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Les objets connectés, des armes redoutables aux mains des auteurs de violences familiales
©MARTIN BUREAU / AFP

Dangers des nouveaux outils

Le nombre de cas de violences conjugales a augmenté de façon spectaculaire durant le confinement et durant l'épidémie de coronavirus. Les objets connectés ont-ils aggravé les violences familiales ?

Denis Jacopini

Denis Jacopini

Denis Jacopini est expert de justice en informatique spécialisé en cybercriminalité et en RGPD (Protection des Données à Caractère Personnel).

Il réalise des audits RGPD et des mises en conformité RGPD et sous forme de conférences de formations ou d’interventions, dans la France Entière et à l’étranger sur les sujets de la Cybercriminalité et du RGPD, il sensibilise et accompagne les entreprises en vue d’améliorer ou de mettre en conformité de leur système d’information.

Diplômé en droit de l’expertise judiciaire, en cybercriminalité droit et sécurité de l’information, en investigation numérique pénale et certifié en gestion des risques sur les systèmes d’information, par son profil atypique pédago-technico-juridique, il est régulièrement contacté par des médias tels que C8, LCI, NRJ12, D8, France 2, Le Monde Informatique, Europe 1, Sud Radio, Atlantico pour vulgariser ces sujets et est également intervenu au Conseil de l’Europe à l’occasion de la conférence annuelle sur la lutte contre la cybercriminalité « Octopus ».

Auteur du livre « CYBERARNAQUES » (Plon 2018), diplômé en Cybercriminalité, Droit, Sécurité de l’information, informatique Légale, en Droit de l’Expertise Judiciaire et Certifié en Gestion des Risque sur les Systèmes d’Information (ISO 27005 Risk Manager), avant de devenir indépendant, il a été pendant une vingtaine d'année à la tête d'une société spécialisée en sécurité Informatique.

Denis JACOPINI peut être contacté sur :

http://www.leNetExpert.fr/contact

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Anne-Cécile Mailfert

Anne-Cécile Mailfert

Anne-Cécile Mailfert est présidente de la Fondation des Femmes.

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Atlantico.fr : Le nombre de cas de violences conjugales a augmenté de façon spectaculaire lié au confinement et à la pandémie de Covid-19. De quelles façons les objets connectés peuvent aggraver les violences familiales ?

Denis Jacopini : On remarque qu’il y a eu ces dernières années une explosion du nombre d’objets connectés, principalement connectés sur smartphone ou assistants vocaux personnels. Ces outils ont des fonctions de géolocalisation, des fonction d’écoute, des fonctions d’accès à distance. Et s'ils sont utilisés à des fins malveillantes, cela devient de redoutables enquêteurs. La seconde raison est qu'on remarque que lorsqu’une famille s’équipe avec ces objets qui ont de telles fonctions, c’est en général le chef de famille qui doit faire ça ou à la rigueur l’enfant, le geek ou celui qui s’y connaît le plus. Mais ces appareils ne sont pas prévus pour avoir plusieurs utilisateurs. Ils sont prévus pour avoir un utilisateur principal qui a tous les droits, qui a le rôle d’un dieu, mais qui a un droit de regard sur tout le monde, un droit de liberté ou de non-liberté sur les autres. Et donc, ce sont ces détournements d’usage que l’on peut considérer comme nouveaux car lorsqu’ils ont été fabriqués, on ne s’attendait pas à de telles dérives. Mais on constate qu’il y a une utilisation de ces outils sans que les gens aient connaissance de toutes les dérives qu’il peut y avoir derrière. Quand on fabrique des objets connectés, on ne pense pas au mal derrière que certains vont chercher à faire avec ces outils. On ne pense pas systématiquement au détournement malveillant qu’il pourrait y avoir des ces objets. Donc ces usages cachés ne sont pas mis en avant, et les gens ne se méfient pas de la partie dangereuse.

Anne-Cécile Mailfert : Les objets connectés, ce sont les objets qui sont connectés entre eux grâce à du wifi, grâce à du Bluetooth. Ces objets peuvent être par exemple des caméras de surveillance, des thermostats, des baby-phones, de l’éclairage, des sonnettes… Ce sont donc des objets que l’on peut contrôler à distance par Internet et souvent grâce à une application dans son smartphone. Ces objets là, lorsqu’ils sont installés et contrôlés par un agresseur, par un conjoint violent, ils peuvent être utilisés par ce dernier contre sa victime. Dans les exemples que l’on a, ils peuvent être utilisés comme de la cyber-surveillance. C'est-à-dire que le mari peut utiliser le baby-phone pour l'allumer à distance et regarder ce qui se passe dans la chambre de l’enfant ou ailleurs dans la maison s’il l’a mis ailleurs. Cela peut être aussi des caméras qui servent à surveiller ce qui se passe dans la maison. Cela peut être aussi une forme de cyber-harcèlement, car lorsqu'il s'agit du thermostat ou de la lumière, il peut s'avérer que, depuis son téléphone, un agresseur qui peut être mécontent d'avoir été écarté de la maison, peut « s'amuser » à torturer psychologiquement son ex-femme en augmentant la température à distance, en allumant ou en éteignant les lampes de façon impromptue, en faisant sonner la sonnette, en déclenchant l'arrosage automatique... Donc des tas de choses qui vont peser sur le moral de la victime. Dans un premier temps, elle ne va pas comprendre ce qui se passe car ce n'est pas elle qui a installé les équipements, ce n'est pas elle qui les contrôle d'habitude. Et elle va avoir l'impression qu'elle devient folle. Et donc, cela maintient une emprise psychologique et une atmosphère psychologique très menaçante dans le foyer. Donc, c'est de cette manière-là que les objets connectés peuvent être utilisés par des maris agresseurs, des maris violents contre leurs femmes ou leurs ex-conjointes.

Ces derniers temps, il y a une augmentation de l'installation de ces objets. Il y a de plus en plus de foyers qui sont connectés. Puisqu'un pourcentage réel de foyers en France est un foyer dans lesquels il y a des hommes violents, il est probable que cette cyber-violence liée aux objets connectés augmente. Les innovations technologiques vont créer des nouvelles formes de violences masculines. On l'a vu avec Facebook. On l'a vu aussi avec de la cyber-violence administrative où le conjoint s'amuse à changer les mots de passe de Pôle Emploi, de la CAF, des abonnements d'électricité. Donc, on voit qu'à chaque fois, que des nouvelles technologies se développent et qui facilitent la vie familiale, cela peut aussi être utilisé pour effectuer des violences contre son ex-conjoint. Donc, plus les technologies se développent, et plus ces violences se développent. Pour le moment, ces violences sont assez méconnues des Français. Il n'y a aucune sensibilisation faite à ce sujet là vis-à-vis des femmes victimes de violences. Et surtout, les constructeurs de ces objets ne sont pas du tout dans une démarche de responsabilité par rapport à ces usages. Nous avons des constructeurs de ces objets qui sont dans une course effrénée au prix, à l'innovation..., et à aucun moment, on les a vus se poser la question de l'usage de leurs équipements. La grande majorité des acheteurs de ces objets et de ceux qui les installent dans la maison sont des hommes.

Que faire pour lutter contre l'utilisation des appareils intelligents à des fins de violence domestique ?

Denis Jacopini : Déjà, il faudrait davantage d’informations sur l’outil lorsqu’il va être acheté. C'est-à-dire de l’information sur les possibilités détournées qu’il pourrait y avoir. Le but n’est pas d’informer celui qui ne le savait pas mais, au contraire, de sensibiliser celui qui en pourrait être victime de cela. Donc, dans le cadre d’un couple, il est nécessaire d’avoir l’accord des 2 personnes et peut-être de punir beaucoup plus gravement l’usage par une seule personne sur les deux d’un couple. Mais il faudrait que les deux personnes soient au courant qu’elles valident le compte. Ou alors que les deux personnes aient chacun un compte internet, et qu’il y ait bien une personne qui risquerait de se trouver victime. Mais ce n’est pas évident.

Donc, il y a tous les appareils qui peuvent géolocaliser. Et il y a aussi tous les appareils qui peuvent espionner comme les assistants vocaux qui sont équipés d’un microphone qui peut, à distance, permettre à un individu d’écouter ce qu’il y a à l’intérieur d’une pièce comme conversation. Cela a des possibilités énormes en matière de surveillance et d’espionnage, digne des outils les plus perfectionnés de James Bond. Aujourd’hui, ces outils existent et on leur laisse trop de libertés. Quelqu’un qui va activer ces fonctions-là, il sait qu’il va être lui-même sous surveillance. C'est-à-dire que derrière, c’est quelqu’un qui s’engage à avoir un comportement bienveillant en utilisant ces fonctions là. Maintenant, j’ai peur que ce soit que des déclarations sur l’honneur. D’un point de vue technique, je pense que les fonctions ont été beaucoup trop loin. Et du fait qu’aujourd’hui, elles sont détournées, immédiatement, il faudrait mettre en place des verrous pour éviter que ça puisse s’aggraver. Ce qu’il y a, c’est que ce sont des nouveaux outils qui créent des nouveaux usages. Et on a l’impression qu’aujourd’hui, on a absolument besoin de ces fonctions, alors qu’il y a 5 ans, on vivait très bien sans. Et ces fonctions qui peuvent être dangereuses, à mon avis, il faudrait les rendre beaucoup plus difficilement activables.

Comment garder le contrôle des objets connectés ?

Denis Jacopini : On pourrait informer ces personnes de la même façon qu’un GPS dans une voiture. Lorsqu’on met la voiture en route, il y a tout un texte légal qui s’affiche et qui vous rappelle les règles de conduite avec plusieurs interdictions quand vous conduisez. A mon avis, à la mise en route de l’objet connecté, il serait très simple de mettre en place un petit rappel visuel pour ceux qui ont des écrans qui affichent des informations, et auditifs en rappelant que d’une part, l’outil a des fonctionnalités qui peuvent être utilisées à des fins malveillantes ou alors carrément lorsque l’outil est en route, il dévoile ses réglages en disant que l’écoute à distance est activée. Tout ceci afin que l’utilisateur sache que ces fonctions sont activées.

Il pourrait y avoir aussi la documentation papier. Mais encore aujourd’hui, on se retrouve dans des situations où les documentations ne sont plus fournies dans des appareils. Les seules documentations qui sont fournies, ce sont celles qui expliquent pour déballer, brancher… Il faut donc aller sur Internet pour avoir la documentation entière. Pour des objets connectés, la documentation devrait être obligatoire dans la langue du pays car des fois, on a des notices étrangères. Donc, il faudrait une documentation obligatoire en français avec des mots clés qui viennent attirer l’attention sur les fonctions que peut avoir cet appareil avec les bons et mauvais côtés qui permettent d’éveiller les personnes ignorantes. Les personnes qui sont les plus victimes sont celles qui sont ignorantes car elles ne savent pas que ces outils peuvent écouter, géolocaliser. Je vois beaucoup de couples où le téléphone a été acheté et installé par le mari pour sa femme. Donc le mari a accès à tout car c’est lui qui va paramétrer la messagerie et l’ensemble des éléments. Il a le pouvoir de surveillance et le pouvoir de contrôle de ce téléphone, sans que sa femme ne s’en rende compte. Donc, nous n’avons pas besoin d’avoir de logiciels espions pour espionner les autres car les appareils le font de même. Aujourd’hui, on multiplie les outils qui viennent géolocaliser et écouter, et on ne fait pas du tout attention à cela. Ce sont devenus des objets quotidiens sans véritablement de l’usage détourné qu’il pourrait y avoir. Et on ne parle même pas des applications que l’on pourrait mettre sur les appareils où le mari installe une application de surveillance où il aurait accès en plus aux appels, aux messages… Et aujourd’hui, beaucoup de personnes me demandent de mettre ces applications dessus, mais moi je refuse. Nous sommes dans de l’usage complètement illégal car la surveillance entre époux est absolument interdite.

Anne-Cécile Mailfert : Pour utiliser ces outils, il va falloir un mot de passe. Elles n'ont, en général, aucune connaissance de ce mot de passe. Donc, elles vont se sentir déposséder de leur environnement. Quand les femmes se rendent compte ce qui est en train de se passer, elles ont 2 stratégies. La première stratégie est de détruire ces équipements, mais cela peut faire redoubler de colère l'agresseur. Si elle détruit l'objet de surveillance, le mari (qui est déjà dans une paranoïa folle) va exploser de colère. Il faut donc que la femme ne fasse rien afin que le mari ne se doute de rien.

Lorsqu'une femme est victime de ces violences-là et qu'elle en parle, elle peut générer de la part de son entourage un sentiment de rejet. L'entourage va penser qu'elle abuse en disant que son mari l'espionne. Donc, il est possible que les femmes n'osent pas en parler car elles ont peur de passer pour des folles. Donc, c'est difficile pour elles de désinstaller tout ça. De plus, elles ignorent quels sont les recours juridiques.

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