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La grande panne de la droite et du RN
©PHILIPPE HUGUEN / AFP

Inaudibles

Entre les Gilets jaunes, l’insécurité, la gestion de la crise du Covid, etc., les opposants de droite à Emmanuel Macron devraient caracoler dans les sondages. Mais il n'en est rien, malgré un contexte qui a tout pour les porter.

Edouard Husson

Edouard Husson

Universitaire, Edouard Husson a dirigé ESCP Europe Business School de 2012 à 2014 puis a été vice-président de l’Université Paris Sciences & Lettres (PSL). Il est actuellement professeur à l’Institut Franco-Allemand d’Etudes Européennes (à l’Université de Cergy-Pontoise). Spécialiste de l’histoire de l’Allemagne et de l’Europe, il travaille en particulier sur la modernisation politique des sociétés depuis la Révolution française. Il est l’auteur d’ouvrages et de nombreux articles sur l’histoire de l’Allemagne depuis la Révolution française, l’histoire des mondialisations, l’histoire de la monnaie, l’histoire du nazisme et des autres violences de masse au XXème siècle  ou l’histoire des relations internationales et des conflits contemporains. Il écrit en ce moment une biographie de Benjamin Disraëli. 

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Chloé Morin

Chloé Morin

Chloé Morin est ex-conseillère Opinion du Premier ministre de 2012 à 2017, et Experte-associée à la Fondation Jean Jaurès.

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Atlantico : Comment expliquer l'absence d'impact politique du Rassemblement national (RN) et des Républicains (LR) depuis l'élection d'Emmanuel Macron, et en particulier depuis le début du mouvement des Gilets jaunes,  malgré un contexte politique favorable ?

Edouard Husson : Lorsque vous voulez battre un adversaire, c'est à vous de lui imposer une stratégie, qui l'oblige à sortir de ses habitudes. Or le Rassemblement National et les Républicains ne contestent pas la stratégie d'Emmanuel Macron; au contraire, ils l'acceptent. Le RN accepte le "ni droite ni gauche" du président; ce faisant, ils se condamne d'emblée à perdre puisqu'il est beaucoup plus difficile de rassembler droite et gauche dans les catégories populaires que dans les classes supérieures. Emmanuel Macron réussit le grand écart, pour l'instant, d'avoir à la fois des bobos et des cathos, des strauss-kahniens et des fillonistes, des mitterrandiens et des gaullistes. C'est encore praticable parce que nous parlons de groupes qui, sociologiquement se rassemblent beaucoup. Pour un ancien électeur filloniste, à moins d'être un catholique pratiquant et articulé, la question de la "PMA sans père" est très abstraite et ne détourne pas de voter LREM; pour un "bobo" du centre de Paris,la peur sociale, révélée par les Gilets Jaunes, est un puissant incitatif à voter avec le bourgeois de droite.   En revanche, plus vous allez descendre dans l'échelle sociale et plus vous allez voir s'affirmer un clivage droite/gauche. Les "Gilets Jaunes" ont une composante de gauche et une composante de droite très affirmées. Dans les banlieues, la question du racisme et de l'antiracisme fait que la polarisation Mélenchon/Marine Le Pen est très forte quand le vote se radicalise. Vous aurez beau dire, il reste une droite et une gauche et l'escamotage du clivage par Emmanuel Macron est très fragile: une partie de son électorat de 2017 s'est abstenu ou a voté Vert lors des municipales. Vous voyez d'ailleurs la fragilité du "macronisme" au fait qu'aucun candidat LR n'est crédité de plus de 12% dans les sondages: le macronisme avec Macron est difficile; le macronisme sans Macron est impossible. Baroin, Bertrand ou Valérie Pécresse n'ont aucune chance sans un ancrage beaucoup plus à droite que ce qu'ils recherchent actuellement. Quant à Wauquiez, il démontre qu'on ne peut plus faire simplement du "Sarkozy 2007": il ne sera plus possible de faire simplement un holdup sur l'électorat RN. Il faudra assumer pleinement ce que l'on fait.  

Chloé Morin : Je ne dirais pas qu'ils n'ont pas d'impact politique. En effet, dans la configuration actuelle du pouvoir, où l'exécutif se réclame plutôt du "centre", et chasse tantôt à droite tantôt à gauche en fonction des évolutions du centre de gravité de l'opinion, l'impact politique d'un parti ne se détermine pas uniquement sur les scores électoraux. Depuis 3 ans, la perception de nombreux Français est qu'Emmanuel Macron s'est "droitisé". Il recrute l'essentiel de ses soutiens actuels au centre droit, ou à droite de l'échiquier politique. Aux yeux de nombre d'électeurs de gauche, il est même perçu comme clairement "de droite". Les mesures ou signaux symboliques envoyés à cet électorat sont donc des preuves directes de l'influence idéologique de la droite dans le pays, même si les gouvernants n'en portent ni n'en revendiquent pas l'étiquette. A l'inverse, c'est sans doute parce que la gauche est idéologiquement plus faible dans le pays qu'elle peine à avoir une influence plus grande sur la politique menée, par exemple en matière sociale ou écologique.

Structurellement, le RN peut-il être un parti crédible d'opposition ? Qu'en est-il des LR ?

Edouard Husson : Sur le papier, le RN aurait tout pour réussir. Le contraste entre son électorat du Nord et celui du Midi est déjà une excellente école de la synthèse politique. La crise des Gilets Jaunes donnait l'occasion de prendre pied dans la France de l'Ouest, qui elle aussi commence à se déstructurer socialement. Mais tout ceci ne serait viable qu'à condition d'avoir une vision approfondie de l'économie et un dialogue structuré avec le monde patronal, des chambres de commerce au CAC40. Or c'est très loin d'être le cas. A l'inverse, LR se contente de cultiver la "droite d'en haut" et d'espérer séduire les macronistes. Il faut insister sur le fait que le RN est tenu d'une main de fer par sa présidente mais sans objectif de gouvernement: si la décomposition politique du pays était telle que Marine Le Pen gagnait malgré tout la présidence, elle n'est pas plus en état d'exercer le pouvoir qu'en 2017: ses réseaux dans la haute fonction publique et dans les milieux patronaux restent insuffisants pour pourvoir mettre en oeuvre sa politique. Et le fait de repeindre un étage de la maison aux couleurs macroniennes (discours sur les valeurs républicaines, absence des élus RN lors du vote à l'Assemblée sur la "PMA sans père") ne mènera pas très loin. Par contraste, les LR entretiennent un refus des thèmes qui mobilisent l'électorat RN qui relèvent de la pathologie politique. Depuis François Fillon, aucun candidat potentiel n'a un discours structuré sur l'islamisme; le discours sur la sécurité est, sauf exception, pathétiquement creux. L'absence totale d'empathie envers le mouvement des Gilets Jaunes dans sa première version, "poujadiste" est dramatique: LR se contente de gérer son réseau, encore assez dense, d'élus locaux. Mais on ne voit dans le parti quasiment aucune tentative de sortir de l'antagonisme "France des métropoles"/"France périphérique". Au fond, quand il faut choisir, LR finit toujours par dénoncer le "populisme"; exactement comme la direction du RN refuse toujours pour finir, une composante "élitiste" dans son programme. 

Chloé Morin : Le Rassemblement National est aujourd'hui en tête des "partis incarnant le mieux l'opposition" dans le baromètre Paris Match (alors qu'en tout début de quinquennat, c'était La France Insoumise). Mais il faut savoir ce que l'on entend pas "incarner l'opposition" : il y a une vision protestataire de l'opposition, celle dont on attend qu'elle établisse des rapports de force, bouscule certaines idées reçues, refuse le statut quo, au risque d'être trop radicale et excessive. Et puis il y a une vision de l'opposition "de gouvernement", celle à qui l'on pourrait donner les clefs du pays sans trop s'inquiéter de ce qu'elle en fasse n'importe quoi. A ce jour, LFI et le RN sont clairement dans la première catégorie - les électeurs les jugent utiles pour faire émerger des sujets, bousculer l'ordre établi, pas forcément pour gouverner, même si le FN tente depuis une dizaine d'année d'entrer dans la catégorie des "crédibles". Ce que l'on constate partout dans le monde, néanmoins, c'est que la frontière entre "protestataires" et "oppositions de gouvernement" est de plus en plus poreuse, et que les électeurs, las que "rien ne change" pour eux, sont de plus en plus nombreux à faire le pari du risque de la radicalité ou de l’extrémisme.

Le RN est-il en état d'assumer le match final de la présidentielle 2022 prédit par les sondages ?

Edouard Husson : Les sondages mettent Marine Le Pen et le RN au niveau de 2015: 25/27% au premier tour. Il faut se rappeler qu'elle a fini à 21%. Au second tout, elle est créditée de 53/55%. Mais toutes ces projections sont faites dans l'idée qu'Emmanuel Macron sera en mesure de se présenter. Que se passerait-il si nous assistions à une "hollandisation" d'Emmanuel Macron, qu'il soit dans l'incapacité de se représenter? Marine Le Pen perdrait beaucoup de sa raison d'être? La progression apparente de la présidente du Rassemblement National au second tour vient de l'usure d'Emmanuel Macron. Contre tout autre candidat, elle apparaîtra, elle aussi, comme une candidate de l'ancien monde.  

Chloé Morin : Il reste très haut dans les sondages, même si cela ne veut à ce stade pas dire grand chose. Il est indéniablement en bonne forme sur le plan idéologique, au sens où il a obtenu des victoires symboliques importantes ces dernières années - sur le rôle des frontières face au coronavirus, par exemple, qui semble relever du bon sens pour la plupart des gens, et que le RN a été le premier à affirmer... Mais au delà, le RN peine à se renouveler, à investir de nouveaux sujets, à se sortir des querelles de chapelle qui sont le lot des partis marginaux mais n'honorent pas des partis "de masse". Il a su faire émerger des profils intéressants depuis quelques années - Bardela, Alliot... - mais en a encore trop peu pour un parti dit "de gouvernement". Si bien que l'on se demande toujours comment il surmonterait son immense problème de ressources humaines s'il devait parvenir au pouvoir. Même LREM a des problèmes de ce genre, alors qu'ils disposent de beaucoup d'élus (certes, initialement recrutés dans le "vieux monde") et de soutiens dans le monde économique ou l'appareil d'Etat . Quels seraient les renforts d'un RN au second tour de la Présidentielle? Ses réserves de voix? Si la porosité avec la droite traditionnelle s'est accentuée, il n'est pas certain que cela suffise...

Comment Les Républicains peuvent-ils trouver un moyen d'existence avant la présidentielle ?

Edouard Husson : LR représente de plus en plus une coquille vide. C'est bien ce que sentent, d'ailleurs, Xavier Bertrand et Valérie Pécresse, qui se préparent en dehors de leur ancien parti. Cependant, ni l'un ni l'autre ne semblent aller au bout de l'analyse de ce qui s'est passé depuis 2012. Nicolas Sarkozy a manqué la réélection parce qu'il n'avait pas tenu ses engagements en matière de sécurité et d'immigration. Sur ces sujets, aujourd'hui, tous les candidats de la mouvance LR font du Macron: il y a des bouffées de discours fermes; comme Sarkozy, l'actuel président nomme aux postes clé du Ministère de l'Intérieur des individus qui ont les idées claires. Mais cela ne suffit pas pour faire une politique cohérente: est-on prêt à affronter l'hostilité des juges, qui s'empressent de défaire les mesures prises? Est-on prêt à suspendre Schengen pour forcer nos partenaires à des politiques plus fermes ? Est-on prêt à définitivement assécher les flux financiers avec les pays musulmans, à commencer par le financement étranger des mosquées? Est-on prêt à faire une chasse à la fraude sociale, à punir la polygamie etc...? A-t-on entendu LR lorsque, sous prétexte de confinement, Madame Belloubet a vidé les prisons d'individus dangereux? On ajoutera que sur beaucoup d'autres sujets, LR est inexistant. La coopération franco-allemande comme nous en avions l'habitude, c'est fini: quelles politiques alternatives le parti propose-t-il au sein de l'UE ? Donald Trump est un bon président, qui permet de rebattre les cartes sur beaucoup de sujet, à commencer la politique vis-à-vis de la Chine, la politique vis-à-vis de l'Iran ou, sur le plan intérieur, la défense des libertés fondamentales, en particulier face aux GAFA: a-t-on entendu LR sur tous ces sujets? Sur l'écologie, nous sommes en train de tomber entre les mains d"idéologues, par exemple à la tête des grandes villes: la droite LR ne semble pas se rendre compte que la sortie du nucléaire, le refus de la 5G ou des politiques urbaines sans rapport avec la réalité sont autant de coups portés à l'attractivité de la France, autant de pertes d'emploi à venir; eh bien, on n'entend aucune proposition nouvelle dans ce domaine. De quelque côté qu'on se tourne, on n'entend aucune voix originale à LR ou dans la mouvance. Si LR ne cherche pas à se différencier, le parti signe sa fin politique.  

Chloé Morin : Leur stratégie et l'espace qu'ils pourront acquérir dépend en grande partie du succès de la stratégie déployée aujourd'hui par Emmanuel Macron. Tant qu'il occupe leur espace, et adopte une partie de leurs propositions en matière régalienne et économique, ils restent asphyxiés, condamnés à se radicaliser pour exister - donc à se marginaliser, ou à singer un RN qui campe très bien dans son propre espace. Mais on peut très bien imaginer qu'à l'heure du bilan, fin 2021, l'électorat de droite en vienne à considérer que le compte n'y est pas, et faute de résultats suffisants à ses yeux, délaisse la copie et revienne vers "l'original". A ce moment là, il faudra que la droite soit à la fois solide sur le plan programmatique, et organisée sur le plan humain, pour s'imposer comme le parti "refuge" de la droite (et du centre, potentiellement). Ce qui signifie aussi que d'ici là, elle devra trouver une incarnation adéquate... qui ne soit pas simplement un "plus petit dénominateur commun" à la droite de gouvernement, mais sache porter une vraie vision, et se distinguer sur quelques axes symboliques majeurs de ce qu'aura pu incarner Emmanuel Macron.

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