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Ce qui s'est vraiment passé au sein du ministère de l'Education nationale dans les jours ayant précédé la mort de Samuel Paty
©ANNE-CHRISTINE POUJOULAT / AFP

Signes de faiblesses et de lucidité

L'assassinat de Conflans a définitivement montré l’inefficacité du "en même temps" face à l'islamisme.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Absurdes accusations contre la rectrice de Versailles

L’accusation avait circulé assez rapidement après la mort de Samuel Paty. La rectrice de Versailles, Charline Avenel, n’aurait rien fait pour empêcher ce qui s’est passé. Pire: l’académie s’apprêtait à sanctionner le professeur qui avait montré des caricatures à ses élèves. Lorsqu’il y a un drame, a fortiori un meurtre aussi abominable, l’esprit humain a besoin de réponses simples, de certitudes apparentes. Et la recherche d’un « bouc émissaire » est la réponse la plus simple. On pense savoir à peu près ce qu’est un recteur, ce « préfet du système éducatif ». Il se trouve qu’en plus Madame Avenel est de la même promotion à l’ENA qu’Emmanuel Macron. Il était tentant de construire une chaîne d’explications mettant en cause le chef de l’Etat. Ce type de reconstruction des faits présente, dans le cas de Charline Avenel, une contradiction flagrante avec le passé récent: la rectrice avait fait parler d’elle en novembre 2019, lorsqu’elle avait écourté sa visite dans un établissement de Clamart à cause de la présence de trois femmes voilées, mères d’élèves accompagnatrices. Charline Avenel, en l’occurrence, avait réagi en conformité avec l’état d’esprit que Jean-Michel Blanquer a insufflé à ses recteurs depuis qu’il est ministre de l’Education. Au sein du gouvernement, il fait partie de ceux qui tiennent un discours ferme face à l’islamisme. Il a même suscité, quelques jours après le meurtre de Conflans, un émoi dans le milieu intellectuel et culturel français en dénonçant ouvertement « l’islamo-gauchisme ». 

Une Education Nationale forte en paroles mais démunie

Est-ce à dire qu’il faille absoudre l’Education Nationale de toute responsabilité dans ce qui s’est passé? En fait, la question est mal posée. D’abord parce qu’on trouvera autant de failles que de signes de lucidité dans ce qui s’est passé. Le ministre Blanquer  peut bien réclamer la fermeté et une compréhension stricte de la laïcité, deux éléments jouent en sens contraire: au niveau de l’établissement, d’abord, comment met-on en oeuvre, un message de stricte application de la laïcité quand on est confronté au quotidien à la pression sociale des élèves musulmans, de leurs parents, des associations qui ont commencé depuis longtemps à imposer une intimidation permanente? Attendons le rapport qui sera remis dans quelques jours à Jean-Michel Blanquer. On y lira en termes atténués que le professeur ne s’est pas senti complètement soutenu par la principale du collège; que le dialogue mis en place par l’Inspecteur d’Académie « référent laïcité » a vite trouvé ses limites - d’ailleurs, c’est dans le cadre d’un tel dialogue que des militants islamistes ont cru comprendre que le professeur n’était pas entièrement soutenu par sa hiérarchie et ont répandu l’information qu’il allait être, par conséquent, sanctionné. Face à la pression intimidatrice, le dialogue se termine forcément en concessions verbales qui neutralisent le mot d’ordre de fermeté. On est en plein « en même temps »: laïcité et dialogue. Plaçons-nous ensuite au niveau du Ministère rue de Grenelle. Que fait-on des signalements que l’on reçoit. Il existe au Ministère une cellule de veille sur le radicalisation, officiellement coordonnée avec le dispositif l’ensemble du dispositif interministériel (coordination des préfets, lutte contre la délinquance et contre les dérives sectaires). Si vous allez sur le site de l’Education Nationale, on est même trè!s fier d’appartenir au « Radicalisation Awareness Network » créé en 2011 par la Commission Européenne. So what? Et ensuite? 

Sur le terrain, on fait profil bas depuis longtemps

La cellule de veille du Ministère avait reçu des informations précises sur ce qui se passait à Conflans; la rectrice avait interagi avec le cabinet du Ministre comme Jean-Michel Blanquer l’attend de tous ses recteurs; le « référent laïcité » avait appliqué les instructions qu’il a - fermeté et dialogue, en même temps. La principale du collège se débattait comme elle pouvait. Les professeurs collègues de Samuel Paty étaient partagés entre le soutien affiché et le profil bas - cela fait tant d’années qu’on est habitué à s’auto-censurer. A vrai dire tout le monde s’attendait à ce que l’émotion retombe et la vie reprendrait comme avant. C’est dans ce sens-là que concluait aussi une note des Renseignements. Le terrible dénouement de la polémique lancée par des parents d’élèves et des notables musulmans contre Samuel Paty fait bien comprendre comme on a laissé dégénérer la situation, depuis des années. Un établissement de l’Education Nationale dans une banlieue à forte présence musulmane, c’ est comme une petite place forte de moins en moins défendable subsistant dans un environnement de plus en plus hostile. Le gros de l’armée s’est retiré. On reçoit des ordres de fermeté mais comment les appliquer? Cela fait bien longtemps que l’on a renoncé à enseigner l’histoire de la Shoah; l’enseignement de sciences naturelles devient de plus en plus difficile face à des élèves qui pensent et disent que la science ne peut pas contredire le Coran. Le collège de Samuel Paty n’avait pas encore basculé dans l’auto-censure générale et le professeur continuait courageusement, année après année, à proposer un cours sur la liberté d’expression - mais en proposant aux élèves musulmans de quitter la salle de cours....

En vérité, au rythme où vont les choses, il pourrait venir un moment où un certain nombre d’établissements de l’Education nationale se transformeraient « silencieusement » en « écoles coraniques ». Samuel Paty témoignait d’une sorte de réflexe de survie instinctif, d’un appel au secours de l’école de la République qui ne veut pas disparaître. 

Une occasion de se débarrasser de ce « en même temps » face à l’Islam qui remonte au moins à Nicolas Sarkozy

C’est au sommet de l’Etat qu’il faut se transporter. Le président de la République défend le « droit au blasphème » mais il laisse les derniers « hussards de la République » sans défense sur le terrain. On annonce un combat contre le « séparatisme » mais on ne mesure pas ce que cela signifie en termes de mobilisation générale. On voudrait être ferme face à l’Islam radical mais on continue « en même temps » à prôner le vivre-ensemble, à dénoncer « l’extrême-droite » en plaçant sur le même plan que l’islamisme des personnalités courageuses qui, depuis des années, expliquent que l’on manque de lucidité face au fondamentalisme religieux qui refuse la séparation du temporel et du spirituel. On prétend structurer un « islam de France » sans voir qu’à la différence du judaïsme et du christianisme, l’Islam refuse la distinction qui constitue l’Occident: la séparation du spirituel et du temporel, c’est-à-dire la laïcité. On ne pourra dialoguer qu’avec des individus musulmans, à condition qu’ils respectent les lois de la République. A eux de s’arranger avec l’absence de distinction entre Dieu et César qu’implique leur croyance. Ce n’est pas le problème de l’Etat, qui ne peut traiter qu’avec des citoyens et des instances représentatives acceptant les principes de la laïcité.

Parce qu’elle est démunie face à la violence, l’Education Nationale révèle soudain, au prix d’un terrible assassinat, l’impossibilité du « en même temps ». On ne peut pas défendre la laïcité et en même temps faire des concessions à l’intimidation d’associations à visée fondamentalistes, accepter la prolifération des mosquées sans contrepartie, laisser sans contrôle des flux financiers entre les pays musulmans et la France. Emmanuel Macron n’est pas le premier à vivre dans la contradiction. Laissons lui, d'ailleurs, par la manière Dont il a prôné ouvertement le « en même temps », la possibilité de s’apercevoir d’une erreur qu’il partage avec au moins ses deux prédécesseurs: la première attaque contre les locaux de Charlie Hebdo avait eu lieu en 2011, Nicolas Sarkozy étant président. Les premières victimes de la violence d’un tueur apparemment isolé, en fait radicalisé au sein d’un réseau, furent celles de Mohamed Mérah à quelques semaines de l’élection présidentielle de 2012. 

Sortirons-nous lucides d’une bien sombre décennie, où 267 Français ont perdu la vie dans des assassinats à motivation islamiste par suite de l’absence de courage et de lucidité au sommet de l’Etat? Et où, plus profondément, l’islamisation de territoires entiers, avec un basculement programmé de l’école de la République, a progressé à une vitesse terrifiante ? 

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