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Élections aux États Désunis : l’aube d’une nouvelle guerre de Sécession ?
©Samuel Corum / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Conflits et tensions

L'élection présidentielle américaine a révélé les divisions au coeur du pays et entre les citoyens. Jean-Pierre Marongiu décrypte les enseignements du vote et revient sur les enjeux historiques pour les Etats-Unis.

Jean-Pierre Marongiu

Jean-Pierre Marongiu

Jean-Pierre Marongiu est écrivain, conférencier, ingénieur, expert en Management et Directeur général et fondateur du thinktank GRES : Groupe de Réflexions sur les Enjeux Sociétaux.Perpetuel voyageur professionnel, il a parcouru la planète avant de devenir entrepreneur au Qatar où il a été injustement emprisonné près de 6 ans, sans procès. Il a publié plusieurs romans et témoignages dont : Le Châtiment des Elites, Qaptif, InQarcéré, Même à terre, restez debout ! Aujourd'hui conférencier et analyste societal, il met son expérience géopolitique au service d'une approche libérale-souverainiste de la démocratie.

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Deux Amériques dressées l’une contre l’autre…

Faire ce constat à l’occasion des présidentielles Américaines 2020 est un truisme, une évidence qui dénote une méconnaissance crasse de l’historique de ces territoires voire d’une lapalissade si on veut s’en gausser.

En clair, c’est enfoncer une porte ouverte, tant il est notoire que vivre dans un affrontement permanent est inscrit dans le code génétique des États-Unis. C’est même le véritable moteur de cette mosaïque d’états que l’imaginaire européiste s’obstine à considérer comme un pays souverain.

Les conflits, les affrontements, les guerres sont l’énergie et le ciment des USA. Les périodes de paix civile engendrent nécessairement des guerres internationales afin de maintenir une population hétéroclite fédérée contre un ennemi commun.

L’indépendance des États-Unis, ce fantasme de la libération de tout un peuple d’opprimés que l’on a vendu à une postérité progressiste, constituait déjà le ver dans la pomme.

Tout commença par la guerre de Sept Ans (1756-1763) the French and Indian War, qui opposa en Amérique du Nord l’Empire britannique à la France et à l'Espagne. Ce conflit, fort coûteux, rendit exsangues les caisses du trésor britannique. Le gouvernement du roi Georges III d’Angleterre afin de renflouer la couronne fit voter une taxe obligeant les colons américains à payer l’effort de guerre. S’attirant la colère de ceux-ci, ces derniers n’étant pas représentés à la Chambre des Communes.

Colons américains d’autant plus excédés que le gouvernement britannique les empêchait également d'étendre leurs territoires à l'ouest des monts Appalaches afin, entre autres, d'éviter les conflits avec les Amérindiens. C'est en frustrant irrémédiablement le supposé camp du bien, comprenez les colons opprimés par les impérialistes anglais, ces patriotes qui ne rêvaient que de s’approprier des terres indiennes, que l'Angleterre perdît définitivement l'Amérique.

Le schéma de deux populations, identitairement et culturellement, distinctes cohabitant dans un même territoire montrait déjà ses limites et ses conséquences avant même la proclamation d’indépendance. La guerre d’indépendance entre les loyalistes favorables à l’Angleterre et les Patriotes soutenus par la France et l’Espagne sema le germe d’une autre guerre, celle dite de Sécession, quelques années plus tard.

Une guerre de Sécession dont le mythe et les motivations doivent être démontés avec le recul de l’histoire.  Ce fut le gouverneur de Virginie Lord Dunmore qui promit l'affranchissement à tous les esclaves qui s’enrôleraient dans l'armée britannique. Sir Henry Clinton édicta une loi similaire pour la région de New York. La volonté de mettre fin à l’esclavage ne fut pas une valeur portée par les patriotes mais au contraire une promesse faite par les oppresseurs anglais. Idée reprise non pas par humanisme, mais par intérêt, par Abraham Lincoln.

Ce qui s’en suivit fut un affrontement entre le Nord industriel préfigurant les prémices d'un capitalisme agressif contre les provinces du Sud traditionalistes et agricoles.

À peine, la guerre de Sécession terminée, le gouvernement des États-supposés-Unis organisa la Conquête de l'Ouest qui n’est rien d’autre, en dépit des versions hollywoodiennes, qu’un processus de colonisation par des populations essentiellement d’origine européenne des territoires s'étendant entre le Mississippi et l'océan Pacifique. Territoires peuplés jusqu'alors par tribus amérindiennes colonisés à seule fin d’ouvrir une façade pacifique sur l’Asie.

Le camp des anciens opprimés, patriotes, libéraux et déjà démocrates, a exterminé avec la force du bon droit les tribus indiennes.

La guerre de Sécession avait livré le pays à une confrontation entre deux territoires, deux modes de vie, campagnes contre l’industrie, deux visions de l’Amérique, l’une cherchant à éradiquer l’autre.

Les résultats de la dernière élection obligatoirement et inévitablement contestée que l’on soit citadin ou rural, a eu pour conséquence de ressusciter le clivage entre les loyalistes et les patriotes, entre les démocrates progressistes et les républicains souverainistes.

Deux communautés au mode de vie différent. Les centres urbains et les banlieues, les suburbs. À la différence de la France, les banlieues américaines sont plutôt riches, la classe bourgeoise et moyenne ayant fui les centres-villes livrés aux gangs, à la pollution, à la pauvreté et aux sans-abris.

La réalité de cette élection démontre la vraie nature de l’Amérique, qui que puisse en être le vainqueur, quels que soient les recours, l’Amérique reste coupée en deux.

Les médias se sont trompés dans leurs analyses à identifier un camp largement majoritaire et ont probablement biaisé l’élection en minimisant l’ancrage de Trump. De même que ce dernier a largement utilisé le contre-pouvoir des réseaux sociaux pour véhiculer ses contrevérités.

Il en résulte une cassure franche d'une partie de la population, incarnée par un homme qui a établi une relation quasi mystique avec ses électeurs, et des cercles d’influence progressistes désincarnés, Biden ne représentant pour son électorat qu’une figurine sans réelle identité.

Dans la situation actuelle, à savoir un président élu sans charisme et probablement frauduleusement et un président en exercice caricatural et battu, mais qui ne reconnaît pas la défaite, les deux blocs ne peuvent se réconcilier.

Les électeurs de Trump ne se démobiliseront pas, ce sont des supporters plus que des analystes. Les raisons qui ont porté Trump au pouvoir n’ont pas disparu. Quand Trump s’adresse à eux, peu importe la réalité de ses propos, son électorat le croit dans une ferveur quasi religieuse. Nous sommes au pays des prédicateurs divers et variés, l’Amérique est croyante. Elle cherche un guide, une incarnation de son identité profonde, un John Wayne. Tout ce que l’autre Amérique, celle de Wall Street, celle des GAFAM, ultralibérale et mondialiste cherche absolument à détruire.

Pour l’Amérique trumpiste l’échec n’existe pas, une défaite ne peut être que le résultat d’une trahison et l’invitation à une revanche glorieuse. Une Amérique nourrit au lait des légendes et des héros :  I’ll be back…We must finish the job…

D’une façon ou d’une autre, 150 millions d’Américains seront déçus, d’autant plus cruellement que leur ferveur immense est irrationnelle.

La différence de quelques dizaines de milliers de voix pour un pays de 300 millions ne pourra pas être fédératrice de tout un peuple. D’autant qu’il n’est pas question de choisir entre Clinton ou Bush qui défendaient peu ou prou la même politique, mais entre deux modes de vie, deux sociétés radicalement différentes.

La justice et la Cour suprême ne pourront trancher, la sécession est irréversible.

Cette fois-ci, la sécession ne sera pas raciale mais sociale. Les différentes communautés n’ont pas voté conformément à ce que l’Europe et les médias imaginaient qu’elles le fissent : 20% des Afro-Américains ont voté Trump, ainsi que 35% des latinos et même les femmes à 30% ont penché vers celui diabolisé comme étant un parangon de misogynie.

La sécession 2020 est sociale, les laissés pour compte de la mondialisation contre les classes moyennes, les élites de la libéralisation contre les isolationnistes.

Le constat est désormais criant, la gauche américaine, les démocrates, n’incarne plus le peuple et c’est la droite qui représente les pauvres. Il faut chercher les raisons de ce paradoxe dans les paramètres sociétaux des systèmes économiques.

Toute civilisation pacifique, prospère et apaisée est le résultat d’un dosage subtil et équilibré de multiples paramètres plus ou moins explosifs. Parmi ces ingrédients, il en est deux particulièrement déflagrants et instables : le libre-échange et l’immigration.

L’excès de l’un ou l’autre de ces paramètres sociétaux entraîne un déséquilibre de classe. Un libre-échange disproportionné est un abandon de souveraineté et cause la ruine des classes populaires et moyennes des sociétés occidentales. Une immigration excessive, non maîtrisée, non assimilée détruit le mode de vie de ces mêmes classes et paupérise la société.

Aux États-Unis, ces deux courants ont été excessivement portés par les démocrates. Bill Clinton a permis l’entrée de la Chine dans l’OMC en 2000 et ce sont les démocrates qui ont supprimé les restrictions d’immigration.

Sur le plan culturel, l’identité américaine a été détruite pour un projet multiculturel au point de générer la révolte des petits blancs, des fermiers et des petits entrepreneurs constituant traditionnellement le cœur de l’Amérique profonde.

Samuel Huttington, prophétique dans le Choc des civilisations, décrit comme inévitable une guerre civile dès lors qu’il cohabite deux peuples dans un seul territoire.

Quoiqu’il advienne dans les jours et les mois prochains aux États-Unis, l’Europe et la France souffrant des mêmes maux identitaires sauront-elles tirer, avec le décalage habituel, les leçons de ce formidable laboratoire civilisationnel que représente l’Amérique ?

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