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coronavirus polémique controverse covid-19
coronavirus polémique controverse covid-19
©JOEL SAGET / AFP

Débats animés

Il y eut les pics de chaleur de l’été. Il y a maintenant les pics de controverses autour du coronavirus, qui montent aux extrêmes.

Olivier Fournout

Olivier Fournout

Olivier Fournout est maître de conférence à l’Institut Polytechnique de Paris/Télécom Paris, chercheur à l’Institut Interdisciplinaire de l’Innovation (CNRS) et auteur de La trumpisation du monde, pourquoi le monde adore Trump y compris ceux qui le détestent, Bord de l’Eau, 2020.

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5 octobre, CNews, une journaliste (Laurence Ferrari) interrompt un débat télévisé entre médecins : « ça suffit maintenant, on n’est pas dans une cour de récré, il y a des millions de Français qui n’en peuvent plus de ces dissensions entre les scientifiques, à qui [les Français] on dit tout et n’importe quoi tous les jours, je vous assure qu’il y en a ras-le-bol ».

Voilà qui mérite d’être développé. Il y a urgence pour la démocratie. Oui, Laurence Ferrari a raison : l’engouement exponentiel pour les controverses fait des victimes qui sont, d’une part, les citoyens qui essayent de comprendre ce qui leur arrive, et d’autre part, le dialogue en démocratie.

Les citoyens victimes

Les injonctions paradoxales rendent fous, c’est connu. Le lendemain des rassemblements de la Fête de la musique, un grand patron en épidémiologie dit qu’il ne faut pas dramatiser, car en plein air il y a très peu de risque de transmission, et un autre grand patron de la même discipline médicale déclare que c’est irresponsable, dramatique, criminel, ça va diffuser le virus et les malades vont à nouveau arriver en masse dans son service. Le même jour où les masques sont rendus obligatoires en extérieur dans tel quartier de Paris, un inspecteur du travail est sanctionné pour avoir demandé quelques semaines plus tôt que des aides à domicile portent le masque. Ces messages bruts contradictoires sont totalement irrespectueux de la psychologie de l’être humain qui les reçoit. La première victime est le citoyen, et tous les experts le savent qui n’ont, cependant, aucune retenue à étaler leur vindicte réciproque sur les médias. Comment se décide le citoyen si d’égales autorités, ou des autorités concurrentes, lui enjoignent de faire A et non-A en même temps ? Il ne peut pas. Comment le peuple peut-il se forger une opinion éclairée quand les plus hautes instances ne cessent de se contredire les unes les autres ? Il ne peut pas.

Comprenons bien la critique. Il n’est pas question de prétendre que tout le monde devrait être d’accord dans une affaire aussi complexe. Ni qu’il faille mettre en coupe réglée la communication pour aligner les experts sur un seul message en cachant les désaccords.

Nullement.

Mais pourquoi la réponse aux désaccords en démocratie serait-elle à toujours plus de controverses, et toujours plus violentes, selon une tendance que j’appelle trumpisation du monde[1], c’est-à-dire une indéboulonnable épidémie de polémiques dans tous les sens, magnifiées par des egos surdimensionnés, promues par des exagérations, qui aboutissent à la cacophonie du débat Trump-Biden du 29 septembre et nous préparent mal à la résolution collective des crises.

Beaucoup de gens ignorent que Trump, dès les années 1980, théorise la controverse comme ce qui lui sert à faire parler de lui et avancer ses projets dans les médias. Après, il semble difficile de maintenir, sans l’ombre d’un doute, que la controverse est juste un des beaux arts de la science et de la démocratie.

Alors, faut-il suivre le professeur Jean-François Toussaint qui, dans France Soir, le 21 août, déclarait : « nous devons chaque jour encourager la controverse » ? Sommes-nous vraiment en manque de controverses ? Ou faudrait-il plutôt, un instant, suggérer une trêve des controverses ?

De la controverse en démocratie

La pandémie de coronavirus a été l’occasion d’une multiplication tous azimuts de controverses. Il y a eu la tenue controversée des élections municipales, l’efficacité controversée de la chloroquine, l’utilité controversée des masques, puis l’imposition controversée des masques, l’intensité controversée du confinement, les chiffres controversés des anticipations de mortalité, les estimations controversées des vies sauvées par les mesures sanitaires, la prédiction controversée de la seconde vague, le sacrifice controversé des jeunes générations sur l’autel de la protection des plus âgés, la logistique controversée des tests, et maintenant les mesures controversées d’un reconfinement partiel.

Pour les uns, « le masque ne sert à rien » et « il n’y a pas de seconde vague » ; mieux encore, dans ce genre d’épidémies, « la seconde vague ne vient jamais » ; quant aux précautions qui sont prises, « c’est hallucinant ce qu’on voit, c’est fou » (Canal +, 21 septembre). Dans Le Parisien, « 35 chercheurs, universitaires et médecins » en appellent à arrêter de faire peur au citoyen : pour eux, l’efficacité du confinement n’est pas démontrée, la science est instrumentalisée, la communication est anxiogène. Le 27 septembre, ils sont 350 scientifiques, universitaires et professionnels de santé à publier une tribune dans Médiapart, qui maintient que « la peur et l’aveuglement gouvernent la réflexion ».

Pour les autres, c’est plié : il y a une seconde vague, il faut porter le masque dès qu’on sort de chez soi et reconfiner par étapes, en commençant à fermer des établissements, ce qui sera décidé le 23 septembre pour Aix-Marseille, puis début octobre pour Paris et sa banlieue. Dans Le Journal du Dimanche, le 27 septembre, six médecins, chefs de service et professeurs conseillent d’éviter les rencontres entre amis et en famille, et déclarent qu’« il reste probablement peu de temps pour agir collectivement ».

Certes, là où il y a incertitude médicale, il est prévisible que les scientifiques connaissent des controverses : des controverses scientifiques, où l’interprétation des faits et les théories se confrontent.

Mais ce à quoi nous assistons depuis des mois est loin de n’être que de la controverse scientifique. Il n’y a pas qu’échanges d’arguments rationnels. Les disputes versent dans le registre émotionnel. Des imaginaires collectifs lourds sont convoqués. L’insulte et le mépris fusent. On entend parler de « mensonges sanitaires ». Mensonge : assertion sciemment contraire à la vérité. Déjà dans la semaine du 17 août, les Français lisaient que « nier la reprise de l’épidémie, c’est du négationnisme ». Négationnisme : mot qui caractérise la négation de l’extermination des Juifs par les Nazis. Il est question de « grande peur », de « suicide collectif », d’« aberration épidémiologique », de « brochette d’abrutis », de « guerre », de « bouc émissaire », en commentaires et contre-commentaires de chiffres d’hospitalisés, de morts, de sauvés. La fièvre des controverses est à son comble dans le débat télévisé du 5 octobre sur CNews, où Martin Blachier agonit son interlocuteur, avant de quitter le plateau : « nous au moins on travaille plutôt que de dire n’importe quoi », « vous brassez du vent, c’est insupportable », « ça sert à rien de discuter ». La modératrice du débat, Laurence Ferrari, sort de ses gonds. Sur les réseaux sociaux, où il n’y a pas de modérateur, la parole se lâche sans limite : les uns sont une « kermesse de faux culs qui nous la joue façon les cavaliers d’Offenbach », les autres des « pétochards », quand nous ne sommes pas dirigés par « la même caste politico-administrative depuis Vichy, toujours prompte à restreindre les libertés du peuple ».

Pour le dialogue des diversités

Ce qui nous conduit à la seconde victime des controverses : le dialogue.

Une solution simple est connue, qui, à la fois, laisse toute place aux désaccords, aux écarts, et ménage la possibilité d’une co-élaboration : cela s’appelle le dialogue. Or, le dialogue est précisément ce qui n’existe pas dans notre espace public. C’en est impressionnant. Ce qui occupe tout l’espace public, ce sont des prises de parole séparées, qui ont toute latitude pour s’étaler, mais qui ne rencontrent jamais les prises de parole adverses. Ou si elles se rencontrent, nous avons ce que nous appelons un « débat », qui n’est autre, à nouveau, qu’un collage de prises de paroles monologiques qui ne s’écoutent pas mutuellement, ne se répondent pas, ne cherchent pas la co-construction d’un avis commun sur des questions difficiles. 

Pourquoi aucun dialogue ne peut-il se nouer entre experts, gouvernants, gestionnaires de crise, qui éclaire les citoyens ? Pourquoi est-il impossible d’échapper à des postures fuyant par-dessus tout le dialogue, désignant des adversaires à chaque fois caricaturés, grossis, diabolisés ? Pourquoi une autre mise en scène que la controverse est-elle inimaginable ?

Encourager les controverses, c’est faire toujours plus du même. C’est s’enquiller dans l’accord tacite qu’il n’y aurait pas d’autre choix que la controverse en science et en démocratie. Il serait plus courageux de s’exercer de toute urgence au dialogue des diversités dans l’espace public, pour que les pics de controverses n’en rajoutent pas aux pics de chaleur pour finir de rendre fou le citoyen.

Olivier Fournout est maître de conférence à l’Institut Polytechnique de Paris/Télécom Paris, chercheur à l’Institut Interdisciplinaire de l’Innovation (CNRS) et auteur de La trumpisation du monde, pourquoi le monde adore Trump y compris ceux qui le détestent, Bord de l’Eau, 2020.


[1]    O. Fournout, La trumpisation du monde, pourquoi le monde adore Trump y compris ceux qui le détestent, Bord de l’Eau, 2020.

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