Hydroxychloroquine et remdésivir : petits repères pour tenter d’y voir plus clair dans le "match" des traitements contre le coronavirus<!-- --> | Atlantico.fr
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©GEORGE FREY / AFP

Lutte contre la Covid-19

Le Dr Stéphane Gayet revient sur les traitements contre le coronavirus qui ont été au coeur de nombreuses polémiques ces derniers mois : l'hydroxychloroquine et le remdésivir.

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet

Stéphane Gayet est médecin des hôpitaux au CHU (Hôpitaux universitaires) de Strasbourg, chargé d'enseignement à l'Université de Strasbourg et conférencier.

 

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Atlantico.fr : Hydroxychloroquine et remdésivir, comment s’y retrouver dans cette polémique ?

Stéphane Gayet : On ne peut plus s’y retrouver aujourd’hui, car la polémique – qui atteint son paroxysme en France – est devenue illisible et même pour les médecins, ce qui n’est pas peu dire. Cette crise de l’hydroxy chloroquine – car c’en est une – révèle au grand jour certains dysfonctionnements graves de notre médecine. On s’y perd complètement. On ne sait plus ce qu’est la médecine, quels sont ses objectifs, comment elle est financée et l’on ne sait plus ce qu’est la science ni ce qu’est une preuve scientifique, expression dont on a largement usé et abusé.

La médecine ?

La médecine est un domaine d’activité et une profession particulièrement réglementée. La profession médicale n’est à nulle autre pareille. Elle est complexe et ésotérique pour le profane, non pas à dessein, mais par la force des choses : le corps humain est la plus compliquée des « machines » et l’on ne sait encore que trop peu de choses à son sujet. Il est consternant d’apprendre que beaucoup de personnes – y compris certains médecins – croient que l’on connaît à présent l’essentiel sur notre corps et que la médecine est toute puissante. Le fils d’un malade sévèrement atteint d’une légionellose et hospitalisé en réanimation m’a dit un jour : « Je vois bien que mon père est dans un état grave ; or, je sais que la médecine peut tout guérir aujourd’hui et si mon père décédait, je considèrerais que ce serait de votre faute et j’agirais en conséquence. » J’ajoute qu’il a fini par guérir.

La vérité est que la médecine – l’activité consistant à soigner des personnes ayant besoin de l’être - n’est pas une science et l’on ne voit pas bien comment elle pourrait le devenir ; en revanche, elle s’appuie sur les sciences médicales (anatomie ; histologie : les tissus du corps ; physiologie : le fonctionnement du corps ; biologie ; pathologie : les maladies ; séméiologie : les symptômes et les signes des maladies ; pharmacologie, etc.).

L’activité médicale comporte une relation médecin-patient, un recueil de symptômes (ce que l’on éprouve, mais qu’un observateur ne peut pas constater) et de signes (ce qu’un observateur peut constater) par un interrogatoire et un examen physique (inspection, palpation, auscultation…), un raisonnement nosographique (identification de la maladie) et étiologique (recherche de la cause de la maladie), une proposition thérapeutique, une prescription et un suivi sous traitement. On comprend que tout cela n’a rien de scientifique, mais se fonde le plus possible sur l’état des sciences médicales. Si la médecine était une science, on n’aurait pratiquement plus besoin de médecins : on pourrait se faire soigner par des robots et des techniciens de soins.

Le fameux Serment d’Hippocrate

Il est bien connu de tous qu’un étudiant en médecine, le jour de sa soutenance de thèse – thèse dite d’exercice qui confère le grade de docteur en médecine -, prête le « Serment d’Hippocrate ». Il est très connu, car il impressionne, tant par sa solennité – la soutenance de thèse est ouverte au public – que par son contenu qui semble contraster avec la pratique.

Ce texte est long ; en voici les passages les plus significatifs : « Au moment d’être admis à exercer la médecine, je promets et je jure d’être fidèle aux lois de l’honneur et de la probité. Mon premier souci sera de rétablir, de préserver ou de promouvoir la santé dans tous ses éléments, physiques et mentaux, individuels et sociaux. Je respecterai toutes les personnes, leur autonomie et leur volonté, sans aucune discrimination. J’interviendrai pour les protéger si elles sont affaiblies, vulnérables ou menacées dans leur intégrité ou leur dignité. Je donnerai mes soins à l’indigent et à quiconque me le demandera. Je ne me laisserai pas influencer par la soif du gain ou la recherche de la gloire. Admis dans l’intimité des personnes, je tairai les secrets qui me seront confiés. Je ferai tout pour soulager les souffrances. Je n’entreprendrai rien qui dépasse mes compétences. Je les entretiendrai et les perfectionnerai pour assurer au mieux les services qui me seront demandés. Que les hommes et mes confrères m’accordent leur estime si je suis fidèle à mes promesses ; que je sois déshonoré et méprisé si j’y manque. »

La médecine fondée sur des preuves (en anglais : « evidence-based medicine » ou EBM)

C’est la médecine factuelle, qui s’oppose à la médecine intuitive ou de conviction. Car l’être humain est par nature irrationnel et c’est pourquoi il cultive autant la rationalité qui lui fait tellement défaut. Mais la notion de preuve dans les sciences du vivant et en particulier en médecine est beaucoup plus délicate qu’en droit et en justice.

Comment prouver qu’un traitement est efficace dans telle ou telle maladie ?

Attention : une médecine fondée sur des preuves n’est pas pour autant une médecine irréprochable. Et une preuve ne fait pas la science, car la science, c’est autre chose. Selon le dictionnaire Le Robert : « La science est un ensemble de connaissances et de travaux d'une valeur universelle, ayant pour objet l'étude de faits et de relations vérifiables, selon des méthodes déterminées (comme l'observation, l'expérience, le calcul ou les hypothèses et la déduction). »

On parle ainsi de méthode scientifique, de démarche scientifique. Mais en médecine, la notion de science a été dénaturée. Car on utilise de plus en plus le mot science et l’adjectif scientifique, non pas pour parler de travaux de recherche, mais pour habiller des résultats obtenus et ainsi les « valider » de « façon indiscutable », dans les expressions telles que « Il est prouvé scientifiquement que… », « On a la preuve scientifique que… », « C’est démontré scientifiquement… ». Dans ces expressions, il s’agit pratiquement toujours de mise en œuvre de la méthode de l’essai thérapeutique.

La méthode de l’essai thérapeutique contrôlé et randomisé dont on attend des résultats « significatifs »

On veut prouver la supériorité d’un traitement A sur un traitement B ou tout simplement de l’efficacité d’un traitement A en le comparant à l’absence de traitement ou à un placebo (produit sans activité pharmacodynamique).

Le procédé est toujours le même : il consiste à appliquer des tests statistiques aux résultats obtenus dans deux groupes A et B distincts d’individus (traités par des produits A et B différents), afin de prouver que ceux obtenus dans le groupe A traité par le produit A sont significativement différents (meilleurs) que ceux obtenus dans le groupe B traité par le produit B. Tout est là : en fait de science, c’est de science statistique qu’il s’agit ; la science statistique appartient à la science mathématique ; or, notre civilisation attribue une valeur suprême à tout ce qui est mathématique : « Ce qui est prouvé mathématiquement ne se discute pas. » Aujourd’hui, dans les congrès et les publications écrites, les tests statistiques sont considérés comme procurant le label inattaquable qui valide les résultats obtenus lors d’une « recherche », recherche qui n’en est souvent pas une, en réalité. On est aveuglé par cette sacro-sainte significativité statistique qui permet de faire accepter beaucoup de résultats, fussent-ils en réalité discutables. Cette sacro-sainte significativité statistique est généralement illustrée par le fameux « p < 0,01 ».

Un essai thérapeutique consiste donc à essayer un nouveau traitement A dans un groupe A d’individus. On dit qu’il est contrôlé quand le groupe A dit d’intervention (celui auquel on va essayer un nouveau traitement A) est comparé à un groupe B dit groupe contrôle (celui auquel on va appliquer le traitement classique ou l’absence de traitement). On dit que l’essai thérapeutique est randomisé si les groupes A et B sont constitués au hasard (par tirage au sort : random est un mot anglais signifiant hasard, aléa). On comprend qu’un essai thérapeutique contrôlé et randomisé soit robuste et que ses résultats aient une grande valeur. Il reste ensuite à appliquer des tests statistiques aux résultats obtenus, et le tour est joué : on peut démontrer que le traitement A est vraiment meilleur que le traitement B, ce qui permet de justifier sa commercialisation et son utilisation.

Personne ne peut contester l’intérêt de l’essai thérapeutique contrôlé et randomisé. Mais le problème, c’est l’usage que l’on en fait pour arriver à ses fins, c’est-à-dire prouver que le traitement A est supérieur au traitement B. En pratique, il suffit de choisir les critères d’évaluation dans le sens de ce que l’on veut démontrer et de trouver le test statistique idoine qui va affirmer que la différence entre les résultats des groupes A et B est significative. Aujourd’hui, il n’est pas exagéré de parler de cuisine statistique pour décrire les pirouettes et autres acrobaties que l’on a la possibilité de faire afin d’arriver à ses fins : prouver que A est mieux que B.

Et une grande majorité de médecins est persuadée que c’est ipso facto une démarche scientifique dont on ne peut que valider les conclusions. Toute l’industrie pharmaceutique fonctionne ainsi, ce qui permet de commercialiser des produits rentables financièrement (c’est le but) et de disqualifier des (anciens) produits qui ne sont pas passés à la moulinette de l’essai thérapeutique contrôlé et randomisé avec des résultats statistiquement significatifs.

Le dogme actuel en médecine « Pas de science sans essai thérapeutique et pas de preuve sans test statistique »

Ce dogme qui est assimilé par tous les étudiants en médecine procède d’un positivisme étroit. C’est plus que réducteur, c’est simpliste et borné. Quand on considère des grands noms de la médecine et de la biologie, comme René Laennec, Claude Bernard, Gregor Mendel, Louis Pasteur, Robert Koch, Marie Curie, Henri Mondor, Jean Bernard, Jean Dausset…, on constate qu’ils n’avaient pas besoin de tests statistiques (le fameux p < 0,01) pour faire reconnaître la valeur de leurs travaux. Ces grands savants et chercheurs avaient tout simplement un esprit, une curiosité et une méthode scientifiques. Ils ont réalisé des travaux scientifiques et fait des découvertes scientifiques. Ils étaient des scientifiques tout simplement, des scientifiques qui ont fait indiscutablement progresser les sciences médicales et la médecine.

Le combat de l’hydroxy chloroquine (HCQ) contre le remdésivir : David contre Goliath

Il faut faire preuve d’une réelle mauvaise foi pour affirmer que l’hydroxy chloroquine n’est pas efficace pour soigner la CoVid-19. Le tout est de savoir à quel moment, à quelle dose et pendant combien de temps. Mais il n’y a pas d’essai thérapeutique contrôlé et randomisé avec des résultats statistiquement significatifs pour l’hydroxy chloroquine.

Le professeur Christian Perronne a été jusqu’à dire « Il est criminel d’affirmer que l’hydroxy chloroquine est inefficace sur la CoVid-19 ». La vérité est que cette molécule n’est pas commercialement rentable (PLAQUENIL, qui est déjà un ancien produit) et qu’aucun laboratoire ne financera une grande étude contrôlée et randomisée, car ces études sont longues et extrêmement coûteuses. Or, comme je l’ai dit, sans étude contrôlée et randomisée produisant un résultat statistiquement significatif, point de salut : aucune chance, aucune considération.

Le professeur Didier Raoult – il faut faire abstraction de son personnage qui irrite bon nombre de personnes – a une grosse expérience de l’HCQ dans la CoVid-19 et avec de bons résultats. Il est le premier à avoir rapporté les travaux chinois faisant état de son activité « in vitro » (au laboratoire). L’HCQ est aujourd’hui largement utilisée dans de nombreux pays du monde pour soigner la CoVid-19 et avec de bons résultats. L’armée française a constitué un très important stock de chloroquine pour être prête à une éventuelle nouvelle vague massive de CoVid-19. Et sans parler de tous les médecins qui clament haut et fort qu’elle est inefficace et qui néanmoins s’en sont procuré discrètement, pour eux et pour leurs proches. J’en ai moi-même bien bénéficié quand j’étais malade de la CoVid-19 en mars, mais je ne constitue qu’un seul cas (j’ai eu du reste beaucoup de difficultés à m’en procurer, étant donné la mainmise du ministère chargé de la santé sur les pharmacies concernant la délivrance d’HCQ, ce qui est véritablement scandaleux étant donné que l’on se procurait facilement ce produit avant la pandémie ; le motif officiel serait la prévention des accidents cardiaques toxiques, ce qui est aberrant).

Deux études américaines récentes affirment l’efficacité de l’hydroxy chloroquine sur la CoVid-19.

Mais que peut la naine hydroxy chloroquine (HCQ) face au géant remdésivir ? Il y a déjà eu le scandale de la publication falsifiée dans la prestigieuse revue « The Lancet », publication très défavorable à l’HCQ : la société Surgisphere qui est sensée avoir piloté l’étude est plus ou moins virtuelle et les données utilisées sont introuvables. Il y a maintenant cette accablante information selon laquelle les médecins experts qui ont pris position contre l’hydroxy chloroquine (et pour le remdésivir) ont été rémunérés par le laboratoire qui fabrique et commercialise le remdésivir.

Il faut préciser que le remdésivir est un antiviral qui a été développé pour traiter les infections à virus Ébola, mais sans succès. Il est en revanche très utilisé en Chine pour soigner la péritonite aiguë féline à coronavirus chez les chats (mais dans cet usage lucratif, il est essentiellement distribué et revendu en dehors des circuits officiels et réguliers).

Et depuis le mois de mars, le laboratoire en question fait tout ce qu’il peut pour le placer dans le traitement de la CoVid-19, étant donné qu’il a montré une certaine efficacité sur d’autres coronavirus. Sa commercialisation pour soigner la CoVid-19 – avec des contraintes liées à la nouveauté – a été autorisée récemment, malgré le fait qu’il soit très peu efficace (il ne modifie pas la létalité de la CoVid-19 et se contenterait de réduire un peu la durée d’hospitalisation des formes sévères). Il faut surtout dire que le traitement de la CoVid-19 par le remdésivir coûte de l’ordre de 30 fois plus cher que celui par l’hydroxy chloroquine.

Pour discréditer l’HCQ, on a été jusqu’à mettre sur le dos de cette molécule des complications cardiaques, qui étaient en réalité liées à l’infection virale par le SARS-CoV-2 (agent de la CoVid-19 : on sait que ce virus est responsable d’affections cardiaques, notamment par atteinte des vaisseaux et des micro vaisseaux du cœur). On a aussi utilisé l’HCQ à doses toxiques (très supérieures à 1000 mg : effets secondaires cardiaques potentiellement graves), alors que la dose maximale habituelle (600 mg) est suffisante ; ce qui a contribué à dévaloriser encore un peu plus le produit et a servi de prétexte pour en réglementer sa délivrance (ce qui n’était pas le cas avant la pandémie CoVid-19).

Aujourd’hui, le dossier de l’hydroxy chloroquine est devenu incompréhensible pour la population, pour beaucoup de journalistes et même pour un grand nombre de médecins. La France a été jusqu’à rendre très difficile l’obtention d’HCQ au motif d’une toxicité cardiaque dangereuse, toxicité en réalité très exagérée comme je l’ai dit.

Tout cela est grave et inquiétant et n’est pas de nature à améliorer la confiance des usagers en la médecine.

Des travaux allemands récents semblent montrer vis-à-vis de la CoVid-19 une activité intéressante de l’artémisinine, qui est, comme la chloroquine, une substance naturelle extraite d’une plante : l’artémisinine est la substance active que l’on a extraite de la plante Artemisia annua (armoise). On parle aussi depuis quelque temps d’une possible activité de l’ivermectine, qui est une substance issue d’une fermentation naturelle par des bactéries. Il faut préciser que l’artémisinine est déjà connue et utilisée comme remède contre le paludisme et que l’ivermectine l’est comme antiparasitaire, en particulier contre la gale.

Que deviendront ces produits candidats à un « repositionnement thérapeutique », face au remdésivir ?

Décidément, la pandémie CoVid-19 a entraîné bien des turbulences en médecine.

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