Suez – Veolia : le mythe toxique du "champion national"<!-- --> | Atlantico.fr
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Suez Veolia
Suez Veolia
©ERIC PIERMONT / AFP

Projet de fusion

Veolia, poids lourd de l’industrie écologique, aimerait absorber l’un de ses principaux concurrents, qui est aussi français : Suez, en plaidant pour la création d’un « champion national ». Bercy, selon sa doctrine habituelle du capitalisme de connivence, pourrait bien prêter une main très active à cette réduction de la concurrence. Sommes-nous sûrs que la cartellisation voire le monopole seront positifs pour la planète ?

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe

Éric Verhaeghe est le fondateur du cabinet Parménide et président de Triapalio. Il est l'auteur de Faut-il quitter la France ? (Jacob-Duvernet, avril 2012). Son site : www.eric-verhaeghe.fr Il vient de créer un nouveau site : www.lecourrierdesstrateges.fr
 

Diplômé de l'Ena (promotion Copernic) et titulaire d'une maîtrise de philosophie et d'un Dea d'histoire à l'université Paris-I, il est né à Liège en 1968.

 

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De l’absorption annoncée de Suez par Véolia, qui fait les choux gras de la presse économique depuis plusieurs semaines, on retiendra qu’elle interroge sur les bienfaits du cartel ou du monopole pour le sauvetage de la planète, devenu le fil de rouge de toute politique industrielle dans l’esprit commun. L’écologie sera-t-elle mieux défendue si les déchets sont valorisés par un seul acteur, ou par deux, ou par plusieurs ? Si le marché est dominé par une entreprise en position de dicter sa loi ou s’il donne lieu à une véritable concurrence ?

Suez bientôt victime de l’aversion énarchique à la concurrence ?

Suez est au moins fixé sur la position de Bercy, de Bruno Le Maire et de l’énarchie, dans ce domaine. C’est une position sans surprise : le monopole vaut mieux que la libre concurrence. Même si Bruno Le Maire a annoncé sa neutralité sur le dossier, on a perçu l’orientation générale de Bercy. Donc, pour permettre à Véolia d’absorber Suez, l’État céderait très volontiers ses parts dans Suez à Véolia. Ainsi, Le Canard enchainé relève qu’Antoine Frérot, le patron de Véolia, aurait écrit à Emmanuel Macron que « cette opération est bonne pour l’environnement et bonne pour la France ». Si le président ne lui a pas répondu formellement, il a chargé son Premier ministre, Jean Castex, de déclarer que ce mariage ferait « sens ».

En l’espèce, par l’intermédiaire d’Engie, le contribuable français détient un tiers (32 %) du capital d’une entreprise dont le principal métier est d’apporter l’eau courante dans des communes, et de traiter les déchets. Pour Bercy, la cession de ces parts, qui valent plusieurs milliards, mettrait un peu de beurre dans les épinards d’un budget très compliqué à bâtir.

De gré à gré, donc, l’État pourrait vendre une partie de son patrimoine à un acteur du marché qui deviendrait ainsi un « champion national », puisqu’il entrerait dans le capital de son principal concurrent, avant de l’absorber complètement.  Ah ! la théorie du champion national qu’on crée en assemblant laborieusement plusieurs entreprises concurrentes supposées fusionner dans un grand tout doté de la « taille critique » pour affronter la concurrence mondiale…

On connaît par cœur cette vision dominante dans l’énarchie et dans la technostructure d’État selon laquelle la taille est garante de l’efficacité et de la compétitivité. On ne découvre plus la théorie, on en attend toujours la preuve : car dans le domaine de l’environnement comme sur les autres marchés, la taille d’une entreprise est de moins en moins un atout décisif, voire même un handicap sur le terrain de l’innovation et de la réactivité. L’exemple de la fusion ratée entre Lafarge et Holcim est en cela édifiant. Pourquoi la France s’entête-t-elle donc à mettre sur pied des « champions nationaux » ? Nostalgie gaullienne, probablement, mais aussi piste d’atterrissage idéale pour grands fonctionnaires en quête de parachutage. Rien de tel qu’un « champion national » pour assurer une carrière confortable, prestigieuse et sans risque à l’énarchie.

Le triomphe du capitalisme de connivence

En effet, sur cet arrière-fond idéologique très colbertiste selon lequel un grand acteur monopolistique vaut mieux que deux acteurs en concurrence, l’État déploie la comédie très française du capitalisme de connivence. En l’espèce, il s’agit de confier à quelques hauts fonctionnaires les rênes de grandes entreprises souvent créées il y a plusieurs dizaines d’années, et de les laisser jouer avec les millions et les actions comme des enfants dans une cour de récréation.

Suez et Engie font partie de ce terrain de jeu où les participations de l’État s’échangent comme des cartes de Pokémon dans une classe de cinquième. Et sans grande surprise, ce sont les mêmes acteurs, les mêmes noms, qu’on retrouve aux commandes.

Comme l’a indiqué Mediapart, l’ancien directeur de l’Agence des participations de l’État (APE), David Azéma, a probablement chapeauté une première privatisation de GDF Suez en 2014. L’intéressé nie avoir été actif dans cette opération, mais il était en tout cas en responsabilité à Bercy lorsqu’elle a eu lieu, avec l’aide de Bank of America Merrill Lynch… dont il est devenu salarié quelques jours plus tard. Et comme Mediapart le note toujours, ce recrutement d’un haut fonctionnaire chargé des participations de l’État par une banque à qui il a attribué un marché (hors procédure, semble-t-il) s’est fait sans que la commission de déontologie ne soit clairement informée du conflit d’intérêts qui le sous-tendait.

Comme par hasard, David Azéma conseille aujourd’hui Véolia dans le rachat de Suez. Ce retour aux sources ne manque pas de piquant, si l’on se souvient que le même David Azéma fut soupçonné, en 2014, de vouloir prendre la place d’Antoine Frérot à la tête de Véolia… Cette récurrence prouve qu’Antoine Frérot n’est pas rancunier. Elle montre aussi l’étroite imbrication, dans le capitalisme français, entre les carrières personnelles des hauts fonctionnaires et l’intérêt général.

La connivence fait-elle une stratégie industrielle ?

Toute la question est évidemment de savoir si cette confusion des rôles et des genres entre les convictions personnelles de hauts fonctionnaires qui se font recruter dans le secteur privé et les stratégies de l’État qu’ils sont un jour chargés de déployer suffit à faire une stratégie industrielle pour ce pays ? Si l’on en juge par la désindustrialisation accélérée de la France depuis les années 80, le citoyen a tout de même tout lieu de penser que les échanges de carte Pokémon dans les couloirs de Bercy et l’édification des champions nationaux ne sont pas une réussite foudroyante.

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