Prix Nobel de chimie : Emmanuelle Charpentier, l’arbre qui cache le désert français...<!-- --> | Atlantico.fr
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Emmanuelle Charpentier prix Nobel de chimie
Emmanuelle Charpentier prix Nobel de chimie
©MIGUEL RIOPA / AFP

France, terre d’impuissance

Le prix Nobel de chimie 2020 a été attribué ce mercredi 7 octobre à la Française Emmanuelle Charpentier et à l’Américaine Jennifer Doudna. Ces deux généticiennes ont mis au point des "ciseaux moléculaires". Cette attribution du prix Nobel de chimie suscite néanmoins des interrogations sur le niveau de la recherche en France.

Yves Roucaute

Yves Roucaute

Yves Roucaute est philosophe, épistémologue et logicien. Professeur des universités, agrégé de philosophie et de sciences politiques, docteur d’État en science politique, docteur en philosophie (épistémologie), conférencier pour de grands groupes sur les nouvelles technologies et les relations internationales, il a été conseiller dans 4 cabinets ministériels, Président du conseil scientifique l’Institut National des Hautes Etudes et de Sécurité, Directeur national de France Télévision et journaliste. 

Il combat pour les droits de l’Homme. Emprisonné à Cuba pour son soutien aux opposants, engagé auprès du Commandant Massoud, seul intellectuel au monde invité avec Alain Madelin à Kaboul par l’Alliance du Nord pour fêter la victoire contre les Talibans, condamné par le Vietnam pour sa défense des bonzes.

Auteur de nombreux ouvrages dont « Le Bel Avenir de l’Humanité » (Calmann-Lévy),  « Éloge du monde de vie à la française » (Contemporary Bookstore), « La Puissance de la Liberté« (PUF),  « La Puissance d’Humanité » (de Guilbert), « La République contre la démocratie » (Plon), les Démagogues (Plon).

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La France vient de recevoir un Prix Nobel de chimie me dit-on. Diantre, « la France » dîtes-vous ? Difficile, je le crains, pour la patrie du coq de chanter d’une ardeur vaillante un cocorico aussi sonore. Chacun peut certes voir une merveilleuse scientifique de nationalité française, Emmanuelle Charpentier célébrée avec sa compère, l’américaine Jennifer Doudna, par une communauté scientifique enthousiaste, avec ce Nobel de chimie, mais où est la France ? Pour avoir écrit Le Bel Avenir de l’Humanité où j’encensais déjà leurs travaux, bravo à ce jury ébloui à son tour devant leur fantastique découverte qui bouleverse totalement notre relation au vivant et annonce un tournant décisif dans la lutte contre les cancers, les maladies génétiques et virales, le vieillissement cellulaire et peut-être la mort même, via l’utilisation de leurs fameux “ciseaux moléculaires”, appelés d’un nom apparemment barbare CRISPR-Cas9, qui permettent d’éditer, de couper, de réparer, d’améliorer même bientôt les gênes. Mais, comme Diogène sorti de son tonneau, j’allume ma lanterne et je cherche en vain la France.

Certes, Emmanuelle Charpentier est bien de nationalité française et elle a étudié en France. Elle a même commencé à travailler à l’Institut Pasteur. Indéniablement, la France a donc nourri sa culture et son imagination créatrice au départ. Hélas ! dès son doctorat soutenu, à 28 ans, comme des milliers de Français créatifs l’avaient déjà fait avant elle, elle doit partir, en 1996 aux USA pour satisfaire sa vocation. Destination : New York. Ainsi commence-telle ses études postdoctorales dans un environnement stimulant où la reconnaissance et la valorisation de soi est la compagne des investissements dans la recherche. Et si après 6 ans dans le bain US, elle retourne en Europe comme Professeur d’université associé, c’est à Vienne et non à Paris, qu’elle débarque. L’Europe d’accord, mais pas n’importe quelle Europe, seulement celle qui donne au savoir et à ceux qui le portent une reconnaissance plus importante qu’aux bateleurs des médias. Et puis elle aspirée par l’Allemagne, et devient Professeur, à Hanovre puis à Berlin, dans le célèbre Institut Max Planck. 

« Professeur docteur » ? Oui, pardon, je sais cela fait tout drôle mais dans ces pays, comme en Chine, au Japon ou aux États--Unis, cela vaut respect, estime et son pesant d’or au lieu du coup du mépris si largement répandu en France où on délivre du « madame ou monsieur » aux Professeurs d’université, préférant garder son estime des titres pour les énarques, les policiers et les footballeurs qui utilisent leur tête pour frapper dans un ballon. Emmanuelle Charpentier conduit donc en Allemagne ses recherches sur les « ciseaux » en partenariat avec Jennifer Doudna, de l’université Berkeley de Californie... Oui, je sais, voilà encore un truc étonnant dans l’ambiance française actuelle : ces recherches sont un effet de la mondialisation qui a si mauvaise presse, la mondialisation des savoirs. Et il y a pire : aux États-Unis et en Allemagne les deux formidables compères doivent leur succès à la possibilité tout à fait politiquement incorrecte de créer des entreprises à partir de leurs recherche grâce à des fonds privés tout en restant à l’université. Incroyable ! Des fonds privés qui viennent en masse dans une entreprise privée pour soutenir la recherche et l’idée que des profits pourraient en être issus en cas de succès.

On pourrait donc s’étonner de ce que Emmanuelle Charpentier soit Grand Officier de l’Ordre du Mérite... mais rassurez-vous, c’est l’Ordre du Mérite de la République fédérale d’Allemagne... il n’y a pas d’erreur... Elle est aussi docteur Honoris Causa de Louvain, d’Umea, de Leuven, de l’École Polytechnique de Lausanne… En France ? Non, pas assez méritante. Elle a aussi reçu une vingtaine de prix, Janssen pour la Recherche biomédicale, Prix Tang, Prix Göran Guftassson pour la biologie moléculaire, Médaille Wilhelm Exner, Prix Gabbay, Médaille Carus, Prix Princesse des Asturies, Prix Göran Guftassson pour la biologie molcéulaire, Prix Louis-Jeantet (Suisse), Prix Gruber pour la Gééntique, Breakthrough Prize, Prix Massry, prix scientifique de Basse-Saxe, Ernst-Jung Prieze, Prix gottfried-Wilhelm-Leibnitz (si cher à mon cœur), Prix japonais, Prix Harvey, Prix wolf de médecine… j’en passe… En France ? Pas vu, pas pris…

Le temps est peut-être venu pour la France d’entrer de plein pied dans le monde contemporain. Car, hors les fantasmes populistes et nationalistes, la France c’est seulement 4,2% des biotechnologies dans le monde et 0,9% de leur capitalisation mondiale. À la 13ème place ! Avec tous ceux qui aiment la France vraiment, et non avec ces démagogues qui feignent de l’aimer, espérons que la France, incapable d’assurer un rôle majeur dans les biotechnologies, les nanotechnologies, l’Intelligence artificielle, la robotique, les ordinateurs quantiques, les moteurs de recherche, les réseaux sociaux... alors qu’elle a initié tant de chercheurs qui ont abouti... aux États-Unis, en Allemagne ou en Suisse, retrouve le chemin de la raison. 

Au lieu de voir certains de ses plus brillants enfants trouver celui des cafés de San Francisco où j’ai pu constater que l’on parlait plus français, et souvent mieux, que dans certains quartiers de nos périphéries, espérons que ce prix Nobel réveille notre pays trop endormi. Un pays si bureaucratique qu’il freine les énergies, alourdit les entreprises innovantes et est incapable de donner les conditions aux investissements massifs de se porter vers les nouvelles technologies. Un pays gangréné par les idéologues de l’EELV, ennemis du progrés et idolâtres de la planète, par ceux du RN, fossoyeurs de la puissance avec leur refus de l'ouverture mondialisée, sans même évoquer ces faiseurs de pessimisme et de défaitisme qui pullulent dans cette basse-cour médiatique où penser est confondu avec pérorer, et qui ânonnent des versets anti musulmans dans la confusion orchestrée de l’islam et de cet islamisme qui, seul, viole les valeurs de la nation civique construite depuis plus de mille ans.

Sinon, faute de continuer à saisir que puissance rime avec science et croissance, comme le rappelle l’Allemagne par l’Institut Max Planck, la France deviendra une province reculée et arriérée des États-Unis, un pâle souvenir dans la mémoire, un lieu néanmoins charmant et pittoresque où, comme à Délos, en Grèce, le voyageur pourra se balader au milieu des vestiges d’une splendeur passée...

Yves Roucaut est Philosophe, auteur de « Le Bel Avenir de l’Humanité » (Calmann-Lévy) et de « L’Homo creator face à une Planète Impitoyable » (Contemporary Bookstore).

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