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L’abandon des Arméniens du Haut-Karabagh par les puissances occidentales est-il la répétition générale du plan dont rêve Erdogan pour l’Europe ?
©ADEM ALTAN / AFP

Avancer ses pions

La guerre de l’Azerbaïdjan contre le Haut-Karabakh, initiée et contrôlée par la Turquie d’Erdogan, envoie un signal fort aux pays occidentaux. Un signal hautement symbolique du même type que la mise en scène de cette réappropriation turque de la basilique chrétienne de Sainte-Sophie à Istanbul.

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy

Nathalie Krikorian-Duronsoy est philosophe, analyste du discours politique et des idéologies.
 
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Bis repetita, l’histoire se répète. Une fois encore les Arméniens, dans une guerre menée par les Azéris d’Azerbaïdjan, et télécommandée par Erdogan, sont massacrés par des Turcs et chassés de leurs terres ancestrales. Une fois encore ils sont abandonnés aux mains de milices sanguinaires, hier des Kurdes, aujourd’hui des terroristes djihadistes syriens. Une fois encore les règles du droit international sont bafouées, et ni l’ONU, ni les ONG ne sont venues au secours de l’Arménie. Une fois encore les gouvernements des grandes puissances occidentales, telles des autruches, ont baissé la tête.

Un siècle après le génocide de 1915, l’Arménie subit un lourd bilan culturel et humain.

Le président turc, et islamiste galvanisé par la situation de crise politique aux Etats-Unis, économique et sanitaire en Europe, suit son rêve de re-créer un Empire Ottoman (1299 à 1923). La lâcheté du monde est immense face à ce projet qui place de facto et symboliquement les Arméniens du Haut-Karabakh dans la pire des situations.

Car au milieu du sacrifice de milliers d’hommes - parmi lesquels beaucoup avaient à peine vingt ans- des exactions immondes commises contre des civils, hommes, femmes, enfants, c’est la civilisation occidentale qui est visée. Désormais atteinte, à travers l’Arménie, dans ce qu’elle a de plus précieux, ses origines intellectuelles et morales et ses fondements philosophiques.

Par-delà les dépêches journalistiques et parfois des informations tronquées ou parcellaires, pour comprendre la réalité de ce qui se passe sur ce territoire, il faut rappeler quelques faits historiques.

Concrètement, durant la période dite soviétique (1922-1991) le Haut-Karabakh (4 388 km2) ou république d’Artsakh, région culturellement autonome de l’ex-URSS, était peuplée à 95% d’Arméniens. En 1923, l’Artsakh est arbitrairement rattaché à la République soviétique d’Azarbaïdjan. Depuis la dissolution de l’Union soviétique ce territoire arménien lutte pour un rattachement officiel à l’Arménie actuelle. Son indépendance déclarée le 2 septembre 1991 n’a pas été reconnue par les états membres de l’ONU.

Née en 190 avant J.C., habitée depuis la préhistoire, l’Arménie est au cours de sa longue histoire entourée d’autres peuples qui en font la conquête (Perses, Romains, Arabes, Persans). C’est une terre de convoitises qui passe sous domination ottomane au XVI ème siècle.

De 1375 à 1918, l’Arménie n’a donc pas d’état libre et pourtant les Arméniens persistent à exister en tant que peuple, solidement uni autour d’un idéal national fondé sur sa culture, son écriture, sa langue et sa religion chrétienne grégorienne.

Parallèlement, l’acte de naissance de l’Azerbaïdjan date de 1918, au sortir de la deuxième guerre mondiale, et seulement trois ans après que l’Empire Ottoman en ait annexé les territoires, en 1915. C’est l'époque où un parti nationaliste turc, le Comité Union et Progrès (1889-1918) composé de jeunes Turcs, renverse le Sultan Abdülhamid II, prend le pouvoir, et planifie le génocide de 2 à 3 millions d’Arméniens, avec pour objectif de turquifier l’Anatolie - un million cinq cent mille Arméniens seront exécutés, les femmes, les vieillards et les enfants déportés dans le désert pour qu’ils y meurent.

Engagée aux côtés de l’Allemagne la Turquie fera partie des perdants de la deuxième guerre mondiale. Les Alliés et la Russie se partagent les territoires de l’Asie Mineure.

La Turquie moderne actuelle, date du Traité de Lausanne, signé en 1923 par le nouveau sultan Moustafa Kémal (Atatürk) avec les Alliés. Initialement, le Traité de Sèvres (1920) qui ne sera jamais appliqué prévoyait la création d'une Grande Arménie indépendante regroupant les territoires arméniens de Russie, et du Nord-Est de la Turquie actuelle. A l’origine, les territoires de l’Artsakh constituaient la 10ème Province de la Grande Arménie.

Aujourd’hui, dans le contexte international gangréné par le terrorisme islamiste, les turco-azéris massacrent, pillent et chassent les Arméniens qu’ils appellent « des chiens ». La guerre de l’Azerbaïdjan contre le Haut-Karabakh, initiée et contrôlée par la Turquie d’Erdogan, envoie un signal fort aux pays occidentaux.

Un signal hautement symbolique du même type que la mise en scène de cette ré-appropriation turque de la basilique chrétienne de Sainte-Sophie à Istambul. En 1934 Atatürk l’avait transformée en musée pour « l’offrir à l’humanité » en gage de sa volonté de laïciser la nation turque. La mise en scène de sa ré-islamisation par Erdogan est un message à tous les musulmans, et un camouflet terrible pour le monde occidental. Il marque l’acte fondateur d’une politique de rupture d’Erdogan avec les puissances Alliées et les instances internationales, dont le but est précisément de garantir la paix dans le monde.

Emmanuel Macron par la voie de son ministre des affaires étrangères, Jean-Yves le Drian, déshonore la France en déclarant que « le quai d’Orsay resterait neutre face à l’agression des forces turco-azerbaidjanaises épaulées par des centaines de djihadistes ». Une situation qui n’est pas sans rappeler, dans une certaine mesure, l’attitude de l’Europe face au rattachement forcé de l’Autriche par le régime nazi en 1938. L’Anschluss eut en effet pour conséquence essentielle de prouver à Hitler la faiblesse des démocraties occidentales. Comme l’écrit avec justesse Valérie Toranian, dans la Revue des Deux Mondes qu’elle dirige : « Rester neutre c’est déjà choisir son camp. C’est ne rien saisir aux enjeux. Entre la décapitation de Samuel Paty et l’extermination des derniers Arméniens du Haut-Karabakh, c’est le même fil rouge : la reconquête islamiste face à une civilisation qui résiste. Avec Erdogan en leader de cette reconquête. ».

S’agissant de cette nouvelle idéologie théocratique qui charrie les stigmates d’un nouveau totalitarisme, le parallèle entre le nazisme et l’islamisme, apparait

d’autant plus réaliste si on regarde de près le rôle des Loups gris (organisation armée et ultra-nationaliste, son nom date de 1950, son origine remonte à Atatürk) auprès des communautés turques de l’étranger.

L’utilisation par la Turquie d’Erdogan de cette organisation a quelques similitudes avec la décision d’ Hitler de prendre le contrôle sur les organisations des Allemands de l’étranger, afin d'y diffuser son idéologie nazie dès le mois d’octobre 1933.

Fin octobre, les pogroms anti-Arméniens menés par les Loups gris à Vienne et Décines et leurs manifestations violentes à Lyon Dijon et Nice, confirment aussi la réalité d’un lien de causalité idéologique entre les buts diplomatiques de l’expansionnisme islamo-nationaliste d’Erdogan et les ravages du terrorisme islamiste dans le monde, et d’abord en France.

L’horrible décapitation de Samuel Paty diffuse un message symbolique qu’il s’agit de prendre au premier degré. La barbarie de la décapitation était et est encore une pratique courante dans les guerres conduites par le fanatisme musulman. Les photographies de l’époque l’attestent, durant le génocide des Arméniens, en 1915, les Ottomans ont construit d’immenses murs avec les têtes de leurs ennemis chrétiens empilées les unes sur les autres. Le fait de décapiter son ennemi signale la volonté du tortionnaire, non seulement de lui prendre la vie, mais surtout le désir d’éradiquer ce que son existence même signifie, ce dont son existence même témoigne : une famille, une lignée, un pays, une nation, une culture, une religion, et donc une civilisation.

Nous sommes face à une guerre de civilisation de l’islamisme contre l’Occident moderne à laquelle Erdogan participe d’autant plus qu’il y a trouvé des appuis pour mener à bien ses conquêtes territoriales à visée panturquiste.

Sur un plan moral, les Arméniens ne se réduisent pas à « une question » posée par les islamistes turcs, ayant affirmé vouloir « finir le travail », tenaillés par la haine et souhaitant y répondre par la solution finale qu’est le génocide. Après avoir exécuté un millions et demi d’Arméniens et s’être approprié leurs terres, l’Empire Ottoman de 1915 a à ce jour échoué à éliminer les Arméniens, et l’Arménie. La Turquie qui a toujours refusé de reconnaître son crime, n’en finit pas de se heurter à la volonté farouche d’exister de « grand petit peuple », comme l’appelle Michel Onfray.

Nichée au coeur de sa foi chrétienne, de ses coutumes et de ses valeurs humanistes, l’identité arménienne se perpétue par delà les siècles. Fondée sur une langue, un alphabet et sa croyance en une seule nature du Christ, incarnation de l’amour de Dieu en l’Homme, et du caractère sacré de l’humanité. La dette de l’Europe et de l’Occident envers le judéo-christianisme, dans lequel notre monde puise ses fondements philosophiques, est immense. L’existence du peuple arménien, manifestant l’origine historique et philosophique la plus lointaine de notre civilisation humaniste et universaliste, mérite et impose d’être protégée.

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