Tenue libre exigée : les dangereuses impasses du néo-féminisme<!-- --> | Atlantico.fr
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©DR / Alys Tomlinson / Getty Images

Mais qui sont ces hommes qu’un nombril déchaîne(rait) ?

Dans le cadre des débats sur la "tenue républicaine" à l'école, le maire EELV de Grenoble, Eric Piolle a précisé sur BFMTV et RMC que "le problème" était "le regard des hommes (...) pas le nombril des filles". De nombreuses injonctions contradictoires s'immiscent dans ce débat. Assiste-t-on à une profonde transformation culturelle ?

Peggy Sastre

Peggy Sastre

Peggy Sastre est écrivaine et traductrice. Elle est l'auteure de "Ex Utero : pour en finir avec le féminisme" et de "La domination masculine n'existe pas".

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Laurence Sailliet

Laurence Sailliet

Laurence Sailliet est députée européenne Les Républicains et membre du groupe du Parti populaire européen.

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Atlantico.fr : Eric Piolle a expliqué que le problème au niveau du port de telle ou telle tenue pour les jeunes femmes se situait avant tout dans le regard des hommes. Si l'on suit ce raisonnement, c’est à se demander 50 ans après mai 68 ce qu’est devenue l'éducation des garçons ?

Laurence Sailliet : Ce débat est invraisemblable et inquiétant. Discuter de la tenue des femmes et remettre ainsi en cause leur liberté est inadmissible. Quant aux regards des hommes, lorsque l’on est équilibré et éduqué, la tenue d’une femme quelle qu’elle soit ne doit pas être un problème. Attention à ne pas dériver vers une pudeur qui serait imposée par certains courants religieux.

Peggy Sastre : Le problème de l'éducation des jeunes femmes est, à mon sens, un peu trop vite balayé. Croire que l'on peut exhiber ses caractères sexuels secondaires sans susciter ce pour quoi ces caractères ont été façonnés au cours de l'évolution, à savoir attirer une attention sexuelle, est au mieux naïf, au pire irresponsable. Ici, je ne blâme pas tant les jeunes filles et femmes qui pensent qu'une telle tenue est anodine, mais des décennies de féminisme culturaliste qui leur a appris soit à ignorer ce que la biologie peut dire de nos comportements, soit à sciemment le nier, voire le combattre en pensant, à tort, que nous ne serions pas des animaux, que nous serions, par une sorte de miracle, épargnés par tout ce qui se passe dans le reste du vivant. En grande partie, ce que l'on nomme la civilisation traduit une atténuation, une domestication de notre « animalité », sauf que la coincer dans un angle mort est le meilleur moyen pour qu'elle nous roule dessus. La biologiste Heather Heying parle de « féminité toxique » qu'elle définit en ces termes : « Les jeunes femmes ont un énorme pouvoir sexuel. Toute personne honnête avec elle-même le sait : les femmes dans leur primeur sexuelle et correspondant aux normes esthétiques de leur culture ont un pouvoir sans pareil. Qu'elles ne sachent pas le gérer, rien n'est moins sûr. La féminité toxique est un abus de ce pouvoir qui consiste à maximiser sa désirabilité et à réclamer un statut de victime lorsque des hommes hétérosexuels ne vous traitent pas en égales. » On ne peut donc pas demander aux hommes, d'autant plus s'ils sont jeunes, d'être les seuls à se domestiquer, cela générera forcément de la frustration et du ressentiment. Il s'agit en outre d'une des impasses les plus fondamentales du mouvement de libération sexuelle des années 1960 : croire que l'on pouvait libérer le sexe sans se libérer du sexe, c'est-à-dire faire en sorte qu'il ait le moins d'impact négatif possible dans notre vie sociale. Ce qui exige de neutraliser sexuellement l'espace public, pas de le plier aux exigences, aux stratégies d'un sexe, en l’occurrence le féminin. Ici, on ne fait que remplacer une ancienne oppression par une nouvelle, une ancienne inégalité par une nouvelle – et on ouvre la voie, au minimum, à une nouvelle ségrégation.

En même temps qu’est prônée la « tenue républicaine » par le ministre de l'Education Nationale, jamais les jeunes n’ont autant été en contact, non seulement avec le porno via Internet mais aussi à une mode pour le moins « libérée » et  archi relayée sur les réseaux sociaux grâce notamment aux influenceurs. On se perd en injonctions contradictoires ?

Laurence Sailliet : Les sujets sont différents. Il est normal d’une part d’imposer une tenue « correcte » aux élèves, ce qu’entendait certainement le Ministre en parlant de « républicaine ». L’école est un sanctuaire où le respect des règles et de l’autre est une valeur cardinale. D’autre part, que la mode mette en avant des tenues « libérées » pourquoi pas. A d’autres époques, les femmes s’habillaient très court et avec un décolleté ce qui était surtout un symbole de liberté. En dehors de l’école, je ne vois pas pourquoi on restreindrait cela. Concernant le porno, évidemment qu’il faut mieux protéger nos jeunes et ceci passe aussi par de la pédagogie. 

Peggy Sastre : Plusieurs indicateurs permettent de relativiser ce qui m'apparaît comme une panique morale. Le premier, c'est que les jeunes ont beau censément être bombardés de contenus sexuels, l'âge des premiers rapports ne baisse pas de manière significative, et ça que celui de la puberté a tendance à avancer depuis déjà plusieurs années, en particulier chez les filles. Un autre, c'est que les violences sexuelles continuent à baisser, même si la focalisation médiatique peut laisser entendre le contraire. Un troisième, c'est que les jeunes générations actuelles sont les moins sexuellement actives depuis bien longtemps. Selon une conséquente étude menée aux États-Unis sur près de 27.000 personnes entre 1989 et 2014, la baisse de la fréquence des rapports sexuels chez les millenials – les individus nés entre 1980 et 2000 – éclate même tous les scores depuis un siècle. Qu'elles en sont les causes ? Est-ce que la sexualisation du quotidien que vous mentionnez induit une sorte d'épuisement de la libido ? C'est possible, mais dans tous les cas, l'idée qu'un « bombardement » de contenus sexuels se traduirait par une explosion des conduites sexuelles à risque chez les jeunes n'est pas étayée factuellement. Sans compter qu'à titre personnel, les vingtenaires que je peux fréquenter me semblent comme étonnamment prudes, si ce n'est puritains.

La posture des hommes aussi pose question dans ce contexte. C’est une profonde transformation culturelle ? La France est elle particulièrement touchée par ce phénomène ?

Laurence Sailliet : La très grande majorité des hommes est restée sur la même ligne, celle du respect des femmes et de leur liberté. Seule une minorité, par idéologie, a varié. C’est pourquoi surtout ne tombons pas dans le piège qui consisterait à laisser penser qu’il s’agit d’une profonde transformation. Ne remettons pas en cause ce que les femmes ont durement acquis. Ne laissons pas ces théories nauséabondes détruire les piliers essentiels de notre République que sont la liberté et l’égalité.

Peggy Sastre : Je ne pense pas. Si on ne dispose pas de statistiques précises remontant à très loin, tout porte à croire que les violences sexuelles dans l'espace public – ce qu'on peut attribuer à des hommes qui ne s'empêchent pas – ont fortement diminué non seulement ces dernières années, mais aussi ces derniers siècles. Certes, un biais important est que la présence des femmes dans l'espace public a longtemps été contrôlé, si ce n'est régenté, et que les femmes qui avaient le plus de chances de s'y trouver avaient, par ailleurs, davantage de risque que les autres d'être victimes de violences sexuelles – je rappelle que l'un des premiers facteurs de risque de violences sexuelles est la sociosexualité, c'est-à-dire grosso modo votre degré de libéralisme sexuel : plus vous êtes ouverts, plus vous êtes susceptible d'être à la fois auteur et victime de violences sexuelles. Mais avec l'arrivée en masse des femmes dans l'espace public, ces violences auraient du logiquement augmenter, pas diminuer. Donc si « transformation culturelle » il y a, elle va dans le sens d'une atténuation des comportements masculins posant problème. Ce qui ne veut évidemment pas dire que tout va pour le mieux.    

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