Cibles mouvantes : la Maison Blanche, ce sanctuaire pour les présidents des Etats-Unis face aux multiples menaces et à la violence de la société américaine<!-- --> | Atlantico.fr
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©Drew Angerer / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / Getty Images via AFP

Bonnes feuilles

Maurin Picard a publié "Le Manoir, Histoire et histoires de la Maison Blanche" aux éditions Perrin. La Maison Blanche exerce, plus de deux siècles après son inauguration, une fascination sans égal parmi les hauts lieux de pouvoir de la planète. Extrait 2/2.

Maurin Picard

Maurin Picard

Historien et journaliste, Maurin Picard est notamment correspondant du Figaro aux Usa. Il a notamment publié chez Perrin « Des hommes ordinaires » et « Ils ont tué monsieur H. » (Seuil)

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Depuis l’irruption d’une foule incontrôlable à la Maison-Blanche le jour de l’investiture d’Andrew Jackson en 1829, les présidents américains ont appris à composer avec le tempérament sanguin de leurs compatriotes. Certains incidents en temps de paix, en revanche, vont les obliger à créer, puis constamment renforcer, une force de maintien de l’ordre pour le District de Columbia, puis une police métropolitaine en 1861. Épaulée par le Secret Service fondé quatre ans plus tard, elle aura du pain sur la planche. Les trois présidents assassinés au XIXe   siècle ont été victimes d’un attentat perpétré en dehors de la Maison-Blanche. Mais celle-ci est-elle suffisamment bien protégée en cas d’assaut prémédité ?

Le président Harry Truman sera le premier à en faire l’expérience. Le 1er novembre 1950, deux independistas nommés Oscar Collazo et Griselio Torresola escaladent les grilles de la Maison-Blanche en plein après-midi. Ils se dirigent droit vers la Blair House où réside la « première famille » Truman durant les travaux de rénovation entamés depuis deux ans. Une fusillade éclate devant la guérite de sécurité. L’agent de police Leslie Coffelt est tué de trois balles dans le corps, mais il trouve la force de viser Torresola, qui poursuivait son chemin, blessant deux autres policiers, et l’abat d’une balle dans la tête.

C’est le moment que choisit le président Truman, tiré de sa sieste par le vacarme, pour mettre le nez à la fenêtre. « Reculez ! », hurle le chef du Secret Service dans sa direction.

Harry Truman s’habille prestement et descend pour en savoir plus. « Monsieur le Président, reprend le patron de la sécurité présidentielle, ne savez-vous pas que lorsque retentit la sirène d’alerte aérienne, il faut se mettre à l’abri, et non pas se précipiter au-dehors ? »

Les assaillants ont manqué de chance : « S’ils avaient attendu environ dix minutes, Mme Truman et moi-même serions sortis par l’entrée principale de la Blair House et je n’ose imaginer ce qui se serait alors passé », observe l’hôte de la Maison-Blanche, qui, en 1952, graciera Collazo condamné à mort. « Un président doit s’attendre à ce genre de choses », remarque-t-il benoîtement.

S’il avait été tué ce jour-là, c’est un parfait inconnu, le vice-président Alben Barkley, qui aurait été propulsé à la tête de l’exécutif.

Les ennuis surgissent aussi au 1600 Pennsylvania Avenue en l’absence du chef de l’État.

Richard Nixon se trouve en Californie lorsqu’un hélicoptère survole la Maison-Blanche le 17  février 1974. Les agents du Secret Service, dispersés sur la pelouse, déclenchent un tir nourri à l’aide de fusils à pompe, endommageant l’appareil, qui s’écrase dans le jardin, hors de contrôle. Le pilote en tenue militaire sort de l’épave, groggy, légèrement blessé mais indemne. Son nom est Robert Preston. Simple soldat déployé sur une base proche de la capitale fédérale, Preston avait été précédemment rejeté de l’école de pilotage.

David Mahonski, un électricien de Pennsylvanie au chômage, est lui déjà dans le collimateur du FBI lorsqu’il entreprend d’escalader la grille de la Maison-Blanche haute de 2,5 mètres, le 15 mars 1984, vers 19 h 30. Ce toxicomane de 25 ans s’est auparavant livré à des imprécations contre le président Ronald Reagan. Il a été repéré rôdant aux abords de la résidence le 2 mars précédent. Aux agents du Secret Service venus lui parler, il a prétendu « être secrètement forcé d’ingérer de la drogue ». Le 10  mars, il a été interpellé à la frontière canadienne et refoulé. Lorsque les agents du Secret Service repèrent à nouveau sa silhouette sur le trottoir de South Executive Avenue, un point de vue prisé des touristes, ils s’approchent en voiture pour l’interpeller. C’est alors que Mahonski dévoile un fusil à canon scié et s’apprête à ouvrir le feu sur eux. Mais un garde, le lieutenant Walter Gorman, sera plus rapide : il tire dans le bras droit de l’intrus, qui s’effondre sur le macadam.

Ronald Reagan, qui se trouvait dans l’aile Ouest à ce moment précis, n’a rien entendu. Il sera informé peu après du drame qui vient de se jouer au-delà de la pelouse.

Mahonski est arrêté et contraint à trente jours de traitement psychiatrique à l’hôpital St.  Elizabeth de Washington, là où est également interné l’autre homme qui attenta à la vie de Ronald Reagan trois ans plus tôt, John Hinckley Jr.

Lors du procès, David Mahonski, vêtu d’un pyjama bleu, hurle ses doléances au juge Arthur Burnett. Ses paroles sont incohérentes. « Le président des États-Unis a fait en sorte que certains éléments de cette société me fassent ingérer des drogues et ruinent ma vie! », s’exclame-t-il, avant d’éructer un peu plus tard : « Je me suis rendu à la Maison-Blanche pour demander au président d’ordonner au FBI de retirer la puce implantée dans mon oreille. » Ce seront ses dernières paroles connues. Interné, il décède dans le plus complet anonymat en 1992, à l’âge de 34 ans.

Le 12  septembre 1994, un petit avion de tourisme Cessna apparaît au-dessus de la Maison-Blanche. Sous les regards horrifiés des témoins, il entame un piqué, à la manière des kamikazes japonais, et s’écrase contre le mur d’enceinte sud. Le pilote, un dénommé Frank Eugene Corder, est tué sur le coup. Une autopsie établira que cet ancien vétéran était en état d’ébriété avancée.

Les attentats émanent également d’individus idéologiquement radicalisés. Dans le climat de haine raciale qui entoure la présidence de Barack Obama, accusé par l’extrême droite américaine d’être un « crypto-musulman », les menaces de mort se multiplient à l’encontre du premier président noir des États-Unis. Les insinuations pleuvent sur le lieu supposé de sa naissance, alimentées par un certain Donald Trump.

Le danger survient sans crier gare le vendredi 11  novembre 2011, vers 21  h  30. Une volée de balles s’écrase contre la façade Sud de la Maison-Blanche. L’une d’elles atteint une fenêtre du salon Ovale jaune, où Michelle Obama, de son propre aveu, « passait souvent de longues heures à lire ou à prendre le thé ». Une autre va se loger dans un encadrement de fenêtre et plusieurs ricochent sur le toit, projetant des éclats de bois et de béton sur le sol du balcon Truman au premier étage. « Ni Barack, ni moi, ni Malia n’étions là ce soir-là, poursuit Michelle Obama, mais Sasha était à la maison avec sa grand-mère. Heureusement, elles ne se sont rendu compte de rien et n’ont pas été blessées. Il a fallu des semaines pour remplacer la vitre blindée du salon Ovale, et j’ai souvent contemplé le petit cratère rond laissé par l’impact de balle, qui me rappelait à quel point nous étions vulnérables. »

Il manque à ce récit la colère profonde ressentie par l’ex-première dame. En déplacement en Californie avec son mari, elle n’apprendra les détails de l’incident que cinq jours plus tard. En l’absence de caméras de surveillance qui auraient pu confondre l’auteur des tirs, et sans que quiconque ait décelé les impacts de balles sur la façade, le périmètre de sécurité ne révèle aucune menace tangible, conduisant le chef de poste du Secret Service, David Simmons, à déclarer une fin d’alerte prématurée. Les premiers rapports de police font état d’une fusillade entre deux automobilistes, peut-être membres de gangs rivaux. Et pourtant, les témoins directs abondent et confirment que la cible était bien la Maison-Blanche : sur le toit de la résidence présidentielle, deux tireurs d’élite, Todd Amman et Jeff Lourinia, se trouvent à moins de 5 mètres des impacts de balles. Ils se mettent à couvert et prennent position, essayant de détecter le point de départ de tirs saccadés. Le son caractéristique émanant d’un fusil semi-automatique était reconnaissable entre mille.

Sous le balcon Truman, un agent du Secret Service en faction, Carrie Johnson, a dégainé son arme de service, un revolver 357 Magnum. Elle a entendu des éclats tomber de la façade. Sur Constitution Avenue, deux agents de police, Milton Olivo et William Johnson, assis dans leur véhicule de patrouille à moins de 20 mètres des départs de tir, ont dégainé leurs armes, cherchant à identifier eux aussi l’origine des coups de feu, en vain. Une âcre odeur de poudre se répand dans l’air. Un chauffeur de taxi nommé Sharanya Shankar tweetera peu après : « Un conducteur juste devant mon taxi vient de stopper net et a tiré cinq coups de feu sur la Maison-Blanche. » Un neurologue, enfin, qui passait à proximité dans une navette d’aéroport, confirmera ultérieurement avoir vu un homme ouvrir le feu sur la Maison-Blanche depuis sa voiture.

Puis la radio de la police métropolitaine grésille : une voiture abandonnée, une Honda Accord noire, est retrouvée accidentée à l’entrée du Roosevelt Bridge, 700 mètres plus loin sur Constitution Avenue. À l’intérieur sont dissimulés un fusil d’assaut semi-automatique roumain Cugir et plusieurs douilles vides.

L’affaire est confiée à la police locale. Et les ennuis commencent pour les responsables du Secret Service : Michelle Obama, qui a laissé le président poursuivre son périple vers l’Australie, vient de rentrer à Washington le matin même après un vol de nuit harassant, et elle a fait une sieste prolongée. Alors que personne n’ose la réveiller, c’est Reginald Jackson, venu s’enquérir de son état, qui lui apprend l’incident. Hors d’elle, la première dame demande des explications auprès du patron du Secret Service, Mark Sullivan, et du chef de cabinet présidentiel, William Daley.

Les éclats de voix redoublent dans l’aile Ouest au retour de Barack Obama, le 21 novembre 2011. « C’est là que les murs ont vraiment tremblé », confie un témoin. Barack et Michelle Obama, ébranlés par la gravité des faits et le risque encouru par leurs filles, veulent comprendre : comment le dispositif de sécurité rapprochée a-t-il pu négliger un tir en rafale visant le bâtiment, ainsi que des balles logées dans les murs de la résidence ? Et que serait-il advenu si un agresseur plus déterminé, mieux préparé, avait usé d’une arme plus puissante ? L’absence du couple présidentiel de la Maison-Blanche, ainsi qu’un certain relâchement typique d’un vendredi soir ne justifient pas un tel fiasco.

L’enquête interne établit que l’agent Carrie Johnson, entendant ses supérieurs minimiser l’affaire au lendemain de la fusillade, n’avait pas osé prendre la parole, de « peur d’être critiquée ». Ses collègues, collaborant avec la police fédérale au sujet de la Honda accidentée, avaient pourtant découvert en parallèle que le propriétaire, un chômeur pennsylvanien de 21 ans nommé Oscar Ramiro Ortega-Hernandez, s’était enfui à pied en direction de Georgetown. Qu’il avait quitté des amis en Idaho trois semaines plus tôt, après les avoir sérieusement inquiétés par des propos menaçants contre le président Barack Obama, qui « devait être stoppé ». Qu’il était arrivé le 9  novembre 2011 à Washington, le coffre lesté de son arme et de 180  cartouches achetées chez un armurier de l’Idaho. Qu’il avait ouvert le feu à 700 mètres de la Maison-Blanche depuis un tronçon fermé de Constitution Avenue, au croisement de la 16e  Rue, où d’autres douilles avaient été retrouvées. Et qu’il s’était enfui en roulant à tombeau ouvert sur Constitution Avenue.

Le fugitif est finalement localisé, puis arrêté le mercredi 16  novembre 2011 au matin, dans un motel d’Indiana, en Pennsylvanie, à 100  kilomètres à l’est de Pittsburgh. Accusé d’avoir attenté à la vie du président des États-Unis, Ortega sera condamné à vingt-cinq ans de prison ferme.

Le bilan est très négatif pour le Secret Service : les officiers et agents de police qui avaient vu ou entendu quelque chose ont été ignorés. Aucun examen minutieux des locaux et des abords n’avait été effectué dans les heures qui ont suivi la tentative d’attentat. Les départs de tir avaient eu lieu depuis un segment de Constitution Avenue fermé à la circulation depuis 1995, dans le but d’éviter que ne stationne une voiture piégée et non un tireur isolé.

« C’est tout à fait effrayant de penser que quelqu’un qui n’a pas planifié si bien que cela son action ait été en mesure de tirer et de toucher la Maison-Blanche, plus encore que les gens ici en aient tout ignoré plusieurs jours durant », commentera le chef de cabinet William Daley. « Tout cela n’a pas été bien géré du tout. »

Personne ne sera pourtant limogé à la Maison-Blanche. De nouvelles caméras de vidéosurveillance viennent se greffer au périmètre de sécurité, offrant enfin une couverture à 360 degrés de la résidence. Mais le scandale qui éclate l’année suivante provoque une réaction en chaîne dans les coulisses de la Présidence, comme si l’attentat de 2011 avait servi de précurseur à une indispensable réforme du Secret Service : lors de préparatifs pour une visite présidentielle en Colombie, onze agents du Secret Service sont confondus pour avoir organisé une partie fine dans un hôtel de Carthagène. Les auditions qui s’enchaînent révèlent une culture dite de wheels-up, rings-off, auxquelles s’ajoutent un usage immodéré d’alcool et une chape d’intimidation au sein de la hiérarchie qui incite les plus jeunes agents à se taire et à raser les murs devant les frasques discrètes de leurs aînés. Ce laisser-aller a failli coûter la vie à certains membres de la famille présidentielle.

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Extrait du livre de Maurin Picard, "Le Manoir, Histoire et histoires de la Maison Blanche", publié aux éditions Perrin.

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