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Daech est toujours à l'offensive
©REUTERS/Stringer

Nouvelle stratégie ?

L'Etat islamique s'est réorganisé. L'arrivée du coronavirus a également profité à Daech.

Alain Rodier

Alain Rodier

Alain Rodier, ancien officier supérieur au sein des services de renseignement français, est directeur adjoint du Centre français de recherche sur le renseignement (CF2R). Il est particulièrement chargé de suivre le terrorisme d’origine islamique et la criminalité organisée.

Son dernier livre : Face à face Téhéran - Riyad. Vers la guerre ?, Histoire et collections, 2018.

 

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Selon le think tank « Center for Global Security », en juillet 2016 Daech avait détaillé son organisation globale. Le califat autoproclamé comportait alors 35 provinces (wilayat) dont 19 en Syrie et en Irak, le berceau du mouvement. Le « gouvernement » comportait 14 « ministères » (diwans) et cinq « départements ». Une administration très tatillonne pouvant être comparée à une organisation « à la soviétique » encadrait le fonctionnement des provinces sous la houlette d’un gouverneur (wali) qui bénéficiait de beaucoup de pouvoirs en matière de police (dont une police des mœurs avec une section féminine), de justice, de santé, d’éducation, de finances, de gestion du quotidien, etc. Daech avait alors trois « armées » qui étaient au total fortes de 36.000 combattants.

Quelques 43 de ses dirigeants connus ont été neutralisé en 2017-2019 dont son calife, Abou Bakr al-Baghdadi tué dans la nuit du 26 au 27 octobre 2019 lors d’un raid des forces spéciales américaines sur le village de Baricha dans la province d’Idlib en Syrie à cinq kilomètres de la frontière turque(1). 79 cadres intermédiaires et des centaines d’activistes auraient été neutralisés durant la même période. Le 23 mars 2019 après la prise du dernier réduit de Baghouz, la guerre contre Daech a été déclarée « gagnée ». Si le proto-État a effectivement disparu dans son mode de fonctionnement, les jihadistes se sont éparpillés dans la nature selon le principe de la boule de mercure (qui éclate en des milliers de gouttelettes quand elle tombe sur le sol). Selon les plans établis bien à l’avance, Daech a effectué son « retour au désert » (en référence à celui de Mahomet quand il a été obligé de s’enfuir de la Mecque - l’Hégire -) en se réorganisant en cellules autonomes.

Le nouveau calife désigné officiellement le 31 octobre 2019 serait Ameer Muhammed Saeed al-Salbi al-Mawla alias Abou Ibrahim al-Hashimi al-Qurashi, un ancien chef régional irakien de l’Émirat Islamique d’Irak (EII, qui a précédé Daech) dans la province de Tal Afar en Irak du Nord-Ouest. Une polémique perdure sur le fait qu’il ne peut être comme il prétend un « descendant » du prophète Mahomet car il serait d’origine turkmène. Si ce fait était établi, sa position de chef religieux du « califat » pourrait être remise en cause(2).

La réorganisation de Daech

Daech aurait aujourd’hui un conseil consultatif (Choura) de cinq membres conduits par un des frères d’al-Baghdadi, Hajji Juma Awad al-Badri, et un « comité délégué » (l’organe de commandement le plus important) également composé de cinq membres présidé par Sami Jasim Muhammad al-Jaburi alias Hajji Hamid, un ancien « ministre des finances » du proto-État Islamique. Chaque membre de ce comité a en charge un « portefeuille », sécurité, infrastructures, affaires religieuses, propagande et finances. La principale différence avec l’organisation précédente est que le « comité délégué », étant donné l’éclatement de Daech et la difficulté à communiquer directement, a transféré encore plus de taches à des échelons décentralisés qui opèrent de manière très autonome et qui s’autofinancent(3).

Mais il y aurait cinq ministères et un département (chargé des rapports logistiques avec les wilayat isolées) et six wilayat : al-Cham (pour la Syrie), al-Irak, Khorasan (Afghanistan, Pakistan, Inde, Sri Lanka, Maldives,), Asie de l’Est (Indonésie, Philippines, Malaisie, Cambodge), on ne sait pas dans quelle wilayat se trouve le Bangladesh), Tadjikistan et Sinaï.

Cependant, il a été constaté que 23 groupes qui ont gardé l’appellation de « wilayat » avaient fait allégeance au nouveau calife en décembre 2019. Cela s’explique par le fait que, si des groupes - parfois peu importants en nombre d’activistes - se revendiquent de Daech en se donnant l’appellation de « wilayat », encore faut-il que le Calife « accepte » cette allégeance en bonne et due forme.

De plus, si le commandement de Daech a effectivement désigné six wilayat en juillet 2018, il se pose la question du continent Africain en dehors de la wilayat officielle Somalie. En effet, il existe « l’Émirat Islamique du Grand Sahara » qui aurait été absorbé par l’Émirat islamique pour l’Afrique de l’Ouest qui est basé sur une faction dissidente de Boko Haram (dont le chef historique Abubakar Shekau prétend toujours appartenir au mouvement salafiste-jihadiste tout en en ayant été exclu). Ensuite, il y a la wilayat d’Afrique centrale qui couvre deux pays, la République Démocratique du Congo (et une partie de l’Ouest Ougandais) et le Mozambique où Daech se serait emparé d’une partie nord du pays sans que les forces régulières pourtant épaulées par les services d’Afrique du Sud et la société militaire privée Wagner ne parviennent à reprendre du terrain. Si l’on en croit les déclarations officielles, ces « wilayat » pourtant extrêmement actives. Selon le Pentagone, 7% d’augmentation des opérations offensives au Sahel depuis 2017 avec un bémol : à qui les attribuer, à Daech ou à Al-Qaida sachant que des actions sont parfois revendiquées par les deux parties ?

L’arrivée du coronavirus a profité à Daech

Dans les pays occidentaux, la pandémie du coronavirus a provoqué une diminution de la pression antiterroriste exercée par les forces de sécurité détournées de leur mission première. Mais surtout cela a donné de nouveaux arguments aux salafistes-jihadistes pour recruter de nouveaux activistes. La pandémie a en effet - comme cela était prévisible - été décrite comme une « punition divine » frappant les « infidèles » occidentaux, les « adorateurs des idoles » et les « traîtres à l’Islam ». Au printemps 2020, il y a été constaté une considérable augmentation des appels à se tourner vers l’islam et à rejoindre des théâtres de guerre car, bien sûr, les membres de Daech qui détiennent la « vraie foi » ne peuvent être atteints par le coronavirus. Mais comme les voyages transnationaux sont aujourd’hui plus rares et surveillés, les adeptes sont appelés à passer à l’action là où ils se trouvent. De plus, les productions de Daech à travers ses différents « organes de presse », font toujours dans l’horreur absolue expliquant par exemple différentes techniques de décapitation. Comme d’habitude, Daech ne cherche pas à « gagner les cœurs et les esprits » mais à terroriser. C’est d’ailleurs aussi un de ses moyens de recrutement car la bestialité prônée attire de nouveaux adeptes en mal de reconnaissance, fusse par la terreur.

Daech est repassé à l’offensive

En 2019, Daech a perpétré ou inspiré des centaines d’attaque de par le monde. Elles se sont particulièrement multipliées au Nigeria, au Mali, au Burkina Faso et en Algérie. En décembre, au moins 60 attaques ont eu lieu dans le cadre de l’« opération vengeance » en l’honneur du « martyre » en 2019 d’Abou Bakr al Baghdadi et du porte-parole Abou Hassan Muhajir (ce dernier ayant été remplacé par Abou Hamza al-Quraychi). Ces opérations ont clairement démontré que l’organisation s’était remise en ordre de bataille et relançait ses actions offensives de type guérilla.

Les estimations pour le théâtre syro-irakien sont actuellement de 4.000 combattants actifs et de 8.000 « en réserve ».

En Irak, Daech a profité de la baisse des activités des forces de sécurité locales et du retrait partiel des Américains et de ses alliés pour relancer ses attaques en particulier dans les province de Kirkouk, Diyala et Saladin. Daech a affirmé avoir mené en mai 226 attaques ayant tué ou blessé 426 personnes. Son objectif en Irak comme en Syrie ne consiste pas à affronter directement les forces régulières (Kurdes y compris) mais de créer un climat permanent d’insécurité de manière à ce que les populations ne se rangent pas derrière les autorités locales ou supérieures. Cela se traduit par des attaques de villages, des embuscades, des coups de main de type hit and run. Les premières victimes sont les responsables locaux, maires, chefs de tribus, miliciens, fonctionnaires de terrain Une particularité toutefois, Daech se livrerait à l’incendie des récoltes pour rendre les populations plus soumises. Pour les chefs de Daech, il faut impérativement que les populations les reconnaissent comme leur seule autorité, même si elle n’est pas permanente.

En Syrie, Daech est très actif dans la vallée de l’Euphrate, particulièrement dans les régions de Raqqa, Deir ez-Zor et Mayadin, et au sud dans la région de Hauran. Sa stratégie est la même qu’en Irak : maintenir un climat d’insécurité permanent.

Par contre, dans ces deux pays, l’utilisation de commandos-suicide a considérablement diminué car la vie des activistes est devenue plus précieuse sur le plan tactique, ce qui laisse à penser que Daech bénéficie de moins de ressources humaines que par le passé et qu’un combattant aguerri est une valeur à préserver.

En Afghanistan, c’est l’inverse, les kamikazes sont employés dans de nombreuses opérations-suicide comme en mars contre un temple Sikh à Kaboul (25 tués), un attentat en mai lors d’une cérémonie d’obsèques dans la province du Nangarhar (32 tués), l’attaque d’un hôpital de Kaboul en mai (24 tués) ou de la prison de Jalalabad (30 tués, plus de 270 prisonniers toujours dans la nature). Cela s’explique par le fait que Daech en Afghanistan est en « compétions » avec les taliban qui sont alliés à Al-Qaida « canal historique ». Il s’agit donc de tenir le devant de la scène médiatique mais pas encore le terrain déjà partagé entre les forces gouvernementales et les taliban (environ 50/50%). Il faut à tous prix que les négociations engagées par Kaboul sous l’égide de Washington avec les taliban « modérés » capotent. C’est donc actuellement l’objectif local de Daech qui tente de rallier sous sa bannière ceux qui sont hostiles à ce processus de paix.

Une des wilayat les plus offensive est celle du Sinaï qui, non contente de semer la terreur - même de jour - au nord se rapproche de plus en plus de la vallée du Nil.

Excepté en Extrême-Orient et particulièrement aux Philippines sur ses îles situées au sud (mer de Sulu ou de Jolo), Daech semble être moins à l’offensive. Il convient de rappeler que partout, Daech est en guerre contre les autorités mais aussi contre Al-Qaida « canal historique » ce qui lui pose de graves problèmes comme en Afghanistan, en Somalie (où les Shebabs tiennent le haut du pavé), en Libye et maintenant au Sahel (qui a constitué une exception jusqu’à la fin 2019(4)). Sachant que ses activistes sont majoritairement des transfuges locaux de la nébuleuse, Daech a besoin de succès sur le terrain pour attirer vers lui des volontaires séduits par les victoires remportées. Daech recrute également beaucoup dans la jeunesse miséreuse qui trouve là un moyen d’exprimer sa révolte contre sa situation désastreuse.

Enfin, l’Occident n’est pas oublié mais le combat se déroule désormais principalement sur les zones décrites précédemment. Les difficultés pour se déplacer empêchent l’arrivée de « commandos ». Cela dit, en France 40 condamnés pour terrorisme ont été libérés en 2019. 60 devraient l’être en 2020, et ce sans compter sur les « initiatives individuelles » qui peuvent être prises à tout moment par des individus en mal de martyre. Selon Jean-François Ricard, le chef du Parquet National antiterroriste, plus d’une demi-douzaine d’attentats ont été déjoués ces derniers mois. La période du procès des attentats de 2015 risque d’être propice à des déchaînements de violence qui pourraient accompagner la catastrophe socio-économique que va connaître le pays. Le problème, c’est que la seule option « révolutionnaire » aujourd’hui est le salafisme-jihadisme aussi représenté par Al-Qaida « canal historique » responsable des assassinats de Charlie Hebdo de janvier 2015(6). Certains responsables politiques semblent l’avoir compris et emboîtent le pas sans se rendre bien compte qu’ils en seront les deuxièmes victimes(5) car les athées sont considérés par les salafistes comme des démons à éliminer.

1.Pourchassé, il s’était replié secrètement dans une zone non contrôlée par son mouvement. La proximité de la frontière turque pose des questions quant au rôle joué par les services d’Ankara à l’égard d’Al-Baghdadi. Ce qui peut être avancé, c’est qu’au minimum, ils se doutaient de sa présence. L’ont-ils aidé ou, au contraire, l’ont-ils vendu aux Américains, cela reste un mystère.

2.L’émir de Daech est simultanément le chef religieux, politique et militaire à la différence d’Ayman al-Zawahiri qui reconnaît comme autorité religieuse le chef des taliban afghans.

3.En ce qui concerne des organisations clandestines (comme Daech), il convient d’être très prudent avec les chiffres dont celui des financements pour une simple raison : ils sont secrets et sujet permanence à désinformation de toutes parts. Une seule certitude, le terrorisme est un moyen de combat qui ne coûte pas très cher.

4.Où l’État Islamique dans le Grand Sahara dirigé par Adana Abou Walid al-Sahraroui (qui est rattaché ? à la « wilayat » ? pour l’Afrique de l’Ouest) se retrouve désormais en lutte ouverte avec le Groupe de soutien à l’Islam et aux musulmans d’Iyad Ag Ghali « subordonné » à Al-Qaida au Maghreb Islamique dont le chef Abdelmalek Droukdel a été neutralisé par l’armée française en juin 2020.

5.Les premières vont être les citoyens pris au hasard et qui n’ont rien demandé à personne.

6. Al-Qaida est toujours aussi redoutable mais son intérêt actuel n’est pas d’attaquer frontalement l’Occident (en dehors des États-Unis qui restent une de ses obsessions).

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