Les Occidentaux continuent à acheter des produits venus de loin, la classe moyenne chinoise elle ne dépense plus à l’étranger<!-- --> | Atlantico.fr
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Chine Pékin consommation consommateurs marché intérieur mall achats économie coronavirus covid-19
Chine Pékin consommation consommateurs marché intérieur mall achats économie coronavirus covid-19
©NICOLAS ASFOURI / AFP

Circuits courts ? Chine 1, Occident 0

La consommation en Europe a été fortement impactée lors de la pandémie de Covid-19. Les Chinois, touchés les premiers par le virus, se sont tournés vers leur marché intérieur. Avons-nous la capacité en Europe de consommer uniquement sur le marché européen ?

Michel Ruimy

Michel Ruimy

Michel Ruimy est professeur affilié à l’ESCP, où il enseigne les principes de l’économie monétaire et les caractéristiques fondamentales des marchés de capitaux.

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Atlantico.fr : Comment la consommation européenne a-t-elle évolué au cours du confinement ?

Michel Ruimy : À ce jour, nous n’avons pas encore de chiffres agrégés concernant la demande européenne. Mais il semble, à grandes mailles, que de nouvelles formes de consommation soient apparues pendant le confinement : renforcement du commerce local, des biens « bio », de l’e-commerce alimentaire… Cette tendance va-t-elle se poursuivre durablement après ? L’évolution de nos pratiques de consommation pendant le confinement marque-t-elle une révolution durable nous transformant en acteurs plus conscients et avisés de notre consommation ? 

Ces questions trouveront leurs réponses avec l’évolution de la crise sanitaire. Les crises, comme celles de la pandémie du coronavirus, sont des amplificateurs, des accélérateurs et des révélateurs de tendances préexistantes. En ce sens, elles introduisent bien des modifications durables, allant parfois jusqu’à redistribuer les cartes voire modifier les hiérarchies entre les entreprises. Elles contribuent sans doute aussi à nous rendre davantage « acteurs » et pleinement conscients des enjeux de nos modes de consommation.

Cette modification du modèle traditionnel de consommation ne date pas du confinement mais était déjà à l’œuvre. L’essor des circuits-courts ne date pas de la crise sanitaire mais lui est bien antérieur et repose sur de profondes évolutions socio-culturelles induites notamment par la montée des préoccupations environnementales. Le recul de la part des hypermarchés dans le commerce de détail est, lui aussi, antérieur à la crise. Enfin, le renforcement du commerce en ligne est également une tendance ancienne. Certains consommateurs qui n’utilisaient pas l’internet pour leurs achats du quotidien auront, peut-être, pris de nouvelles habitudes pendant le confinement, et seront durablement convertis pour une partie de leurs achats. En France, la livraison à domicile de produits bio, de produits frais issus de circuits courts devrait bénéficier de la crise actuelle pour capter de nouveaux adeptes. 

Comment expliquer que la consommation chinoise se soit orientée vers son marché intérieur ?

L'année dernière, près de 170 millions de Chinois ont effectué des voyages internationaux. Mais, aujourd’hui, la situation a changé : beaucoup d’entre eux retardent voire annulent leurs voyages à l’étranger car, outre la crise sanitaire, la géopolitique est entrée en jeu. Par exemple, jusqu’à récemment, les destinations principales des étudiants chinois étaient les États-Unis, l’Australie et le Royaume-Uni. Or, leurs familles préfèrent actuellement les « petits marchés » de l’éducation comme Singapour, le Japon et l’Allemagne. La raison ? Il ne fait aucun doute que Pékin n’a fait qu’ajouter de l’huile sur le feu notamment en exhortant ses citoyens à ne pas visiter l’Australie, en invoquant le développement d’un sentiment antichinois. 

Dans ce contexte, les consommateurs locaux préfèrent se tourner vers le marché domestique. Ce nouveau regard se répercute sur de nombreux postes de dépenses des ménages (hausse des ventes d’appareils électroménagers, téléphones portables, gadgets domestiques…), donnant un avantage certains aux marques nationales et rendant le pays encore plus protectionniste qu’auparavant.

De plus, les perturbations de la chaîne d’approvisionnement mondiale, qui ont débuté il y a deux ans avec les tensions commerciales avec les États-Unis, avaient déjà poussé les acteurs locaux à s’approprier les parts de marché laissées vacantes. Aujourd’hui, la forte demande des consommateurs, déclenchée autant par peur que par patriotisme, renforce ce positionnement.

Cette situation bénéficie aux entreprises chinoises, notamment celles du secteur de la consommation de base, qui ont enregistré, cette année, une hausse du cours de leurs actions de près de 40%. C’est aussi une nouvelle encore plus importante pour un président qui recherche à développer la consommation domestique. Les consommateurs, en revanche, sont des « laissés pour compte », étant encore plus isolés des marques internationales qu’auparavant.

Sommes-nous capables en Europe de consommer uniquement sur notre marché européen ? Notre marché devrait-il tendre dans cette direction ?

L’épidémie de la Covid-19 a mis en évidence la dépendance et la vulnérabilité de la France et de l’Europe à l’égard de quelques pays lointains concentrant la production, fonctionnant à flux tendus, et où les produits parcourent des distances très importantes. Il s’agit notamment de la Chine et de l’Inde en matière de produits pharmaceutiques.

La situation n’est pas nouvelle. Elle était connue depuis plusieurs années. Dans l’industrie du médicament, elle s’est manifestée concrètement par une augmentation importante des pénuries de certaines molécules. La problématique des ruptures de chaînes d’approvisionnement n’est pas nouvelle non plus. La distance allonge les délais de livraison et rend la chaîne d’approvisionnement plus sensible aux mesures protectionnistes. À cet égard, des recompositions de chaînes d’approvisionnement sur des bases régionales ont été observées dès les années 2010, pas forcément sur une base nationale, mais de proximité. 

Mais, la « nouvelle » question qu’on découvre est celle, pour chaque pays, de la résilience du système productif. La vulnérabilité exprime l’exposition à un aléa, qui, en l’espèce, est sanitaire, mais qui pourrait aussi être d’un autre genre, par exemple climatique. La résilience exprime, en revanche, la capacité à répondre à un choc, à s’y adapter, à se renouveler. La crise n’entraînera probablement pas une démondialisation et une relocalisation massive. Elle agira comme un révélateur du niveau de résilience des pays. Partout, il faudra imaginer les sentiers de retour à la croissance. 

Or, la notion de relocalisation, qui s’était imposée après la crise de 2008 dans une logique de création d’emplois, est remise en cause par l’urgence de la situation. Longue, complexe, elle ne se révèle souvent pas suffisamment efficace. Elle ne suffira donc pas à assurer la résilience de la plupart des économies frappées par le coronavirus. S’il est important de repenser les filières industrielles, de valoriser le patrimoine national…, on a aussi besoin, à présent, de solutions plus rapides. Dans l’urgence, il n’est pas surprenant de se recentrer sur des schémas de court terme, visant à exploiter au mieux les outils existants et les modèles connus. Mais dans quelques semaines, il ne suffira plus d’utiliser le bout de la chaîne que l’on maîtrise. La question sera alors comment la faire fonctionner dans son ensemble différemment. 

Dans un esprit de stratégie de résilience, cette crise facilitera vraisemblablement l’essor d’une « 4ème Révolution industrielle », en imposant des outils qui existent déjà mais dont les applications sont aujourd’hui purement expérimentales (robotisation, impression en 3D, plateformes digitales…). Dans cette perspective, il conviendrait de créer une « Darpa européenne », inspirée de l'agence de financement de la recherche du Pentagone américain, pour développer une vraie politique d'investissement européenne, avec une vision de long terme, pas forcément à 27, mais, au moins, avec l'Allemagne, qui a perdu beaucoup moins d’emplois industriels que la France. Reste que cela ne pourra se faire sans de nouveaux investissements alors que les pouvoirs publics ont déjà déversé des centaines de milliards d’euros pour sauvegarder le tissu économique européen pendant le confinement.

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