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Un nouveau gouvernement qui envoie moult signaux... mais y aura-t-il des Français pour les détecter ?
©LUDOVIC MARIN / AFP

Castex 1

La liste des nouveaux ministres du gouvernement de Jean Castex a été dévoilée ce lundi 6 juillet. Quels sont les signaux envoyés lors de ce remaniement ? Ces choix vont-ils répondre aux attentes des Français ? Quelle pourrait être la suite du quinquennat d'Emmanuel Macron ?

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet

Maxime Tandonnet est essayiste et auteur de nombreux ouvrages historiques, dont Histoire des présidents de la République Perrin 2013, et  André Tardieu, l'Incompris, Perrin 2019. 

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Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti

Arnaud Benedetti est Professeur associé à Sorbonne-université et à l’HEIP et rédacteur en chef de la Revue politique et parlementaire. Son dernier ouvrage, "Comment sont morts les politiques ? Le grand malaise du pouvoir", est publié aux éditions du Cerf (4 Novembre 2021).   

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Atlantico.fr : Quels sont les signaux envoyés par le gouvernement lors de ce remaniement ? Répondent-ils aux attentes des Français inquiets pour leur avenir avec la crise du coronavirus ?

Arnaud Benedetti : Sur le fond ce remaniement est la continuation du macronisme par d’autres moyens... Il penche au centre-droit, ne permet même plus à l’illusion du "en même temps" de se perpétuer car il ne parvient plus à braconner à la lisière des offres politiques du "vieux monde". Il puise essentiellement dans le vivier de la société médiatique pour essayer de donner du sens à une opération qui a pour but de préparer une fin de mandat pré-électoral. Tout est dans le design, dans la forme bien plus que dans le moteur qui reste le même. Sans compter la contradiction qui consiste à annoncer un gouvernement de missions dont l’étendue des postes trahit aussi qu’il s’agit d’abord de préserver des équilibres internes à la majorité et des personnalités. Emmanuel Macron s’est séparé seulement de ceux dont l’impact politique  avait atteint le plus grand seuil de péremption médiatique. Loin de rassembler large, le Président a resserré politiquement autour de lui en constituant un nouveau gouvernement volumineux en terme de postes.

Maxime Tandonnet : Dans les grandes lignes, c’est la continuité qui prime, en l’absence des « prises de guerre » annoncées à droite. La composition de ce gouvernement exprime donc plutôt l’autosatisfaction avec une légère inflexion vers le centre droit. La nomination de M. Darmanin, LR au ministère de l’Intérieur, qui remplace deux anciens socialistes, M. Collomb et M. Castaner est un signal à l’électorat conservateur préoccupé par les questions d’immigration et de sécurité. Deux grands pôles correspondant aux sujets majeurs de préoccupation des Français sont tenus par des personnalités venues de droite, M. Darmanin à l’Intérieur et M. le Maire à l’Economie. A cela s’ajoute le maintien de M. Blanquer à l’Education nationale. Les ministères sociaux et l’Ecologie sont en revanche confiés à des personnalités issues de sensibilité « progressistes ». Le principe du « en même temps » est donc respecté. C’est donc un équilibre très politique au sens d’électoraliste qui prévaut à travers ce gouvernement avec un horizon clair et précis : l’échéance présidentielle de 2022.   

Certaines prises de poste vous ont-elles surpris ?

Arnaud Benedetti : Seule l’entrée de Maître Dupond-Moretti opère comme un fracas dans l’univers assez formaté du macronisme. Elle plaira mais déconcertera ; elle plaira à ceux nombreux qui sont en défiance avec l’institution judiciaire mais elle déconcertera du fait même de la personnalité hors-norme du récipiendaire qui sera difficilement "gérable" au regard des codes de la politique. Mais cette arrivée a une fonction : créer la surprise dans un remaniement qui n’offre sur le fond que peu de nouveautés et qui ne traduit pas un changement d’orientation très perceptible pour l’opinion... Et même pour les médias qui cherchent en vain des subtilités susceptibles d’apporter du neuf. Le problème de Macron c’est que la surprise "communicante" ne saurait dissimuler le soupçon de continuité qui s’installe dans l’opinion. 

Maxime Tandonnet : Oui, bien sûr. Deux nominations fracassantes qui apportent le frisson de la nouveauté et de l’étonnement : M. Dupond-Moretti garde des sceaux, et Mme Bachelot à la culture. Il faut y voir les deux annonces sensationnelles, emblématiques, de ce gouvernement qui masquent la continuté. Le premier cas est stupéfiant. En effet, les présidences Macron comme Hollande se sont toujours efforcées d’éviter les incidents ou les provocations envers les juges et n’ont pas envisagé de grandes réformes de la justice. Or, cette nomination est celle d’un avocat extrêmement charismatique et indépendant dans ses propos envers les juges et la justice. Ce petit séisme dans le contexte de mise en cause du parquet national financier est donc très inattendu. De même, à une échelle bien moindre, le retour de Mme Bachelot au gouvernement, elle qui avait renoncé à la politique pour se consacrer à la télévision, est surprenant. Dans les deux cas, il n’y a pas de véritable logique de fond. Deux personnalités médiatiques et non politiques sont promues au plus haut niveau. Nous sommes dans la politique spectacle, la recherche de l’événement, la société du buzz, qui se substitue à l’action publique. Telle est la politique de l’avenir : les ministres ne se recruteront plus au parlement, parmi les élus de la Nation, mais parmi de grandes figures médiatiques.

Comment imaginez vous la suite du quinquennat Macron avec ce gouvernement en place ?

Arnaud Benedetti : Tout dépendra des conséquences sociales et économiques de la crise sanitaire. L’autonomie du politique est toujours très relative. Ce qui apparaît de manière sensible n’est ce pas surtout cette volonté désormais de chasser de préférence dans une sociologie électorale : le "mainstream" de centre-droit qu’incarne assez bien le techno-conservatisme du nouveau premier ministre. Cela peut marcher si la gauche ne parvient plus à rassurer et à s’incarner dans un leader et si la pression du RN reste suffisamment forte mais sans parvenir au terme de sa dédiabolisation. On voit que toute la pression dans ces conditions vise du côté d’Emmanuel Macron à fixer le concurrent républicain en l’empêchant de se refaire, de se reconstruire car il comprend bien que l’alternative la plus dangereuse pour lui à ce stade du récit de son mandat pourrait surgir de ce côté là. Macron sans le dire mais tout en le suggérant vise à devenir le candidat de l’électorat d’une partie de la droite républicaine. La question essentielle est de savoir s’il est le mieux placé et le plus crédible dans ce rôle...

Maxime Tandonnet : Le facteur explicatif de l’évolution de la politique française est sa dérive dans l’obsession présidentialiste. Elle donne le sentiment qu’une seule chose compte et l’emporte sur toute autre considération : la réélection de 2022. Tout le reste, au fond, devient secondaire. Il faut y voir le paroxysme de l’ère du vide, ou la société ultra-narcissique annoncée par Gilles Lipovetsky en 1983. L’équipe qui vient d’être désignée n’a pas vocation à entreprendre de grandes réformes mais à mener à bien l’objectif de la réélection en 2022. Elle sera chargée d’accompagner et de valoriser la communication présidentielle d’ici là, en évitant les nouveaux drames comme ceux qui ont secoué le quinquennat (gilets jaunes et mouvement social). Pourtant, elle va être confrontée à une situation explosive avec la hausse fulgurante du chômage et de la pauvreté due à la crise du covid 19. La présence d’une forte personnalité à la Justice s’annonce aussi source de polémique. Les deux ans qui viennent seront donc très agités, sinon chaotiques, à l’image de tout le quinquennat. 

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