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Plan de relance : ces erreurs de la stratégie gouvernementale qui risquent de nous coûter cher
©LUDOVIC MARIN / AFP

Pour une meilleure action publique

L’action publique en France est dispersée, confuse, souvent incohérente, et au final elle réussit le prodige d’être en même temps la plus chère au monde.

Mathieu  Mucherie

Mathieu Mucherie

Mathieu Mucherie est économiste de marché à Paris, et s'exprime ici à titre personnel.

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Les lecteurs d’Atlantico auront noté que l’action publique en France est dispersée, confuse, souvent incohérente, et qu’au final elle réussit le prodige d’être en même temps la plus chère au monde (dans aucun autre pays de plus de 15 millions d’habitants les dépenses publiques n’atteignent chaque année 55% du PIB, et sans jamais la moindre baisse de ce chiffre) et l’une des plus contestées du monde développé : en éducation, au dernier classement PISA nous sommes battu par des chinois, pourtant bien moins riches que nous (et obligés de retenir 6000 caractères) ; en santé, nous enregistrons 30 000 morts du covid19 en dépit d’un long confinement (à peine une vingtaine de morts à Taiwan…) ; en sécurité, les choses n’ont pas l’air de s’améliorer, et le marché des alarmes, des vigiles et de la vidéosurveillance est l’un des derniers à connaitre la croissance dans notre beau pays (à croire que nos policiers et nos gendarmes ne suffisent pas). Nous pourrions continuer longtemps. Toutes les belles réussites de l’Etat ont plus de 40 ans d’âge (minimum). 

Que se passe-t-il ? Comment retrouver un peu d’efficacité dans l’action publique, mais sans trop investir puisque désormais les caisses sont vides ?

Ce qui se passe est simple et a déjà été dit dans ces colonnes (par exemple ici en juin) : nos politiques, et ensuite nos administrations publiques, font beaucoup trop de choses à la fois, suivent trop d’objectifs souvent contradictoires, se dispersent, sur-communiquent, s’épuisent. Qui trop embrasse mal étreint. Il faut d’abord reconcentrer l’action publique (au sens de concentration des efforts, pas au sens de bayroutisme, ou du centralisme parisien) : définir les missions authentiquement régaliennes, mettre le paquet sur quelques axes prioritaires (façon « schwerpunkt »), arrêter le saupoudrage généralisé.  

Prenons un thème qui obsède nos élites publiques assoiffées de « justice sociale » sur les plateaux TV : le combat héroïque pour limiter les inégalités (en France, ce mot est pratiquement synonyme d’injustice). Des moyens considérables sont affectés chaque année à cette lutte à mort, et pourtant il parait que certains sont encore plus égaux que d’autres. Concrètement, on enclenche un gigantesque aspirateur qui capte les ressources des classes moyennes, pour ensuite répandre cet argent vers d’autres classes moyennes, qui ont le bon goût d’être un peu mieux organisées dans la vaste sport national de la captation des rentes. L’effet redistributif global n’est pas évident (beaucoup de doublons et de tuyauteries percées), en tous les cas pas du tout digne des ambitions affichées et des moyens engagés (cf les milliards dépensés pour calmer les gilets jaunes, qui furent à peine suffisants pour calmer l’incendie parce que l’arrosoir était bien trop diffus, et souvent à côté de la plaque). C’est un système social de Shadocks, qui pompe un max et qui expire un max, qui fait de la redistribution à la petite semaine un peu du côté des recettes et un peu du côté des dépenses, en même temps (alors que les recettes devraient être plus forfaitaires et les dépenses plus ciblées), qui occupe beaucoup de monde et qui en perd encore plus (c’est un vrai dédale), et qui finit par mécontenter à la fois Thomas Piketty et Jean-Marc Daniel. Ce système ne fait plus le bonheur que de ceux qui se nourrissent de la complexité : profs de sciences-po, avocats fiscalistes, associations grinçantes. Pourtant, un impôt négatif à la française (adapté de l’EITC américain) ferait mieux, et en particulier respecterait les incitations ; et une remise des dettes ciblée sur les ménages les plus injustement pris au piège des crédits revolving ferait beaucoup de bien, pour un coût raisonnable (en fait, pour un coût quasi nul si on obligeait la Banque de France à travailler un peu). Probablement, les gilets jaunes ne seraient même pas apparus si on avait évité quelques mesures méprisantes, et si on s’était inspiré des pratiques de nos voisins (en Espagne, les autoroutes sont devenues gratuites). Dans le même ordre d’idée, rendre l’immigration payante participerait à la fois de la canalisation du spectre des revenus et du rempaillage de nos finances publiques. On pourrait imaginer aussi une politique ambitieuse de participation, une voie qui ne coûte pas forcément très chère et qui stimulerait la productivité du travail. Mais ces voies ne sont pas explorées, et ne le seront pas tant que domineront 450 mécanismes, 6 ministères et 4 hauts conseils, si nombreux et si imbriqués qu’ils ne sont jamais vraiment évalués (et donc qu’ils ne sont pas démocratiques au sens de l’article 15 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen). Il en va de même pour les banques centrales, qui à force de sauver les Etats, les banques, les marchés, tout en veillant à plein d’autres choses (et maintenant aux limitations des émissions de Co2, définies comme « une priorité » par Christine Lagarde), ont juste oublié le cœur de leur mission : la cible d’inflation à 2%/an accusera sur la période 2012-2022 un déficit d’une douzaine de points de pourcentage, dans l’indifférence générale ; mais nous ne sommes pas du tout en japonisation, dormez bien braves gens ! Ne faîtes surtout pas le lien entre les tendances déflationnistes et la montée des inégalités patrimoniales ! Et ne militez pas pour une règle simple de trajectoire du PIB nominal qui permettrait de responsabiliser et de recentrer le banquier central !       

Autre exemple. Si l’on souhaite une baisse de 75% de la délinquance, on sait désormais comment y arriver, puisque nous y sommes arrivés en mars et mai : il faut interdire aux mineurs de circuler après 21h, demander régulièrement leurs papiers aux adultes, et sanctionner au quart de tour. Pour cela, comme on ne peut pas compter sur la police qui fait dodo à ces heures là, il faudrait demander aux gendarmes. Donc, il faut retirer ces derniers des départementales et des nationales où ils ne servent à rien de constructif (verbaliser les dépassements de vitesse n’est pas une chose aussi sérieuse que la sécurité publique), et les mettre là où ça se passe, en ville, pour qu’ils occupent les lieux, brisent les trafics et dissuadent les plus gros pénibles. La France mobilise ses moyens les plus professionnels, les mieux équipés technologiquement (et les moins syndiqués ou grévistes) pour faire la chasse aux resquilleurs ruraux (voleurs de poules, etc.), et elle reste les bras ballants face aux agresseurs professionnels. Lecteurs assidus de Clausewitz, nos militaires des départementales auraient surement à cœur d’appliquer une logique de « schwerpunkt » aux caïds des cités ; en peu de temps, et avec le croisement des fichiers fiscaux, on pourrait obtenir des résultats significatifs, mais est-ce vraiment ce que nous désirons obtenir ? à la vue des remises en liberté récentes, et en observant plus généralement quatre décennies de non-construction de prisons, et de guerres des services, il est permis d’en douter. La sécurité publique fait continuellement l’objet d’arbitrages avec le confort des juges et d’autres priorités budgétaires, de sorte qu’on connait grosso modo le chemin de la tranquillité mais sans jamais l’arpenter. Et donc la demande de sécurité monte encore, et se déverse via la privatisation (vigiles, dispositifs divers), ce qui bien entendu génère d’effroyables inégalités, un beau gâchis et un sacré malaise.

Dans le domaine de la macroéconomie, le recentrage de l’action publique est également indispensable, d’autant que l’instrument de loin le plus puissant, la politique monétaire, a été confié à une échelle fédérale et indépendante, de sorte qu’il entre régulièrement en contradiction avec les intérêts nationaux et économiques ; passons. Des moyens importants sont engagés pour soutenir la croissance conjoncturelle comme la croissance potentielle, la demande et l’offre, par de nombreux canaux, et les résultats sont au mieux médiocres : il semblerait que les pertes en ligne soient considérables, qu’elles ne sont pas perdues pour tout le monde, de même que les incohérences conceptuelles et temporelles. Les initiatives récentes (« plan de relance ») sont à cet égard révélatrices : tout le monde reçoit, et donc personne n’est assez aidé. Prenons un exemple. Pour sauver nos constructeurs automobiles hexagonaux qui ont pris une décennie de retard (en une décennie !) dans les domaines clés de l’électrification et des logiciels (il n’y a qu’à voir leur capitalisation boursière), il faudrait une remise au niveau de la stratégie, une nouvelle politique RH (des ingénieux plus jeunes, moins bornés par le thermique) et surtout des moyens massifs pour investir dans une usine géante de batteries (ça coûte 5 milliards l’unité), des réseaux de superchargeurs, etc. Ce n’est pas bien entendu ce qui est fait : le contribuable vient au secours de la trésorerie et des frais courants à travers le chômage partiel et divers dispositifs, il n’investit pas dans le futur, et ne comptez pas sur les cousins de John Elkan pour le faire dans les prochaines années. La logique gouvernementale est défensive (interdiction de fermer un site important d’ici mai-juin 2022 !), il n’y a aucune stratégie à la façon des chinois ou de Tesla de la part de nos grands commis de l’Etat qui se targuent d’être les maitres des horloges, les champions du long terme, les caïds de la prospective. On aide des secteurs entiers sur l’air de « tout le monde il est beau, tout le monde il est gentil », sans choix aucun (c’est la même logique qui a prévalu avec les banques en 2008, et qui continue depuis).     

Pourquoi Macron va-t-il probablement disperser à nouveau nos ressources publiques lors de son show du 14 juillet ? Faire des choix n’est pas chose facile, comparativement au tout-vouloir. D’abord, il faut étudier, connaitre son sujet, c’est fastidieux (la phrase la plus souvent entendue quand on discute avec des politiques : « je n’ai plus le temps de lire », formule qui cascade ensuite tous les échellons) ; ensuite il faut trancher, ce qui suppose un décideur et non un comité ; et bien expliquer les discriminations effectuées ; puis il faut appliquer, sans faire l’inverse au même moment par un autre canal ; et enfin évaluer, ce qui ne semble pas faire partie de la tradition nationale. Il est plus rentable politiquement et administrativement de saupoudrer, de répartir, de ne pas trop assumer, de mettre le paquet sur la communication et de reconduire cette séquence à l’identique (sauf gros accident) jusqu’à sédimentation totale de l’édifice. Diafoirus est partout aux affaires, et semble triompher. Mais on l’a bien vu avec le confinement généralisé, méthode très inférieure tant sanitairement qu’économiquement au tester/isoler/traiter des pays asiatiques plus sérieux : à forcer de ne pas choisir, de ne pas discriminer et de ne pas concentrer les efforts sur quelques foyers infectieux, c’est tout le corps social qui tombe malade.

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