Présidentielle américaine : mais au fait, indépendamment des candidats, que veulent les électeurs américains ?<!-- --> | Atlantico.fr
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Etats-Unis vote élection présidentielle américaine Joe Biden Donald Trump
Etats-Unis vote élection présidentielle américaine Joe Biden Donald Trump
©Brendan Smialowski / AFP

Trump ci, Trump ça

Les électeurs américains sont mobilisés ce mardi 3 novembre dans le cadre de l'élection présidentielle. Au-delà du choix entre Donald Trump et Joe Biden, quelles sont les aspirations et les mentalités des citoyens américains à l'heure du vote ?

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Au fait : que veulent les Américains? 

L’obsession anti-Trump de nos commentateurs: faut-il en pleurer ou en rire? 

L’incapacité de la plupart des journalistes et experts français à proposer un tableau équilibré de la campagne présidentielle américaine pourrait à juste titre indigner. Si nous n’avions pas les réseaux sociaux à notre disposition, nous n’aurions jamais entendu parler de l’affluence massive aux meetings du président candidat à sa propre réélection. Nous n’aurions jamais vu des images de partisans de Trump massés le long la route pour accueillir...Joe Biden venu tenir une réunion politique à Philadelphie. Sans les réseaux sociaux - et malgré les tentatives de leurs dirigeants de contenir l’information - nous n’aurions jamais entendu parler, de ce côté-ci de l’Atlantique, du degré de corruption de Hunter Biden, fils de Joe, qui faisait payer l’accès à son père quand celui-ci était vice-président. Nous n’aurions aucune notion, non plus, de l’un des plus grands scandales de l’histoire politique américaine, à savoir la manière dont Barack Obama lui-même a couvert la mise sur écoute de la campagne de Donald Trump en 2016. 

L’incapacité des observateurs français à parler de ce qui se passe réellement aux Etats-Unis est aussi matière à rire. On pourrait écrire le sketche de la plupart des émissions sur les élections américaines. Sauf exception, les invités détestent tous Trump...et ne cessent pas de parler de lui. Personne n’a compris que ce qui pourrait arriver de pire à Donald Trump, c’est que l’on cesse de parler de lui. Le président américain se nourrit de la sous-estimation permanente dont il est l’objet; et comme cet individu dont nous n’avons pas de mots trop durs pour dénoncer la vulgarité, l’égocentrisme, l’utilisation permanente de twitter mais aussi les opinions conservatrices et le populisme, est toujours debout alors qu’il est une cible permanente, cela ne fait que renforcer les critiques, en les portant de plus en plus sur le mode hystérique. Cependant, tous ceux qui sont atteints de ce que l’on appelle aux Etats-Unis le « syndrome de dérangement de Trump », ne se rendent même plus compte que leur obsession les détourne de regarder le reste du tableau. Et si l’on parlait de Joe Biden? Si l’on se demandait quelle est la capacité à gouverner la première puissance du monde d’un homme qui cherche ses mots, quand il ne fait pas des déclarations incohérentes - comiques même, le jour où il a expliqué que les démocrates avaient mis en place un système de fraude électorale? Si l’on regardait la manière dont les parlementaires républicains se sont ralliés à Donald Trump, ce qui n’était pas gagné d’avance lors des primaires de 2016; tandis que le parti démocrate est de plus en plus divisé entre un groupe dirigeant qui relève de ce que Christopher Lasch appelait la « sécession des élites » et une base militante gauchiste - au grand désespoir des électeurs du parti? 

Le dynamisme économique de la période Trump se traduira-t-il dans les urnes? 

Et si l’on parlait, tout simplement, de l’état du pays ? Je cite l’un des rares observateurs français objectifs des Etats-Unis actuels, Nicolas Lecaussin: « Entre 2018 et 2019, l’augmentation globaler du revenu médian des ménages américains a été presque 50% plus importante que durant la présidence d’Obama. Début 2020, il n’avait jamais été aussi élevé. Même maintenant, l’économie de Trump bat des records. Au deuxième trimestre, elle a connu une croissance de 33,1% en rythme annuel. le précédent record datait de...1950 et il était de...16,2%, deux fois moins. En cinq mois, l’Amérique a créé 11,4 millions d’emplois. Du jamais vu après une récession » (Sur fr.irefeurope.org, 2.11.2020). Qui dira que c’est durant le mandat de Donald Trump que le taux de pauvreté des Noirs et des Hispaniques est tombé à son plus bas niveau historique? Est-il par conséquent complètement étonnant que les intentions de vote pour Trump dans la communauté noire aient dépassé les 20% dans les sondages (seuls 8% avaient voté pour lui en 2016)? Et qu’elles soient proches de 45% dans la communauté hispanique? 

Nous voilà devant la seule question qui compte ! Que va dire le peuple américain? Là encore, pour la plupart de nos experts et commentateurs, la cause est entendue. Joe Biden sera élu haut la main. Pour ma part, je fais plus confiance aux instituts de sondage qui avaient anticipé le Brexit ou la première victoire de Trump: le Democracy Institute, dans son dernier sondage de la campagne, paru dimanche 1er novembre, pronostique non seulement une large victoire de Trump en nombre de grands électeurs (326 contre 212) mais une avance d’un point (48% contre 47) dans le vote populaire. J’ai déjà expliqué ici même les différences de méthodologie des sondages, qui amènent des pronostics aussi contrastés. Mais la seule chose à dire en ce premier mardi de novembre 2020, c’est que les dés sont jetés. Dans une vingtaine d’heures, les électeurs américains auront rendu leur verdict. 

Les Etats-Unis nous renvoient nos propres  divisions comme un miroir

Et ce que nous devrions savoir d’une manière certaine, c’est que les Etats-Unis sont comme un miroir pour nous. Comme la société française, la société américaine est profondément divisée socialement, politiquement, culturellement. Comme en France, cela se traduit dans une géographie spécifique: l’immense espace central contre les espaces côtiers; les campagnes et les banlieues résidentielles contre les métropoles. Il se peut que demain matin nous apprenions que Joe Biden a gagné le vote populaire et Donald Trump le vote au sein du collège électoral. Aussitôt nos commentateurs entonneront après leurs cousins américains des Mains Stream Media la chanson de l’absurdité du système électoral américain. Sans voir que ce système, qui a garanti l’élection de Donald Trump en 2016, a eu pour vertu de mettre un frein à la « sécession des élites ». Surtout, ce système nous permet de voir très concrètement le basculement de l’électorat républicain. En 2012 encore, il soutenait un candidat interventionniste et belliciste, libre-échangiste et sinophile, Mitt Romney; depuis 2016, il soutien un candidat qui a renoncé à l’aventure impériale, veut recréer une industrie sur le sol américain et refuse les compromissions avec la Chine néototalitaire de Monsieur Xi. 

J’entends bien tous ceux qui objecteront que le système américain est d’un autre âge. Et qui ne serait pas à première vue pour une élection du président américain au suffrage universel direct? Cependant qui ne voit pas, d’autre part, la crise générale de nos démocraties, dont les dirigeants ne voient le système électoral, le plus souvent, que comme un obstacle à contourner? Qui ne voit la parenté entre le parti démocrate, le macronisme et tous les partis européens qui ont expliqué, la main sur le coeur, que le peuple britannique - dans un référendum ! - avait commis une erreur en votant pour le Brexit? Quand on est Français et sincèrement universaliste, ne doit-on pas être profondément choqué par la manière dont le parti démocrate américain a instrumentalisé, depuis six mois, les émeutes urbaines et racialisé le débat politique? 

La décision du peuple américain nous échappe mais elle ne sera pas sans conséquences pour nos nations. 

Ce qui se joue dans quelques heures, nous échappe complètement. C’est le peuple américain souverain qui va trancher. Mais dans tous les cas, ce qui va se passer ne peut nous laisser indifférents et nous oblige à rehausser le niveau de nos analyses. Car les divisions profondes de la société américaine sont aussi les nôtres. Car nous pouvons anticiper sur les incohérences d’un nouveau président démocrate en regardant l’échec patent de son petit cousin français, Emmanuel Macron. Au contraire, si Donald Trump est réélu, nous pourrons nous dire qu’il existe un chemin pour reconstruire nos sociétés autour de ce que David Goodhart appelle un « pacte conservateur », la capacité à trouver un compromis entre ceux qu’ils désignent comme les « nomades » gagnants  de la mondialisation et les perdants, « sédentaires ». 

Pour le dire avec les mots de Benjamin Disraëli, le premier ministre britannique des années 1870, le fondateur du conservatisme moderne, ce qui se joue ce mardi 3 novembre aux Etats-Unis, c’est la possibilité, avec Donald Trump, de commencer à  réconcilier ces « deux nations qui ne se fréquentent plus et n’ont qu’antipathie l’une pour l’autre; qui sont aussi ignorantes des habitudes l’une de l’autre que si elles (...) habitaient sur des planètes différentes; qui s’opposent par l’éducation qu’elles reçoivent, par ce qu’elles mangent et par leurs comportements... ». Si les Américains en décidaient autrement, nous comprendrons que nous ne pouvons compter que sur nous-même, dans les quatre prochaines années, pour nous en sortir. Si les Américains confirment ce choix, nous saurons qu’il existe déjà une voie - à adapter - pour sortir de la crise de nos démocraties. 

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