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L’altérité sans rivalité : les bienfaits insoupçonnés du port du masque
©Sergio LIMA / AFP

Bonnes feuilles

Jean-Michel Oughourlian publie "L'altérité : de qui souffrez-vous ?" aux éditions Desclée De Brouwer. L'auteur s'attache à démontrer que les mécanismes toxiques et pathogènes à l'oeuvre dans les maladies physiques et dans les troubles mentaux ont une cause commune : l'altérité. Extrait 1/2.

Jean-Michel Oughourlian

Jean-Michel Oughourlian

Neuropsychiatre (il a dirigé le service de psychiatrie de l'Hôpital américain de Neuilly) et psychologue (discipline qu'il a enseignée à la Sorbonne), disciple de René Girard avec qui il a coécrit le best-seller Des choses cachées depuis la fondation du monde, Jean-Michel Oughourlian a mis en place la psychologie mimétique et exerce, depuis cinquante ans, à travers son prisme. Il est l'auteur de plusieurs ouvrages dont Le Troisième Cerveau et Cet autre qui m'obsède.

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Nous venons de passer en revue des mises en scène de l’altérité sous forme de rivalité pacifique et ludique le plus souvent, mais violente et mortelle dans le dernier exemple cité. Mais il est possible également de représenter l’altérité en tant que telle, sans rivalité, grâce aux masques.

En effet, le masque permet d’être un autre aux yeux de tous et de dissimuler le «moi » derrière cet autre. L’autre ainsi « créé » est capable de faire ce que le «moi » ne pourrait pas faire : le mal, dans le cas de Fantômas, ou le bien, dans le cas de Zorro, par exemple. Ce que Zorro nous apprend, c’est que l’autre est capable d’exploits dont le « moi » serait incapable. Revêtu du masque et de l’habit de Zorro, don Diego de la Vega, jeune homme oisif et joueur de guitare, devient un redoutable justicier invincible. Dans l’un des épisodes, don Diego héberge une jeune aristocrate ravissante et lui chante des chansons en s’accompagnant de la guitare. Elle le trouve sympathique, mais oisif et trop «mou». Un jour, elle est enlevée par des brigands et Zorro vient la sauver. Elle déclare le lendemain à don Diego : «Voilà un vrai homme ! » Elle en est tombée amoureuse sans même voir son visage. Don Diego confie à son valet: « Peut-on être jaloux de soi-même ? » Le «moi », nous l’avons dit, est le produit du désir. Ce désir est copié sur celui du modèle. C’est le désir de l’autre en fin de compte qui produit le « moi » : l’hypnose fait naître chez l’hypnotisé un autre, qui est l’autre «moi » de l’autre désir, un autre «moi » produit par le désir de l’hypnotiseur, un nouveau « moi » avec ses attributs: la conscience, la mémoire, la parole, les émotions. En mettant un masque, le «moi » produit lui-même un autre «moi », le «moi » d’un désir idéalisé. Ce nouveau «moi » est capable des exploits les plus extraordinaires, dont le «moi» original serait incapable. Le modèle de ce nouveau « moi » est le «moi» idéal, fantasmé par le «moi de tous les jours». Cette nouvelle identification à un « moi » idéal est d’une redoutable efficacité, comme Zorro vient de nous le montrer.

Le masque peut aussi être un autre virtuel derrière lequel on se cache et qui, lui, devient capable de faire de qu’on ne peut plus faire soi-même. Ainsi Romain Gary, atteint par une certaine fatigue, désabusé, pense-t-il ne plus pouvoir écrire et publie Au-delà de cette limite, votre ticket n’est plus valable. Mais bientôt, il crée un alter, un autre lui-même, mais différent, inconnu, et derrière ce masque, il écrit de nouveau et l’alter obtient le prix Goncourt! Avec un livre dont le titre exprime l’efficace victoire de l’altérité : La Vie devant soi, écrit soi-disant par Émile Ajar, l’alter créé de toute pièce comme masque de Romain Gary

Dans Le Figaro du 30 mars 2020, Jacques Julliard cite la phrase de Cicéron dans le Pro Murena: «Je n’ai pas cherché à prendre un masque » et nous rappelle que le Romain parle de persona, qui désigne en latin le masque de théâtre. Ce que Cicéron voulait dire, explique-t-il, c’est: « Je n’ai pas voulu jouer un rôle, je me présente à vous le visage découvert.»

Les acteurs du théâtre antique portaient un masque, ce qui faisait d’eux un alter dont ils jouaient le rôle. Le masque se disait « persona ». Ainsi, l’acteur ne devient une personne que masqué : il faut s’altériser pour devenir quelqu’un.

Aujourd’hui, les réseaux sociaux fourmillent de masques et de pseudos qui permettent de se dissimuler pour propager des «fake news», de médire ou calomnier. Un monde virtuel négatif se crée dans lequel se perdent de nombreux adolescents. Aucune chance pour eux, en effet, de voir alors la réalité.

Extrait du livre de Jean-Michel Oughourlian,  "L'altérité : de qui souffrez-vous ?", publié aux éditions Desclée De Brouwer

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