Pourquoi une élection de Joe Biden ne rétablirait pas les relations transatlantiques du monde d’avant <!-- --> | Atlantico.fr
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Joe Biden Etats-Unis démocrate élection relations transatlantiques
Joe Biden Etats-Unis démocrate élection relations transatlantiques
©MANDEL NGAN / AFP

Maison Blanche

A l'occasion d'une conférence en Allemagne l'an dernier, Joe Biden avait indiqué que les Etats-Unis devaient rester engagés aux côtés de leurs alliés. D'importantes relations transatlantiques seront-elles développées en cas d'élection du candidat démocrate en novembre prochain ?

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont

Barthélémy Courmont est enseignant-chercheur à l'Université catholique de Lille où il dirige le Master Histoire - Relations internationales. Il est également directeur de recherche à l'IRIS, responsable du programme Asie-Pacifique et co-rédacteur en chef d'Asia Focus. Il est l'auteur de nombreux ouvrages sur les quetsions asiatiques contemporaines. Barthélémy Courmont (@BartCourmont) / Twitter 

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Atlantico.fr : Lors d'une conférence sur la sécurité à Munich l'année dernière, Joe Biden a affirmé que l'Amérique devait rester engagée aux côtés de ses alliés. Cette phrase et les autres annonces de l'ancien vice-président amorcent-t-elle un retour vers une relation transatlantique forte s'il est élu ? 

Barthélémy Courmont : Comme Barack Obama ou l’ancien Secrétaire d’Etat John Kerry dont il est proche, Joe Biden est partisan d’un partenariat transatlantique fort, communauté de valeurs plus que de défense, et articulée autour d’un dialogue stratégique autant qu’économique et commercial. Il est, en ce sens, un atlantiste revendiqué. Parce qu’il est né pendant la Seconde guerre mondiale et a effectué une grande partie de sa carrière politique pendant la Guerre froide (il est devenu sénateur du Delaware suite à l’élection de 1972), il a également une certaine idée du partenariat avec l’Europe et mesure l’importance pour les Etats-Unis de rester une puissance européenne de premier plan. Il s’inscrit par ailleurs dans la continuité de la présidence de Barack Obama, qui avait effectué une tournée européenne alors qu’il était en campagne, en 2008, et lui-même a multiplié les déplacements en Europe en marge de campagnes présidentielles, notamment pour appuyer la candidature de Kerry en 2004. Sur le style autant que dans les intentions sur la relation transatlantique, Biden serait donc l’opposé de Trump, revendiquant ses origines européennes là où l’actuel président semble par ailleurs les rejeter.

Ajoutons à cela le déficit d’image du locataire de la Maison Blanche en Europe (en Allemagne en particulier) et à l’inverse la notoriété de Biden sur le Vieux continent pour comprendre que la confiance mutuelle pourrait être réactivée si le candidat démocrate est élu en novembre. Cependant, Biden pourrait être, comme Obama avant lui, l’arbre qui cache la forêt d’une relation transatlantique de plus en plus soumise à des turbulences et des différences de perception. Car si Biden (qui a 77 ans) est un atlantiste convaincu, l’atlantisme est devenu au fil du temps une forme d’anachronisme qui le rattrapera dès sa prise de fonction. En bref, disons qu’une présidence Biden permettrait d’apaiser les tensions exacerbées par les formules maladroites de Trump, mais elle ne modifiera pas la donne en profondeur.

Le partenariat transatlantique a-t-il commencé à pérécliter sous les coups de l'administration Trump ? Depuis quand est-il en déclin ? 

De nombreux experts estiment que la guerre d’Irak en 2003 fut un tournant dans la relation transatlantique. Souvenons-nous que les pays européens se sont montrés divisés à cette occasion, avant que les déboires post-Saddam Hussein ne finissent de convaincre la majorité des Européens que l’aventurisme américain n’était pas à leur avantage. On se souvient aussi de la formule de Robert Kagan, « les Américains viennent de Mars et les Européens de Venus » pour comprendre, au-delà des clichés assez grossiers, les différences désormais fondamentales entre les deux composantes de ce qu’il est de plus en plus difficile de qualifier de monde occidental. On peut également remonter à plus loin. La fin de la Guerre froide, qui sonnait le glas d’une communauté de défense incontournable, au point que l’organisation la caractérisant, l’OTAN, devait se repenser. Pourquoi ne pas non plus évoquer les dernières années de la bipolarité, et notamment la crise des Euromissiles, ou encore la construction européenne et son evolution progressive.

C’est un glissement lent et régulier qui marque la dérive des continents que nous observons. Et en dépit de son immense popularité en Europe et de ses discours forts sur le Vieux continent, comme celui de Prague en 2009, Barack Obama fut surtout l’homme de la stratégie du pivot vers l’Asie, continent dont il faisait la priorité de sa politique étrangère (Hillary Clinton, sa première Secrétaire d’Etat, effectua sa première tournée officielle en 2009 en Asie, et non en Europe). C’est également sous la présidence Obama que les pressions américaines au sein de l’OTAN sur la partage du fardeau, déjà fortes sour l’administration Bush, redoublèrent d’intensité. D’une administration à l’autre, démocrate comme républicaine, les exigences américaines ne changent pas: les Européens doivent dépenser plus pour leur défense. Seule la méthode est, très sensiblement, différente. Donald Trump restera sans doute le président américain le plus impopulaire en Europe, mais le malaise dans la relation transatlantique était déjà très perceptible avant son arrivée au pouvoir.

Comment pourrait-on retrouver une relation entre nos deux continents aussi forte que celle qui a suivi la seconde guerre mondiale ? 

Il faudrait définir un ennemi commun, suffisamment déstabilisant et dangereux pour justifier une nouvelle communauté stratégique. C’est ce que Donald Trump tente, de manière très maladroite et inappropriée, avec la Chine, et c’est ce qu’Obama tenta avec la Russie et, d’une certaine manière, Bush avec les États voyous. Mais ces ennemis supposés ou réels ne sauraient pour les Européens être comparés à ce que furent l’Allemagne nazie ou l’URSS. Difficile donc pour Washington d’invoquer un front uni face à un ennemi qui n’existe plus ailleurs que dans des plans du Pentagone qui n’ont pas été mis à jour.

Il faudrait aussi adhérer à des valeurs communes. Le plan Marshall ne fut pas, après la Seconde guerre mondiale, simplement un plan de sauvetage des économies européennes, c’était la Pierre angulaire d’un bloc prônant le libéralisme économique et l’économie de marché face au bloc communiste. Venait s’y greffer la communauté de démocraties, même si celle-ci semble plus discutable à y voir de plus près. En tout état de cause, il y avait une adhésion à un système-monde sans laquelle la communauté transatlantique n’aurait pu se développer de manière aussi forte. Ces temps sont aujourd’hui révolus, tout autant que l’est, pour les Européens, le rêve américain qui les accompagnèrent. Dès lors, Américains et Européens ont de nombreux terrains d’entente sur lesquels ils continueront de cultiver leur complicité et proximité, historique et culturelle notamment. Mais la relation transatlantique telle qu’elle se développa au lendemain de la chute de l’Allemagne nazie appartient à l’histoire, qu’on s’en réjouisse ou non.

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