer l’étau, de l’autre, veiller à ce que le relâchement ne fasse pas repartir une troisième vague. 

Il faut donc tenir trois forces qui bouleversent profondément la société française en attendant l’arrivée du vaccin :

La force de l’épidémie qu’il faut empêcher de se réveiller à nouveau. La force de l’économie qu’il faut empêcher de s’effondrer. Et la force de la grogne sociale qu’il faut calmer pour qu’elle ne coagule pas en une révolte politique. Comme au moment des gilets jaunes. C’est le grand risque. 

Le gouvernement a donc annoncé une réouverture progressive des petits commerces parce que la situation n’était plus tenable très longtemps. Les besoins essentiels de la population étaient satisfaits par la grande distribution et le dynamisme du E-commerce, mais une telle mutation allait ruiner les centres-villes et tous les commerçants qui les animaient. Cela dit, le déconfinement est encore très partiel. Il reste encore de nombreux professionnels, des indépendants, des hôtels, des restaurants, des salles de sport, dont les perspectives ne sont toujours pas très claires. Les restaurants par exemple vont rester fermés jusqu'au 20 juin. Et si les restaurants sont fermés, on ne voit pas comment les hôtels pourraient ouvrir, sauf à se transformer en auberges de jeunesse et encore. D’autres foyers de révoltes en germe existent. Les stations de ski, par exemple, dont le début de saison va être ruiné et tous les saisonniers avec. Ne parlons pas des étudiants qui pourraient perdre une année supplémentaire, ce qui serait catastrophique pour cette génération. 

Le gouvernement doit donc en urgence briser les chaines de la contamination de la grogne sociale comme il essaie de casser la chaine de contamination du virus. D’où, les magasins ouverts le dimanche jusqu’à Noël et heureusement, en semaine jusqu’au couvre-feu. D’où les nouvelles mesures de soutien à ceux qui resteront fermés.

La première menace pourrait venir de ces commerçants et principalement des gérants de bar et de restaurants. C’est l’angoisse du gouvernement, où on se remémore l’époque de Pierre Poujade, c’était il y a plus de 70 ans , dans les années 1950, ce petit commerçant qui avait réussi à rassembler les foules jusqu’à lancer une organisation militante. A l’origine syndicale et voulant défendre une corporation et des problèmes spécifiques liés à un secteur, le mouvement avait vite pris une tournure politique. Ce mouvement de révolte était né d’une opposition face aux contrôleurs du fisc. Pierre Poujade petit papetier du village de Saint-Céré, dans le Lot, et ses collègues commerçants n’en pouvaient plus de crouler sous le trop plein d’administration et un surcroit de contrôles fiscaux, après une amnistie fiscale qui avait réduit les recettes l’année précédente. Un ras le bol fiscal et un trop plein de réglementations. 

Il existe quelques similitudes entre les commerçants du poujadisme et ceux du Covid.

D’abord, le point facile de la critique des élites. Au premier chef, critiques de l’Etat, d’autant plus légitime quand il y a de l’incompréhension, entre des mesures arbitraires d’ « essentialisation des commerces ». Mais critiques aussi des syndicats et mouvements de représentation plutôt silencieux, ou du moins satisfaits de la situation.

Ensuite,  les oppositions entre différents acteurs de la vie économique, les « petits » contre les « gros » existait déjà du temps de Poujade. Les petits contre les gros, les provinces contre les villes, les indépendants contre les grands groupes.  Ici aussi, c’est exactement ce qu’il se passe entre commerçants indépendants et spécialisés, ce pourquoi ils étaient jusqu’alors fermés si leur activité était non essentielle et grandes surfaces appartenant à des grands groupes et avec des activités plus polyvalentes. Ils veulent défendre leur liberté d’entreprendre, et leur résistance face aux monopoles des géants, à commencer par Amazon qui a été érigé en bouc-émissaire.

Troisième point, la crise de modernité. En 1955, une partie de la population française n’avait pas encore bénéficié de mutations liées aux progrès économiques et sociaux. Les premières années des Trente Glorieuses n‘avaient pas encore généré la prospérité économique, et la grande consommation n’avaient pas encore bénéficié à toutes les catégories sociales dans toutes les régions. Il y avait déjà la France d’en haut et la France d’en bas. Celle des villes et celle de la campagne.  Aujourd’hui, les progrès sont technologiques et les mutations sont numériques, mais elles viennent bien souvent bouleverser les modèles économiques des acteurs qui les utilisent, puisqu’elles leur permettent de décupler les offres et les services. Du coup, pour les commerçants qui restent fermés, c’est double peine. Ces professionnels n’ont bien souvent pas de page internet et comptent uniquement sur le commerce physique d’une population locale avec ses habitudes. 

La différence entre les deux époques, c’est que les commerçants n’en sont pas, aujourd’hui, à faire une grève de l’impôt, mais si on les empêche de faire leur métier et si on les étouffe ensuite sous des charges sociales et fiscales qu’il faudra payer tout de même, qui dit qu’il n’y aura pas un non-paiement massif de certains impôts ? (les impôts sur le foncier, de production, qui ne sont pas assises sur un chiffre d’affaires, ou même des cotisations sociales liées à des salaires ou le reversement de la TVA quel que soit le niveau de trésorerie). Ce qui viendrait gravement compromettre les plans et la relance du gouvernement. 

La deuxième menace, c’est évidemment une conjonction des luttes. Même si les commerçants ne les aiment guère, les Gilets jaunes pourraient revenir. A leur coté pourraient s’ajouter les étudiants, qui sont parmi les plus mal lotis en ce moment en arrivant sur un marché du travail sclérosé. 

Si l’on ajoute le risque de complotisme ambiant qui règne sur les réseaux sociaux, et qui pourrait se diffuser davantage avec l’arrivée du vaccin et la mise en place d’une campagne de vaccination, le gouvernement va devoir redoubler ses efforts : des efforts sur la communication. Cette fois, sur le déconfinement progressif, des dates ont été posées sur le papier et beaucoup de commerces savent en quoi s’en tenir. Mais tout va dépendre aussi de la placée laissée aux contre-pouvoirs. Les pouvoirs locaux, les syndicats, la presse. Emmanuel Macron les a beaucoup affaiblis dans les deux premières années de son mandat. Il va lui falloir les protéger et leur donner de l’oxygène parce qu’en cas de mouvement de révolte important, il devra compter sur eux.

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